Interview de Mélusine Vertelune, à propos du livre "Ni silence ni pardon : l’inceste, un viol institué" co-écrit avec Jeanne Cordelier (M éditeur)
- Comment est née l’idée de faire cet ouvrage ensemble ?
Comment expliqueriez-vous cette absence de réaction, d’empathie, d’intervention de l’entourage a posteriori ?
Oui, absolument. Ce serait la moindre des choses. J’estime même que l’inceste devrait être considéré et traité en tant que crime contre l’Humanité.
- D’après vous, quels seraient les dispositifs à mettre en place pour prévenir l’inceste ?
Pour aller plus loin :
http://www.cfcv.asso.fr/
http://sisyphe.org/spip.php?article4766
Propos recueillis par T. Hoang
La création, en juin 2006, du Collectif Libertaire
Anti-Sexiste, la rencontre avec Jeanne en juin 2007 puis la lecture de
La Dérobade [1],
ont beaucoup contribué à la prise de conscience qui a permis ma sortie
du déni en juin 2008. Les premières personnes à qui j’en ai parlé sont
d’autres membres du CLAS dont certaines m’ont alors révélé qu’elles
aussi avaient subi des agressions sexuelles par des membres de leur
famille durant leur enfance. Nous avons donc décidé d’écrire une
brochure contenant nos cinq témoignages.
Dans l’optique d’en ajouter d’autres, j’ai contacté
le Collectif Féministe Contre le Viol (CFCV). Delphine Reynaud, qui en
est la coordinatrice, m’a beaucoup aidée et conseillée, en particulier
concernant les démarches judiciaires que j’ai pu faire malgré la
prescription des faits au niveau pénal (signalement au Parquet des
MineurEs et saisine de la Commission d’Indemnisation des Victime
d’Infractions). A la lecture de mon récit, Delphine et les autres
membres du CFCV ont estimé qu’il pouvait être un excellent support pour
les groupes de paroles qu’elles animent. Le CFCV, dont l’une des
fondatrices, Marie-France Casalis, a rédigé la préface, soutient donc
notre projet depuis ses débuts.
Au fil du temps, ce premier projet a été mis à mal
par les souffrances qu’il réveillait chez certainEs d’entre nous et par
des difficultés matérielles et administratives liées à nos situations de
précarité économique. C’est ainsi que les trois autres personnes n’ont
pas réussi à écrire leurs témoignages et ont renoncé à participer à ce
projet. Deux d’entre elles ont quand même participé à la rédaction du
communiqué du CLAS contre le viol qui est en annexe du livre.
Puis, nous nous sommes rendu compte que le volume
total des textes justifiait un livre plutôt qu’une brochure. Alors,
comme j’ai beaucoup apprécié L’être et la marchandise de Kajsa Ekis
Ekman [2], que je venais de lire, j’ai contacté Richard Poulin de M éditeur qui a répondu favorablement.
- Pouvez-vous expliciter le titre "Ni silence ni pardon :
l’inceste, un viol institué" ? Quelle signification aurait le pardon
dans ces cas-là pour vous ? En quoi l’inceste et le viol en général font
système ?
Depuis des siècles, le système patriarcal impose à
ses victimes le silence et le pardon. L’application de ces deux
injonctions lui sert à se maintenir, se renforcer et se justifier de la
façon la plus perverse qui soit.
La loi du silence garantit l’impunité pour les
agresseurs. Elle arrange celleux qui choisissent de ne pas soutenir
clairement les victimes puisqu’elle engendre l’illusion de la
non-existence de ce qu’elles subissent. Elle condamne les victimes au
déni et au renoncement à la justice et à la dignité. Elle limite
considérablement le potentiel de solidarité entre les victimes, elle
nous divise, nous enferme et nous invisibilise. Ce qui n’existe pas n’a
pas de voix, celles qui n’ont pas de voix n’existent pas...
