Extrait des actes du colloque "Patriarcat : prostitution, pédocriminalité et intégrismes"

Propos de Mélusine Vertelune
Tant que le viol est perçu comme une violence exceptionnelle qui ne pourrait être commise que par un inconnu, condamner le viol n’engage à rien. Tant que la représentation que l’on se fait du viol est cantonnée à une agression brutale commise contre une victime qui se débat, qui crie son non consentement et qui sera ensuite capable d’aller porter plainte contre son agresseur toute seule comme une guerrière invaincue, il est facile et n’engage à rien de déclarer que l’on combat le viol.
L’écrasante majorité des viols sont commis par un proche de la victime ou par un individu qui achète un « permis de viol » (un prostitueur donc).
Et lorsque la victime d’un viol commis par l’un de ses proches trouve le courage de prendre le risque de dénoncer le viol à l’entourage qu’elle a en commun avec son agresseur, chaque membre de cet entourage révèle son « vrai visage ».
Il y a celles et ceux qui prennent partie pour l’agresseur, celles et ceux qui prétendent être neutres pour ne pas assumer clairement leur manque de solidarité avec la victime, plaçant cette dernière au même niveau de crédibilité que l’agresseur et prônant la fameuse « présomption d’innocence » de l’accusé qui induit de fait une « présomption de mensonge » affublée à la victime dite « présumée ».
Les moins nombreuses sont les plus courageuses, celles et ceux qui prennent clairement, définitivement, radicalement et publiquement partie pour la victime et contre le violeur. Sans elles, la victime n’a quasiment aucune chance de reconstruire sa vie après la séance de torture physique et mentale qu’elle a subi et l’humiliation infligée collectivement par les défenseurs du violeur.
Ce schéma, on le retrouve partout où le patriarcat façonne les mentalités : dans des groupes d’ami-e-s, dans des associations, dans des entreprises, dans des organisations politiques, dans les tribunaux, et surtout dans certaines familles.
Lorsque le viol est incestueux, il est encore davantage interdit d’en parler que de le commettre. Chaque famille incestueuse est comme un petit État totalitaire et archaïque avec ses tyrans, ses bourreaux, ses collaborateurs passifs et actifs, ses boucs-émissaires et ses résistant-e-s. L’enfant victime d’inceste y est enfermé-e à tous les niveaux, et torturé-e dans tous les sens du terme. C’est une petite dictature au sein de laquelle est organisé un rituel sacrificiel scellé par une loi du silence qui lie ses membres dans une « cohésion » aussi artificielle qu’étouffante. C’est le sacrifice interminable d’un enfant, 7 fois sur 10 une petite fille, sur l’autel de la divinité phallique du système patriarcal.
Le complexe d’œdipe, inventé par un médecin sacralisé et certes brillant, mais dont l’ambition dépassait l’honnêteté, participe à l’invisibilisation de l’inceste bien réel et à la culpabilisation des victimes(1). L’inceste réel n’est pas interdit par le patriarcat. Au contraire, il est encouragé, car il en est l’un des plus anciens et des plus solides piliers.
En effet, le patriarcat, c’est la dictature du père, de la figure paternelle et de ses représentant-e-s. C’est le système qui structure la domination, la chosification, l’oppression et l’exploitation des femmes et des enfants par les hommes et les adultes, voir les aîné-e-s d’une même fratrie. Depuis quelques milliers d’années, le patriarcat fait de notre planète une gigantesque prison pour toutes les femmes, tous les enfants et certains hommes. Ceux qui ont les clefs entre leurs mains sont les agresseurs sexuels, leurs complices , leurs soutiens et leurs défenseurs.
Selon les statistiques internationales, 700 millions de femmes et de petites filles sont actuellement mariées de force. Toutes subissent quotidiennement des viols conjugaux. Beaucoup d’entre elles sont des mineures qui ont un « lien de sang » avec les hommes qui les ont achetées. Ces viols sont donc très souvent incestueux. L’âge moyen d’entrée dans la prostitution est 14 ans. Tous les agresseurs de ces victimes là sont donc des pédocriminels.
Briser la loi du silence permet à la victime de reprendre sa vie en mains, de choisir ses fréquentations en toute connaissance de cause et de détruire, en partie, le pouvoir exercé par son agresseur. Briser la loi du silence à plus grande échelle, à propos de toutes les formes que prend le viol, à commencer par les plus fréquentes, c’est à dire le viol incestueux, conjugal ou tarifé est la première étape pour démolir le système patriarcal.
