La diabolisation actuelle du réseau internet Mumsnet n’est que la plus récente incarnation de la chasse aux sorcières.
"PRÉSENTATION DE CET ENJEU : Mumsnet est un
grand réseau internet reliant des parents – et surtout des mères – au
Royaume-Uni. Certaines d’entre elles ont manifesté de l’inquiétude face
aux démarches du lobby transgenriste dont les présentations dans les
écoles et même les classes maternelles incitent de plus en plus
d’enfants à douter de leur identité sexuelle. (Lire à ce sujet les sites
web https://4thwavenow.com/, https://gendertrender.wordpress.com/ et le livre Transgender Children and Young People : Born in Your Own Body (recension : https://tradfem.wordpress.com/2018/05/11/ceci-est-une-experience/ et extraits : https://tradfem.wordpress.com/2017/12/10/les-enfants-et-les-jeunes-face-a-lideologie-transgenriste/).
Le lobby trans a réagi en exigeant le droit de censurer ces propos de
mères, qualifiés de « transphobes », en créant un site Twitter intitulé
« MumsnetTranphobia », et en harcelant les annonceurs de Mumsnet pour
qu’ils en retirent leurs annonces."
Une chroniqueuse britannique, Glosswitch, rappelle le contexte historique de pareils projets de bâillonner les femmes. (TRADFEM)
Une chroniqueuse britannique, Glosswitch, rappelle le contexte historique de pareils projets de bâillonner les femmes. (TRADFEM)
Naturellement, cela en inquiète certains de penser à ce qu’un groupe de mères pourrait réellement exiger.
Par Glosswitch, The New Statesman
« Le retrait délibéré des femmes à l’écart des
hommes a presque toujours été perçu comme un acte potentiellement
dangereux, ou hostile, comme une conspiration, une subversion, quelque
chose de ridicule et inutile, » écrivait Adrienne Rich dans Naître d’une
femme (1980), une exploration novatrice de la politique de la
maternité. Qu’il s’agisse des fileuses qui comméraient en cercle ou des
vieilles épouses transmettant un savoir à leurs cadettes au sujet de la
contraception et de l’avortement, les femmes réunies en l’absence
d’hommes sont depuis longtemps vues avec suspicion. Que pourraient-elles
se dire ? Que pourraient-elles comploter ? Et comment, surtout,
pouvait-on les contrôler ?
C’est un problème qui n’a jamais disparu, même si le
contexte a changé. L’anxiété suscitée par la parole des femmes – qui a
entraîné de violents mouvements de ressac, comme les procès faits aux
sorcières et les brides imposées aux « mégères » – a surgi à une époque
où, pour citer l’écrivaine Marina Warner, « les femmes dominaient les
réseaux de l’information et du pouvoir ; c’étaient le quartier, le
village, le puits, le lavoir, les boutiques, les étals, la rue qui
étaient leur arène d’influence, et pas seulement le logis. »
On pourrait dire que les choses sont différentes en
2018. L’évolution des modalités du travail et une plus grande séparation
des espaces publics et privés ont conduit à une fragmentation des
communautés domestiques dirigées par les femmes. Comme le dit la
protagoniste d’un roman d’Elisa Albert de 2015, After Birth :
Il y a deux cents ans – il y a même cent ans – une
enfant se voyait entourée d’autres femmes : sa grand-mère, sa mère, ses
sœurs, ses cousines, ses belles-sœurs, sa belle-mère. […] Elles
t’aidaient, te tenaient compagnie, t’apprenaient les choses. Ensuite, tu
faisais la même chose. […] Aujourd’hui, tu gagnes peut-être ta vie, tu
apprends peut-être à te connaître selon tes propres valeurs. […] Mais
voici que, tranchée sans ménagement par le milieu, on te remet un
nouveau-né et on te renvoie à domicile dans ton petit réservoir
d’isolement : vas-y et ne te mêle pas d’afficher trop de photos. Tu ne
veux pas être une de « ces mères-là »…
Elle a raison. Bien que le travail de gestation,
d’accouchement et de maternage ait peu changé, les liens de solidarité
qui le soutenaient – tout en terrifiant les hommes – se sont
désintégrés. Cependant… il y a toujours Mumsnet.
J’adore Mumsnet (même si les utilisatrices de Mumsnet
ne m’ont pas toujours aimée). Que vous en compreniez ou non la
pertinence politique, la simple existence de ce réseau, en tant
qu’avatar moderne du cercle de fileuses/sorcières, nous rappelle à la
fois la résistance des femmes à la marginalisation et la peur que cette
résistance provoquait dans leur entourage.
Comme auparavant vis-à-vis des commères et des
vieilles filles, les propos tenus aujourd’hui envers les mamans de
Mumsnet sont un indicateur de la façon dont toutes les mères – et par
extension toutes les femmes – restent perçues. Je ne veux pas suggérer
par là que toutes les femmes sont des mamans Mumsnet, mais rappeler que
les réactions envers ces femmes sont un jalon de ce qui est alloué à
l’ensemble d’entre nous.