Le viol est un acte de torture irréversible et
irréparable, motivé et justifié par la misogynie la plus profonde, y
compris lorsque la victime est de sexe et/ou de genre masculin. Il
rempli un rôle fondamental pour le système patriarcal puisqu’il sert à
signifier que l’intégrité et la dignité des dominéEs ont moins de valeur
que la volonté capricieuse, d’asservir, d’instrumentaliser, de démolir
et de terroriser des dominants. Lorsqu’on a subi un viol, il y a une
part de nous qui est définitivement morte. On ne peut pas la "réparer"
et elle ne renaîtra pas. Dans le meilleur des cas et sous certaines
conditions, autre chose peut, peut-être, naître à sa place. Pardonner le
viol revient à signifier que les violeurs ont raison de violer puisque
la valeur des victimes est tellement infime que, finalement, le viol
n’est pas si grave, pas assez grave en tout cas pour ne pas être
pardonné. Celleux qui font l’apologie du pardon de façon plus ou moins
assumée, qu’illes le fassent au nom des dogmes religieux ou en se
prétendant "expertEs" de part leurs activités professionnelles ou
associatives, voudraient nous faire croire qu’il pourrait y avoir des
intérêts communs et un terrain d’entente équitable entre les agresseurs
et les victimes. Ce discours toxique est un mensonge mortifère, indigne
et dégradant qui nous condamne touTEs au statu quo et freine l’accès à
des soins dignes de ce nom pour les victimes. Dans cette guerre-là, il
ne peut y avoir que deux camps, celleux qui se prétendent neutres se
rangent, en réalité, dans le camp des agresseurs.
« La femme qui ne pardonne pas est la femme qui juge,
la femme en colère, la femme qui se refuse ; elle a perdu sa volonté
d’être une femme telle que les hommes la définissent. Le pardon d’une
femme représente son engagement continu à être présente pour lui, à
rester en relation avec lui, à lui permettre de demeurer mâle par
contraste. Sa charité, sa miséricorde, sa grâce (ce n’est pas pour rien
que les hommes ont personnifié chacune de ces abstractions comme
féminines dans la légende et l’art !) sont en fait les emblèmes de la
subordination féminine à l’éthique du violeur. » (John Stoltenberg) [3]
Les victimes de viol qui se soumettent à l’injonction
de pardonner restent malades. Elles ne peuvent pas se reconstruire car
elles ont fini par adhérer à l’idée qu’elles ne valent pas grand-chose.
Consciemment ou inconsciemment, elles donnent leur autorisation pour que
d’autres viols soient commis. Lorsque celui à qui elles ont pardonné
est un membre de leur famille, elles exposent leurs propres enfants à
subir des viols à leur tour puisqu’elles n’ont pas rompu la relation
avec le violeur et ses complices. C’est ainsi que se reproduit l’inceste
au sein d’une même lignée familiale.
L’inceste est l’une des formes de viols les plus
fréquentes et les victimes de l’inceste sont systématiquement sommées de
se taire et de pardonner.
Comme toutes les formes de viols, l’inceste fait intégralement partie du système patriarcal. Il en est à la fois une conséquence et un ressort. C’est en cela que l’inceste est un viol institué. Il est institué par le patriarcat qui rabaisse au rang d’objets, voire de déchets, les femmes parce qu’elles sont des femmes et les enfants parce qu’illes sont des enfants.
Comme toutes les formes de viols, l’inceste fait intégralement partie du système patriarcal. Il en est à la fois une conséquence et un ressort. C’est en cela que l’inceste est un viol institué. Il est institué par le patriarcat qui rabaisse au rang d’objets, voire de déchets, les femmes parce qu’elles sont des femmes et les enfants parce qu’illes sont des enfants.
Actuellement, en France unE enfant sur vingt-quatre
est victime d’inceste. Sept victimes d’inceste sur dix sont des petites
filles dont les agresseurs sont des hommes. Le système judiciaire est
lui-même profondément machiste. Il faut lire, à ce propos, l’excellent
article de l’anthropologue Dorothée Dussy intitulé "Une justice
masculiniste : le cas des affaires d’inceste" tiré du livre qu’elle a
coordonné : L’inceste, bilan des savoirs [4].
Chaque jour, en France, deux enfants meurent de la
violence parentale. Le caractère massif et systématique de cette
violence ainsi que l’impunité des adultes bourreaux ne seraient pas
possibles si les enfants étaient vraiment considéréEs comme des
personnes à part entière. La structure patriarcale de notre culture
exclue légalement et socialement les enfants du droit commun, de la
citoyenneté et de l’Humanité.
Dans l’ancien code civil, les enfants et les femmes
étaient assimiléEs à du bétail appartenant à un "chef de famille" qui
avait le droit de disposer de leur vie et de leur corps selon ses
envies... La loi a changé davantage que les mentalités et la pensée
dominante accorde toujours aux adultes le droit d’exercer la violence
sur les enfants, notamment au nom du "respect de la vie privée au sein
des familles".
- Vous décrivez des schémas de familles dysfonctionnelles :
d’après vous, le potentiel d’inceste existe-t-il dans toutes les
familles ?