Le viol permet aux bénéficiaires et défenseurs du système patriarcal de propager la terreur. Pas besoin que toutes les femmes soient victimes ou survivantes du viol pour que toutes les femmes soient terrifiées à l’idée qu’elles sont considérées comme violables et donc potentiellement en danger d’être violées. Toutes finissent, un jour ou l’autre, par redouter le viol et adaptent leur comportement dans le but d’amoindrir ce risque. En vain, car en réalité le viol ne dépend ni de l’attitude ni de l’aspect physique des victimes. Il n’est pas le résultat d’une pulsion sexuelle ni d’une maladie mentale. Le viol est un acte politique qui vise à affirmer la suprématie du genre masculin.
Un prédateur est un animal carnivore qui chasse et qui tue pour s’alimenter. Il n’a pas le choix. Il doit tuer pour se nourrir, sinon il meurt. Un violeur, est un homo sapiens (dans l’écrasante majorité des cas un mâle) qui a fait le choix de démolir la vie d’une, voir plusieurs, humainE-s), plus souvent qu’on ne le croit des petites filles, en utilisant l’arme favorite du système patriarcal pour exercer sa domination masculine et les terroriser toutes en en agressant quelques unes (beaucoup quand même : au moins 205 par jours rien qu’en France). Si un violeur, ne parvient pas à violer, il ne meurt pas. Il n’est pas un prédateur. Il n’est pas "sous l’emprise de pulsions sexuelles". Il est juste un vrai salopard qui trouve divertissant le fait de torturer des humainEs en les traitant comme des produit de consommation, voir comme des déchets. La perversité, le sadisme, la méchanceté, la volonté de dominer, la violence arbitraire n’ont rien de "bestiales". Elles n’ont rien à voir avec l’animalité. Elles sont, au contraire, typiquement humaines et s’expriment pleinement dans la culture patriarcale qui a colonisé toute la planète depuis quelques milliers d’années.
Le traumatisme qui résulte du viol est toujours trop important pour que les victimes puissent reconstruire leur vie sans un vrai soutien intransigeant et assumé.
Une victime de viol risquera fortement de tomber dans les pièges du silence et du pardon si elle ne constate pas que d’autres personnes déclarent publiquement le fait qu’elles accordent davantage crédit à sa parole à elle qu’à celle de son agresseur et qu’elles ne lui pardonnent pas, à lui, d’avoir commis un crime définitif et irréparable.
Ne pas pardonner c’est ne pas abdiquer, c’est passer du statut de victime à celui de survivante qui prend conscience qu’elle n’est ni une créature inférieure, ni un produit de consommation, ni un déchet, mais une vraie personne, une personne importante, intelligente et digne, dont l’existence a de la valeur. Ne pas pardonner donne la force de cesser de s’imposer la compagnie des individus dont le comportement est toxique. Ne pas pardonner donne l’énergie de ne plus avoir peur d’affronter les conflits et de décider de provoquer des ruptures lorsque cela s’avère nécessaire. Ne pas pardonner est la deuxième étape pour se réapproprier sa propre existence.
Ne pas pardonner, y compris aux violeurs que l’on ne connaît pas, y compris à ceux qui sont issus de notre propre mouvance politique, y compris à ceux qui jouent les repentis, y compris à ceux qui plaident la maladie mentale, ne pas leur pardonner est un acte de solidarité envers toutes les victimes, y compris celles qui sont encore cloîtrées dans le silence.
Qu’il s’agisse de Dieu, du capitalisme, de la famille ou de l’État, les institutions inventées par le patriarcat pardonnent toujours aux violeurs et s’acharnent à imposer ce pardon mortifère aux victimes de viol. Elles remplissent ainsi leur rôle qui consiste à garantir la pérennité du système.
L’État français est coupable de non assistance à personnes en danger et de complicité avec ceux qui commettent un crime qui serait considéré comme crime contre l’Humanité s’il n’était pas massivement commis contre des femmes et des enfants. Son système judiciaire est masculiniste, comme l’a démontré l’anthropologue Dorothée Dussy (2). La faiblesse et la médiocrité des moyens, toujours en baisse, qu’il daigne attribué au secours, à l’aide et aux soins pour les victimes démontre son mépris pour ces dernières et sa complaisance vis à vis des criminel-le-s.