Vous ne souhaitez peut-être pas dire ou faire les
mêmes choses que les femmes de Mumsnet. Mais le fait est que vous n’y
arriveriez pas sans être réprimandée ou sans essuyer une kyrielle de
fausses représentations, de propos réducteurs et de calomnies. Cela nous
en apprend beaucoup sur le statut actuel de la parole féminine, et sur
la façon dont la crédibilité d’une femme est minée non pas par ce
qu’elle dit, mais par le contexte de son discours s’il est tenu au sein
de cercles où les femmes prédominent.
J’ai commencé à bloguer en 2012, coincée dans cette
ornière embarrassante qu’est le fait d’être « désœuvrée chez soi avec
des enfants en bas âge ». Peu de temps après, je me souviens avoir dit à
mon père que j’avais écrit quelques textes pour Mumsnet et que j’allais
en parler à une table ronde devant elles. Sa réponse a été : « Mais
elles sont tellement “classe moyenne” ! » Mon père est avocat.
Suggérait-il que nous n’étions pas, nous aussi, de la classe moyenne ?
Je ne le crois pas, mais d’une façon ou d’une autre, je savais ce qu’il
voulait dire.
Les mamans de Mumsnet étaient ultra-conventionnelles,
avec leurs sacs à couches griffés, leurs nounous sous-payées et leur
socialisme bobo, d’une manière différente de la nôtre (après tout, nous
étions des gens du Nord !). Je savais que mon père n’avait jamais
vraiment visité le site Mumsnet. Son jugement était celui des chroniques
du Daily Mail, arbitre renommé des seins et des ruses de La Femme.
À l’époque, la maman Mumsnet était accusée de deux
crimes principaux : être trop privilégiée (comme en témoignent les
termes familiers « yummy mummy » et « Highgate mum ») et être follement
obsédée par des questions insignifiantes (comme l’illustre le fil
Twitter @Mumsnet_madness, où l’autoparodie rigolarde des utilisatrices
de Mumsnet est constamment lue au premier degré et citée afin de les
tourner en ridicule). C’est seulement au cours des deux dernières années
que la maman Mumsnet a vu son statut passer de dinde à diabolique, en
devenant « tweevil » aux yeux de ses critiques, un amalgame d’adjectifs
péjoratifs visant à discréditer les paroles de femmes mûres).
Ces accusations hâtives sont-elles justifiées ? Alors
que les mamans que j’ai croisées sur Mumsnet viennent d’une foule
d’horizons différents, je dirais que les femmes blanches de classe
moyenne comme moi y sont en effet surreprésentées, mais qu’elles sont
aussi l’objet de fausses représentations, réduites à des caricatures
misogynes. Comme si le fait même de prendre soin de son propre enfant
(ou non, selon le cas) est reformulé comme l’expression d’un nombrilisme
impardonnable. Quant à l’accent mis sur leurs intérêts qualifiés de
banals, eh bien, cette critique ne tient simplement pas la route. Ce
qu’elle reflète réellement est la pudibonderie et la stigmatisation qui
entourent toujours l’idée que des femmes puissent être débonnaires et
salaces – surtout celles qui sont âgées ou mères, c’est-à-dire les
femmes qui ne sont plus considérées comme baisables.
« La commère vieillissante », écrit Marina
Warner, « a été instituée comme l’allégorie symbolisant les
transgressions indignes d’une épouse, la désobéissance, l’opinion
personnelle, la colère, le franc-parler et un manque général de
soumission face aux désirs et aux ordres masculins. » Si on ne peut plus
aujourd’hui clouer une femme au pilori pour avoir osé divulguer au
monde le rituel du bécher pénien, on peut au moins laisser entendre
qu’elle est stupide, ou qu’elle ne comprend même pas ses propres
blagues. Ah !, ces mamans Mumsnet au cerveau dévoré par leurs bébés, que
n’iront-elles pas inventer d’autre ? (Ou peut-être ne pas « inventer » –
elles n’ont sans doute accès qu’à des « intuitions » de nos jours…)
Comme le sait toute visiteuse régulière de leur fil
« Am I Being Unreasonable ? » (Suis-je déraisonnable ?), le réseau
Mumsnet excelle absolument dans la plaisanterie cinglante et subtile,
maniée par des femmes qui ont atteint l’âge adulte lorsque le badinage
et la misogynie « ironique » étaient la coqueluche des célibataires de
sexe mâle. Il y a quelque chose de tout à fait jouissif à constater que
des femmes – et même de simples mamans – s’avèrent bien plus douées dans
cet art que les messieurs à la date de péremption dépassée qui s’en
serviraient pour gâcher notre plaisir. Les acronymes bizarres dont
s’amuse Mumsnet (DD1, DS3, DH, AIBU…) sont eux-mêmes une forme de
provocation. Bien sûr qu’ils agacent les gens ! Imaginez des mamans qui
se régalent de mots de code « secrets » (pas si secrets que ça et tout à
fait drolatiques) pour commenter le caca et les haricots verts de la
routine domestique ! Il est certain que le fait de découvrir que votre
maman plaisante à propos de tous les tracas que vous lui occasionnez
peut être pire que de découvrir que vos parents ont des relations
sexuelles.