Plus les adultes qui dirigent une famille adhèrent
aux valeurs patriarcales, plus les enfants de cette famille, en
particulier les petites filles, sont en danger de subir des sévices de
toutes sortes, notamment des sévices sexuels, parce que l’idéologie de
ses parents autorisent le fait qu’unE enfant puissent être objectivéE et
sacrifiéE. Cette adhésion peut se manifester sous sa forme
conservatrice, d’inspiration religieuse, comme c’est le cas des parents
qui participent aux "Manifs pour tous". L’adhésion aux valeurs
patriarcales peut aussi se manifester sous sa forme libérale, celle qui
s’apparente à la prétendue "libération sexuelle", comme c’est le cas de
ma mère qui ne respectait pas mon intimité, faisait occasionnellement
l’apologie de la prostitution et achetait des magazines pornographiques
qui traînaient sur le sol du salon.
- En tant qu’enfant, aviez-vous déjà conscience du caractère anormal de la relation ?
Je savais que des rapports sexuels n’étaient pas
censés avoir lieu entre des personnes "liées par le sang". J’avais
appris que cela s’appelait "l’inceste". Par contre, je n’avais pas
encore compris le fait que l’inceste, en réalité, n’est pas une
"relation entre deux personnes qui font quelque chose ensemble". Je
n’avais pas encore compris que l’inceste est un viol commis par un
individu en position de domination du fait des privilèges patriarcaux
qui lui sont attribués par sa famille. Je n’avais pas encore compris que
l’inceste est un viol infligé à une personne vulnérabilisée du fait de
la place à laquelle elle est assignée au sein de sa famille.
Ceci est l’une des causes du sentiment de culpabilité que j’ai éprouvé et qui a profondément diminué l’estime que j’avais de moi-même. La violence de la réalité dans laquelle je me trouvais enfermée entravait ma capacité de penser et de comprendre ce que je subissais. Cet état de sidération et la terreur qui m’envahissait sont à l’origine des difficultés scolaires qui m’ont poursuivie durant plusieurs années.
- La violence des mères est très présente dans vos récits :
quelle est leur part de responsabilité dans vos histoires familiales ?
Et comment l’expliquer d’un point de vue féministe ?Ceci est l’une des causes du sentiment de culpabilité que j’ai éprouvé et qui a profondément diminué l’estime que j’avais de moi-même. La violence de la réalité dans laquelle je me trouvais enfermée entravait ma capacité de penser et de comprendre ce que je subissais. Cet état de sidération et la terreur qui m’envahissait sont à l’origine des difficultés scolaires qui m’ont poursuivie durant plusieurs années.
C’est principalement ma mère qui a éduqué son fils.
C’est elle qui a choisi de lui inculquer les "valeurs" masculines
auxquelles il adhère depuis son enfance et au nom desquelles il s’est
autorisé à devenir un individu égocentrique, cynique, sadique et
narcissique. C’est elle qui l’a initié à l’objectification, à la
persécution et à la destruction des êtres que la pensée dominante classe
dans des catégories inférieures à la sienne. L’important pour elle a
toujours été et est toujours que, quoi qu’il fasse, son fils ne se sente
jamais coupable de rien. Aussi loin que remontent mes souvenirs, j’ai
toujours vu et entendu ma mère se revendiquer "féministe". Mais aussi
loin que remontent mes souvenirs j’ai toujours vu et entendu ma mère se
comporter d’une façon qu’on peut qualifier de "machiste".
Aucun système de domination ne resterait en place s’il ne pouvait compter sur la collaboration plus ou moins consciente et plus ou moins active d’une partie des dominéEs. Pour survivre à la suprématie masculine et échapper à sa violence, certaines femmes se soumettent aux règles patriarcales, en adoptant le rôle de la fidèle ménagère, et transmettent ce qu’elles croient être une bonne stratégie de survie à leurs filles. Elles deviennent des sortes de martyres serviables et soumises qui se sacrifient pour les hommes qui les possèdent et auxquels elles consacrent toute leur existence. Ma grand-mère était l’une d’entre elles. Certaines femmes, souvent dotées d’un niveau de conscience un peu plus élevé, choisissent de se démarquer et de se désolidariser des autres femmes en collaborant activement et consciemment au système qui les opprime. Elles espèrent échapper ainsi au sort que subissent les autres femmes. Cette forme d’adhésion à l’idéologie machiste est celle de la marquise de Merteuil dans Les liaisons dangereuses [5], des taulières de maisons closes et de ma mère.