Nous manquons de lieu d’accueil, d’accompagnement, de placement et de soins de qualité pour les victimes. Les professionnel-les susceptibles d’intervenir dans ces situations sont trop rarement et trop mal formé-e-s. Les institutions chargées de la protection de l’enfance protègent surtout les privilèges des adultes. Les professionnel-les compétant-e-s et consciencieu-ses-x sont trop souvent mises au placard, dénigré-e-s et précarisé-e-s. C’est un comble que la mission de détection des enfants victimes de leur entourage familiale ne soit pas pleinement confiée à l’institution qui les accueille : à l’école, à toutes les écoles du pré-élémentaire au lycée, sans oublier les établissement privés (puisqu’ il n’y a pas davantage de violences intrafamiliales chez les pauvres que les riches). Car à l’école, il n’y a presque jamais une assistante sociale et un médecin auprès desquelles les enfants pourraient se confier en toute sécurité.
Quant à la question des sanctions contre les criminels, il est urgent et impératif de cesser de placer au même niveau d’analyse et de traitement les atteintes aux biens et les violences infligées aux êtres vivant-e-s. Comme tou-te-s les anarchistes, je rêve d’un monde sans prison. Cependant, lorsqu’un agresseur, un tortionnaire, un tueur est en liberté, en toute impunité et sans aucune entrave qui le dissuade concrètement de traiter des êtres comme des choses, c’est nous qui sommes emprisonné-e-s sur notre propre planète. Les prisons sont surpeuplées par des personnes qui ne devraient pas y être (des voleurs qui n’ont pas commis de violence, des femmes dans des situations comparables ou proches de celle de Jacqueline Sauvage, des toxicomanes, des sans-papiers, etc...). Commençons par libérer toutes ces personnes. Si elles ont volé, endommagé, détruit une chose appartenant à autrui qu’elles soient condamnées à rendre, réparer ou rembourser, mais pas enfermées. Qu’elles bénéficient d’aides et de soins adaptés à leurs situations. Mais en ce qui concerne la torture sous toutes ses formes (à commencer par le viol), la brutalité, le harcèlement, le meurtre (sauf en cas de légitime défense ou dans des cas comme celui de Jacqueline Sauvage), il s’agit là de crimes irréparables qui ne doivent pas être pardonnés. Ces agresseurs qui ne méritent pas d’être appelés « auteurs », détiennent un pouvoir au moment où ils commettent leurs crimes. Tant qu’on ne leur aura pas retiré ce pouvoir il continueront. En attendant que l’Humanité soit enfin débarrassée du patriarcat et de tout ce qu’il a engendré (y compris les religions, les État et l’exploitation humaine), on ne doit plus décemment traiter ces oppresseurs avec bienveillance. Dans une perspective révolutionnaire vers une Humanité sans prison, il faut envisager une période de transition durant laquelle nous devons lutter pour une véritable politique de protection de l’Enfance, faire de l’éducation féministe des enfants et des adultes non criminel-le-s une priorité, indemniser, soigner et aider les victimes. Les agresseurs eux doivent être sanctionnés par la prison ferme, l’expropriation, et la suppression de leurs droits civiques et civils.
Mélusine Vertelune
Survivante et co-auteure avec Jeanne Cordelier (auteure du best-seller publié en 1976 La Dérobade) de Ni silence, ni pardon – L’inceste : un viol institué (M éditeur) (3) et membre du Collectif Libertaire Anti-Sexiste (4)
(1) https://ressourcesprostitution.wordpress.com/2015/12/23/dre-ingeborg-kraus-la-prostitution-est-incompatible-avec-legalite-hommes-femmes/
extrait : "La psychologie clinique a été fondée par Sigmund Freud. À la fin du 19ème siècle, les psychiatres européens se sont intéressés au phénomène de l’hystérie. À Paris, il y avait le psychiatre Charcot et à Vienne, Sigmund Freud. Alors que Charcot observait et notait les symptômes de ces femmes, Freud commençait à les écouter. Il a publié ses découvertes dans un premier livre nommé Six études sur l’hystérie, où il a découvert que toutes ces femmes avaient subi des violences sexuelles durant l’enfance. Ce livre fit bien sûr scandale à l’époque, surtout que ces femmes étaient issues de bonnes familles. Très vite, l’Association des médecins viennois a fait pression sur Freud pour qu’il retire ces thèses associant les symptômes de l’hystérie à des violences sexuelles subies par ces femmes pendant leur enfance. Ces pressions menaçaient de mettre fin à la carrière de Freud et il a cédé. Il a renié cette découverte et a plutôt créé sa théorie des fantasmes, selon laquelle ces agressions étaient une chose que les femmes fantasmaient et désiraient. Pendant 100 ans, toutes les écoles supérieures ont propagé cette thèse, sur laquelle on s’est appuyé pour légitimer le déni des violences faites aux femmes et l’acquittement des coupables."
(2) https://scenesdelavisquotidien.com/2014/01/16/une-justice-masculiniste-le-cas-des-affaires-dinceste/

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