"Real Humans" : Une petite analyse à propos de la série TV suédoise

(http://sites.arte.tv/real-humans/fr), publiée dans le Monde Libertaire de Janvier 2017.
Par Mélusine Vertelune



Suite au visionnage des 20 épisodes composant les deux saisons, me viennent surtout des questions. En fait c’est terrifiant quand on sait qu’il y a des scientifiques qui essaient réellement de créer des robots anthropomorphes (surtout au Japon) dotés d’une forme d’intelligence artificielle telle qu’elle pourraient nous amener d’ici quelques années - s’ils atteignent leur but - à douter de la présence d’une vie psychique véritable à l’intérieur de ces machines. Au-delà des objectifs affichés (recherche scientifiques à des fins médicales principalement), je me demande pourquoi des gens ont envie d’avoir des objets animés qui ressemblent à des humain.e.s et qui interagissent avec leur environnement comme s’ils étaient vivants. Surtout lorsque les robots sont fabriqués d’une façon qui imitent fidèlement la morphologie humaine. Y a-t-il chez eux une jouissance à envisager d’exploiter, maltraiter ou humilier, en toute impunité, des robots probablement devenus vivants et ressemblant à des humain-e-s ?
Nous avons déjà de rudes combats à mener pour que de nombreuSEs humainEs ne soient plus massivement considéréEs et traitéEs comme des objets (esclavage de toutes sortes, tortures - dont le viol sous toutes ses formes y compris tarifé, pornographie, pédocriminalité, violences parentales dites "éducatives", féminicide, infanticide, Gestation Pour Autrui, trafique d’organe, mariages forcés, grossesses imposées, voilement, mutilations génitales, polygamie, etc...). Nous devrions aussi nous libérer de ce que nous avons l’habitude d’appeler "anthropocentrisme" mais qui serait plus juste de qualifier d’androcentrisme.
L’androcentrisme est un dogme dont la fonction politique est d’exclure les humainEs de leur propre espèce tout en justifiant le fait de considérer et traiter les autres animaux comme des objets. Nous aurions intérêt, pour chacun.e d’entre nous, pour les autres animaux et pour la planète toute entière, à nous réconcilier avec notre animalité, à prendre conscience que le conflit entre culture et nature est une fiction mensongère inventée par le patriarcat pour nous condamner à mener des vies de zombi.e.s soumisES et résignéEs pour les unes, insensibles, égoïstes et violents pour les autres... Mais voilà que des scientifiques nous bricolent ces étranges robots, version inversée des Cybermen de Docteur Who. Des robots humanisés, des humain.e.s robotisé.e.s... Tout ça me donne envie de revendiquer ma joie d’être un organisme vivant doté d’une vie psychique qui, grâce à sa chaire sensible et mortelle, est reliée à l’univers dans lequel elle évolue. Oui, je suis heureuse d’être un animal - c’est à dire le contraire exacte d’une chose.
(*) Avec le recul j’ajoute que, parmi les fictions mensongères sous forme d’oppositions artificielles et mortifères inventées par le patriarcat pour faire de nous des zombi-e-s il y a, en plus du pseudo conflit entre "Nature" et "Culture", la pseudo incompatibilité entre "Raison" et "Émotions" et la pseudo séparation entre "Matière" et "Esprit". Ces 3 gros mensonges sont tous plus ou moins enracinées dans l’idée fondamentalement créationniste selon laquelle les humain-e-s ("L’Homme" comme disent les plus archaïques) ne seraient pas vraiment des animaux. Le fait est que plus on adhère (consciemment ou inconsciemment) a ces croyances mortifères, plus on se retrouve amputé-e d’une part de soi-même pourtant primordiale. C’est ainsi que beaucoup d’entre nous deviennent finalement des être tristement morcelé-e-s, entravé-e-s par les injonctions de la culture patriarcale et piégé-e-s dans leur propre soucis de correspondre à une morale qui dénigre la "magie" de la chaire vivante, éprouvante et indomptable. Pour être pleinement vivant-e-s, capables de suffisamment de colère pour nous révolter, de suffisamment d’empathie pour nous solidariser, de suffisamment d’imagination pour nous organiser, il est temps de recoller les morceaux ! Ce qui implique le fait d’accepter que certains dogmes trépassent pour que le rêve d’une Humanité sans domination cesse enfin d’agoniser.
Traduite en anglais par Sandy pour le Fifth Estate Magazine https://www.fifthestate.org/
Human-like Robots
Mélusine Vertelune
Fifth Estate #398, Summer, 2017, Vol. 52 No. 1, page 36
Äkta Människor (Real Humans)
SVT 1 Sweden, 2012. Syndicated in 50 countries including U.S.
After watching twenty episodes from two seasons of the Swedish TV series, "Real Humans," I am left with several questions. It’s terrifying to know that there are scientists, particularly in Japan, who are working on creating robots to be both intelligent and human-like.
In a few years, if the scientists reach their goal, it could become difficult to doubt the presence of a genuine mental life inside these machines. But, beyond the stated objectives of medical research, I wonder why anyone would want to have machines that resemble humans and interact with their environment as if they were alive.
Above all, when robots are manufactured in a way that accurately imitates human morphology, would those who procure them anticipate pleasure in abusing or humiliating them, without having to worry about risking punishment ? Would the robots deserve any protection ?
We already have to fight many different struggles, so that human beings will no longer be considered and treated as objects.
We are still fighting against slavery of all kinds, torture (including commercialized rape), pornography, pedophilic-criminality, parental violence termed "educative," feminicide, infanticide, commercialized surrogate motherhood, organ trafficking, forced marriages, imposed pregnancies, veiling, genital mutilation, polygamy, etc.
It is vital that people break with what is called anthropocentrism, but which would be more accurately described as androcentrism (viewing living beings as machines). The political function of this dogma is to separate the human species from other animals while justifying considering those other animals to be objects.
People need to learn to be truly concerned about other human beings as well as about other animals and the entire planet.
It is important to become reconciled with our animality, to realize that the conflict between culture and nature is a false dichotomy invented by patriarchy, one that condemns some people to lead zombie lives, submissive and resigned, while others are insensitive, egotistical, and violent.
But these scientists, instead of trying to create a living being as did Doctor Who [in the British sci-fi TV series], are working on developing humanized robots, robotized humans to simulate living beings.
All this makes me want to proclaim my joy of being a living organism endowed with a mental life, which, thanks to its sensitive and mortal body, is connected to the universe in which it evolved.
Yes, I am happy to be an animal ?i.e., precisely the opposite of a thing.
Mélusine Vertelune is a member of the Collectif Libertaire Anti-Sexiste, and co-author with Jeanne Cordelier of Ni silence, ni pardon : L’inceste : un viol institué (Neither Silence Nor Pardon : Incest is Institutionalized Rape).
This originally appeared in the January 2017 edition of le Monde Libertaire (Paris) "A propos de La série suédoise Real Humans." http://monde-libertaire.fr
Translated from French by the Fifth Estate staff.

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