- Ce qui est le plus révoltant dans vos récits, c’est la
passivité des adultes, qui n’interviennent pas, ne repèrent pas, ne
signalent pas. Aucun système de domination ne resterait en place s’il ne pouvait compter sur la collaboration plus ou moins consciente et plus ou moins active d’une partie des dominéEs. Pour survivre à la suprématie masculine et échapper à sa violence, certaines femmes se soumettent aux règles patriarcales, en adoptant le rôle de la fidèle ménagère, et transmettent ce qu’elles croient être une bonne stratégie de survie à leurs filles. Elles deviennent des sortes de martyres serviables et soumises qui se sacrifient pour les hommes qui les possèdent et auxquels elles consacrent toute leur existence. Ma grand-mère était l’une d’entre elles. Certaines femmes, souvent dotées d’un niveau de conscience un peu plus élevé, choisissent de se démarquer et de se désolidariser des autres femmes en collaborant activement et consciemment au système qui les opprime. Elles espèrent échapper ainsi au sort que subissent les autres femmes. Cette forme d’adhésion à l’idéologie machiste est celle de la marquise de Merteuil dans Les liaisons dangereuses [5], des taulières de maisons closes et de ma mère.
Comment expliqueriez-vous cette absence de réaction, d’empathie, d’intervention de l’entourage a posteriori ?
La plupart des gens ont moins d’empathie pour les
femmes que pour les hommes et la plupart des gens ont moins d’empathie
pour les enfants que pour les adultes. Alors beaucoup de gens ont un
sérieux déficit d’empathie pour les petites filles... D’autre part,
beaucoup de gens sont comme ma mère et mon frère. Ils se réjouissent de
la souffrance infligée à leurs victimes et aux victimes de ceux auxquels
ils s’identifient. Plus nombreux encore sont les lâches qui préfèrent
faire semblant de ne rien voir et de ne rien savoir.
- Vous décrivez également des périodes d’anorexie et de
boulimie. Pourquoi cette autodestruction comme conséquence de
l’inceste ?
J’avais l’impression d’être à la fois vide et impure,
alors il fallait que je me remplisse et que je me purge. Je n’ai jamais
eu beaucoup d’argent et la nourriture, même consommée comme une drogue,
coûte moins chère que toutes les autres drogues, surtout la nourriture
destinée à être vomie, car quand on a prévu de la vomir on achète celle
qu’on estime indigne d’être digérée. Quand je me gavais, je ne pensais
pas. J’avais l’impression que rien d’autre n’existait à part les
sensations produites par le fait de manger. Même le temps ne s’écoulait
pas. Quand je faisais mes crises de boulimie, je recherchais cette
sensation d’anéantissement. Tout ensevelir sous la nourriture, y compris
mes rêves et mes espoirs. Puis venait la sensation d’impureté, la honte
qui m’étouffait et alors je vomissais. Ensuite je m’effondrais,
épuisée. Je buvais un thé et je me roulais un gros pétard pour être bien
assommée et "comatais" jusqu’au moment où j’étais obligée de faire
autre chose, ou jusqu’à la prochaine crise. Si j’avais eu plus d’argent,
peut-être que j’aurais pris de l’héroïne.
- Les victimes d’inceste témoignent souvent de leur sentiment
de culpabilité. Comment peut-on renverser ce sentiment de culpabilité ?
Avez-vous suivi une thérapie ? Ou sinon, qu’est-ce qui vous a permis de
faire votre cheminement ?
Ce sentiment de culpabilité est produit par le
caractère misogyne de la culture : le comportement et le discours de
l’agresseur, ceux de l’ensemble des agresseurs et de leurs alliéEs qui
s’organisent pour défendre leurs privilèges et enfin les représentations
véhiculées depuis des siècles par tous les vecteurs du système : les
religions, les États, la prostitution, les chansons dites "paillardes",
les médias, la publicité, etc... C’est ma conscience politique qui m’a
donné la capacité de détruire ce sentiment de culpabilité. J’ai suivi
une psychothérapie qui m’a aidée à me libérer de l’emprise que ma mère
exerçait sur moi. Mais dans mon cas, et je crois que ça pourrait être le
cas de bien d’autres survivantes, c’est le féminisme qui a été
véritablement thérapeutique. Le système patriarcal nous met dans la tête
que nous ne sommes rien, que nous ne valons rien, que nos existences
sont insignifiantes, qu’en tant que femmes, nous n’avons pas le droit de
vivre librement, dignement et décemment. Comment ne pas souffrir
psychiquement en vivant dans un environnement aussi toxique, où les lois
sont dictées par un mensonge aussi énorme ? Pour ne pas en souffrir, il
faudrait que nous ne soyons pas ce que nous sommes : des humainEs. Le
machisme pue la mort. C’est un poison qui nous rend malades. Son
antidote est le féminisme.
