Voir aussi :
Qu’est-ce que l’écoféminisme (part. 2)
Qu’est-ce que l’écoféminisme (part. 3)
Au croisement du féminisme et de l’écologie : l’éco-féminisme
Dimanche 5 août 2012
Quand on parle d’éco-féminisme en France, on lie deux
mouvements : l’écologie politique et le féminisme qui, bien qu’ayant
des racines antérieures, ont jailli dans le bouillonnement engendré par
mai 1968. Pour ce mouvement, le comportement de domination et
d’oppression des femmes est le même que celui qui contribue au saccage
universel.
Françoise d’Eaubonne, qui fonde le courant Ecologie
et féminisme, en 1978, utilise ce concept pour la première fois en
France en 1974 dans son livre Le féminisme ou la mort [1]. Ce dernier
provoqua dérision et critiques, notamment celle d’avoir accolé deux
concepts modernes qui n’avaient rien de commun. Au Congrès mondial sur
la population de Bucarest en 1974, des femmes du Sud allèrent jusqu’à
affirmer que « l’éco-féminisme est une déviation contribuant à affaiblir
la lutte des classes » [2].
Pour Françoise d’Eaubonne, décédée en 2005, « le
drame écologique découle directement de l’origine du système
patriarcal », que l’on peut rapporter à deux faits qui se sont produits
au début du néolithique : « L’appropriation par les hommes de
l’agriculture et la découverte du processus de la paternité, deux
ressources – l’agriculture et la fécondité –, qui appartenaient aux
femmes. » [3]. Or, dans la période actuelle, la population mondiale
croissante doit vivre de ressources qui vont en diminuant, ce qui est,
pour elle, la conséquence directe des deux révolutions fondatrices du
système patriarcal mis en exergue dans ses travaux.
Quant au féminisme, elle l’identifie au concept
d’humanisme : « Jusqu’ici, les luttes féministes se sont bornées à
démontrer le tort fait à plus de la moitié de l’humanité, le moment est
venu de démontrer qu’avec le féminisme, c’est l’humanité entière qui va
muer. » C’est pourquoi le féminisme, en libérant les femmes, libère
l’humanité toute entière. « Il est ce qui colle le plus près à
l’universalisme. Il est la base même des valeurs les plus immédiates de
la vie et c’est par là que se recoupent le combat féministe et le combat
écologique. » (3)
Des actions collectives de femmes contre la dégradation de leur environnement
Des actions collectives de femmes contre la dégradation de leur environnement
Pour l’écrivaine et militante féministe, il est temps
d’opérer un rapprochement, voire une synthèse entre ces deux combats
menés jusqu’ici séparément : celui du féminisme et celui de l’écologie
planétaire.
Françoise d’Eaubonne prétend démontrer que « seule
une mutation de l’humanité entière peut stopper cette dégradation » et
cette mutation ne peut être l’œuvre que des féministes engagées, car
pour les féministes « arracher la planète au mâle d’aujourd’hui, c’est
la restituer à l’humanité de demain » [4]. Il importe donc de mettre au
banc des accusés la domination sous toutes ses formes avec tout ce qui
en découle, « le phallocratisme, le sexisme, le patriarcalisme d’une
part, la destruction de l’environnement, la consommation pour les
profits, d’autre part » [5]. L’éco-féminisme pour Françoise d’Eaubonne
est donc bien une vision alternative de la société.
Des actions collectives de femmes contre la
détérioration de leur environnement se sont amplifiées depuis plusieurs
années à l’échelle de la planète confirmant « qu’elles sont nombreuses à
partager la même colère, la même inquiétude et le même sens des
responsabilités quant à la préservation des bases de la vie qu’elles
soient environnementales ou sociales » [6]. Ainsi, la pertinence
écologique de la « vision féminine » du monde ne serait plus à prouver.
Une vision universaliste du monde
Une vision universaliste du monde
Concrètement, ces mobilisations touchent à la
problématique rurale et aux réformes agraires (les femmes ont un accès
moindre à la propriété et au droit d’usage à long terme) ; à la
non-reconnaissance des menaces qui pèsent sur la sécurité alimentaire
(alors qu’elles se trouvent à tous les échelons de la filière
alimentaire) ; à la santé environnementale (elles s’organisent face aux
catastrophes nucléaires) ; aux enjeux urbains (liés à
l’approvisionnement en eau potable et les conséquences de la pollution
de l’eau) ; à l’énergie (face aux exploitations pétrolières)…
Autant de combats qui transcendent leurs différences
nationales, culturelles ou de classes, et où l’unité des actions des
mouvements de femmes et des mouvements féministes organisés en réseaux
se développe notamment depuis la Conférence mondiale de Pékin sur le
statut des femmes en 1995 pour s’en nourrir mutuellement et élargir les
perspectives des luttes transnationales en réponse à la mondialisation
patriarcale.
La vision dite « féminine » du monde n’est pas
obligatoirement une « vision féministe du monde » ; il y a différentes
manières en effet d’intégrer les questions de développement durable et
d’environnement. En se réclamant d’une vision universaliste du monde,
les mouvements féministes français rejettent avec force la notion d’une
« nature féminine ».
Ainsi, conscientes qu’un éco-féminisme fondé sur
l’idée que les femmes sont plus proches que les hommes de la nature – de
la Mère-nature – n’est pas une bonne réponse, les organisations
féministes françaises du groupe Genre et développement soutenable [7]
ont élaboré un document en vue de la conférence mondiale Rio+20 de juin
dernier. Cette dernière avait été précédée par la contribution d’ONG
féministes françaises au Sommet mondial du développement durable en 2002
[8].
Monique Dental, fondatrice du collectif de pratiques et de réflexions féministes Ruptures
Cet article a été publié dans le cadre d’un dossier
Environnement : les enjeux des inégalités de genre paru sur Egalité
Infos en 2012. Télécharger le dossier complet en pdf, 31 p. (2,1 Mo)
A voir aussi sur le site Adéquations :Tous les articles sur le thème Egalité femmes hommes et gouvernance du développement durable
Notes
[1] Le féminisme ou la mort, Françoise d’Eaubonne, Pierre Hory Editeur, 1974.
[2] L’éco-féminisme radical, revue Silence n° 220-221, été 1998.
[3] Ecologie et féminisme : révolution ou mutation, éditions L’Harmattan, 1978.
[4] Yvette Laprise, revue québécoise L’autre parole n° 74, 1997.
[5] Ecologie : quand les femmes comptent, Collectif femmes et changements, éditions L’Harmattan, 2003.
[6] Ecologie : quand les femmes comptent, Collectif femmes et changements, éditions L’Harmattan, 2003.
[7] Voir le dossier http://www.adequations.org/spip.php... et les bulletins mensuels n° 335-Juin 2012 et n° 336-Juillet-août 2012 de Ruptures.
[8] Femmes pour la qualité de la vie, collectif d’ONG féministes françaises.
Source : http://www.adequations.org/spip.php?article1866
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