Mais, j’entends déjà votre question : qu’en est-il de
la face cachée de Mumsnet, de son âme sombre ? S’il est vrai que des
assemblées de femmes ont pu être décrites à tort comme maléfiques par le
passé, n’est-ce pas particulièrement le fait de ce regroupement-ci ?
C’est ce qu’a affirmé chaque nouvel inquisiteur gynocidaire depuis la
nuit des temps.
Je sais pertinemment que Mumsnet ne se limite pas à
des blagues sur le pénis et à des évaluations de boissons fruitées. Une
grande partie des échanges – en fait, leur plus grande partie – est
profondément politique. Les campagnes #webelieveyou (#OnVousCroit) et
Let Toys Be Toys (Contre les jouets sexistes) ont d’abord pris racine
dans les échanges Mumsnet. Le fait que plusieurs utilisatrices de ce
réseau contestent les excès idéologiques contemporains de l’« identité
de genre », en particulier le langage qui prétend « redéfinir » la
biologie de la reproduction, ne devrait donc surprendre personne.
Bien qu’on ne puisse pas rendre compte des
motivations de chaque internaute du réseau qui s’exprime sur ce sujet,
ou défendre chaque approche employée, j’aimerais suggérer ici que, comme
ailleurs, la maman de Mumsnet se heurte au préjugé répandu qu’elle est
incapable de saisir les implications de ses propres mots. Ces mamans,
estime-t-on, sont tout simplement trop limitées pour avoir lu Judith
Butler ou Julia Serano. Quand quelqu’un qui est dans les couches jusqu’à
la tête décide de remettre en question un concept décontextualisé de
genre, sans égard pour ses dimensions sociales intersectionnelles, elle
le fait certainement par pure méchanceté.
Et pourtant, qu’il y ait méchanceté ou non, si l’on
ne tient pas compte de la peur historique et de la diabolisation des
femmes qui discutent hors de toute surveillance masculine, il est
franchement bizarre de voir des militants s’improviser contrôleurs des
conversations de Mumsnet à propos de la relation entre sexe et genre.
C’est à la fois déplacé et contraire à un travail réellement marquant de
démantèlement des stéréotypes.
L’engagement politique des mères et des femmes âgées
est important. Il est naturel que cela fasse peur aux gens d’imaginer ce
que ces groupes hautement exploités pourraient exiger – et les services
qu’ils pourraient cesser de fournir – si ces femmes atteignaient un
niveau d’organisation suffisant. Cela a toujours été le cas, bien avant
l’arrivée d’internet. C’est dans ce contexte que nous devrions
interpréter l’actuelle campagne anti-Mumsnet, alors que d’autres réseaux
sociaux beaucoup plus offensants sont, étrangement, moins vilipendés.
Bien sûr, vous pouvez être d’accord avec tout cela ou
non. Vous pouvez me voir comme une autre maman qui déblatère à propos
de choses qu’elle ne comprend pas, alors qu’elle devrait être en train
de repasser l’uniforme scolaire des enfants (et vous auriez à demi
raison).
Mais voyons les choses d’une autre façon : imaginez
que vous mettez en place votre propre communauté, consacrée à des
échanges sur la grossesse, l’accouchement et le quotidien des personnes
qui ont vécu ces choses. Cela peut se faire sur internet ou d’une autre
façon, peu importe. Vous voulez juste créer un endroit où la classe de
gens qui vivent la gestation, qui accouchent et qui assurent le gros du
travail domestique puisse partager des blagues, des idées, des problèmes
et des objectifs politiques, en cherchant la solidarité malgré tout ce
qui les divise. Peu importe le nom que vous donnez à ces gens ; vous ne
présumez en rien de leurs identités. L’identité n’est pas la raison
d’être de cette communauté (et oui, il se peut que vous ne compreniez
pas le sens d’un tel espace commun, mais ce n’est pas une raison pour
l’empêcher d’exister).
Imaginez maintenant votre groupe cinq ans plus tard.
Dix ans plus tard. Soyez honnête. Que diraient les gens à son sujet ?
Comment percevraient-ils votre autorité et celle de vos membres ?
Auriez-vous vraiment, réellement rompu avec l’image du cercle démoniaque
des fileuses, des sorcières, du lieu inquiétant où ces personnes
s’assemblent ?
Est-ce que vos expériences et vos souhaits politiques
bénéficieraient d’un espace à vos propres conditions ? Arriveriez-vous
encore à y conserver la parole ? Et si vous pensez que la réponse est
oui, je vous défie de le faire. Je voudrais que cela fonctionne. Mais
pendant que nous attendons, le reste d’entre nous devra faire avec ce
qui existe maintenant. Suis-je déraisonnable de penser que c’est la
moindre des choses à laquelle s’attendre ?
Glosswitch est une mère féministe de trois enfants qui travaille dans le monde des médias.Version originale : https://www.newstatesman.com/politics/feminism/2018/05/demonisation-mumsnet-just-latest-incarnation-witch-hunting
Traduit par TRADFEM
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