- Avez-vous encore besoin de la reconnaissance de ses actes
et de sa responsabilité par l’auteur de ces crimes ? Avez-vous gardé des
contacts avec votre famille ?
Dès que je suis sortie du déni, j’ai compris qu’il
fallait cesser d’attribuer une quelconque crédibilité à mon frère. J’ai
compris qu’il était impératif de ne plus le laisser avoir le moindre
impact sur ma vie. J’ai décidé de ne pas tenir compte de ce qu’il
pouvait dire, penser ou faire car j’avais enfin compris que tout ce qui
émane de cet individu est toxique et n’a donc aucune valeur. Ma sortie
du déni a été brutale et radicale. J’ai eu immédiatement conscience que
mes souvenirs étaient bien réels. Je ne voulais pas que ma survie et ma
reconstruction dépendent de ce sale type. Je ne voulais pas lui laisser
exercer le moindre pouvoir sur mon existence. J’ai décidé de ne plus
m’imposer sa présence et j’ai fait en sorte de ne plus avoir à la
supporter. Plus tard, j’en ai fait autant avec ma mère. Et grâce à cette
rupture totale et définitive, je suis aujourd’hui plus heureuse de
vivre que jamais.
- Vous parlez du risque de diffamation en début d’ouvrage, quelles sont les précautions que vous avez prises ?
J’ai accompli les démarches qui m’ont été conseillées
par le CFCV (dont je parle plus haut) et j’ai utilisé des pseudonymes
pour rédiger mon récit. Dans mon cas, le risque d’attaque en diffamation
est, à présent, très amoindri par le fait que mes démarches ont abouti à
une reconnaissance officielle de mon statut de victime et du fait que
l’acte dont j’ai été victime a effectivement été commis par mon frère.
Cependant, je ne regrette pas les précautions que j’ai prises pour ne
pas être trop facilement identifiée à la lecture de mon texte car
au-delà du risque d’attaque en diffamation, la stigmatisation à l’égard
des victimes de viol et en particulier des victimes d’inceste peut
rendre nos conditions de vie très compliquées.
- Seriez-vous pour l’abolition du délai de prescription, l’inclusion du crime d’inceste dans le code pénal ?Oui, absolument. Ce serait la moindre des choses. J’estime même que l’inceste devrait être considéré et traité en tant que crime contre l’Humanité.
- D’après vous, quels seraient les dispositifs à mettre en place pour prévenir l’inceste ?
Il faudrait que les organisations et les personnes
censées être progressistes cessent de se montrer indifférentes à notre
combat. Il faudrait qu’un mouvement de grande ampleur entre en marche
sur les bases d’une analyse féministe. Il faudrait que les médias
cessent de faire le choix de ne pas donner la parole aux survivantEs de
l’inceste.
En plus de cela, il faudrait revoir tout le système
éducatif et social, que l’objectif véritable des services sociaux soit
de protéger et défendre les enfants et non plus de "gérer" les enfants
et les pauvres afin de maintenir les privilèges des adultes et des
riches.
Pour cela, il faudrait augmenter le nombre et la
qualité des lieux de placement d’urgence, faire en sorte que les
policiers, les juges et les services sociaux n’aient plus la possibilité
de mettre les bourreaux et les agresseurs en position de négociation.
Il faudrait également que la mission de protection de l’enfance ne soit
plus le monopole des Conseils Généraux. Car du fait de ce monopole, les
enfants victimes issuEs de familles qui ne demandent pas d’aide
financière ont très peu de chance d’être repéréEs. Or l’inceste, comme
les autres formes de viols, est commis au sein de toutes les classes
sociales. Enfin, il faudrait qu’il y ait des services médico-sociaux en
contact direct avec les enfants dans tous les établissements scolaires y
compris les établissements privés.
--------------------------------------------------------------------Pour aller plus loin :
http://www.cfcv.asso.fr/
http://sisyphe.org/spip.php?article4766
Propos recueillis par T. Hoang
Notes
[1] La Dérobade de Jeanne Cordelier, éd. Phébus 2007
[2] L’être et la marchandise de Kajsa Ekis Ekman, M Éditeur, 2013
[3] John Stoltenberg - chapitre 1 de Refuser d’être un homme - M Éditeur/Syllepse, 2013
[4] L’inceste, bilan des savoirs, coordonné par Dorothée Dussy, les Editions La Discussion, 2013
[5] Les liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos, 1782
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