Une anthologie des textes de la grande féministe américaine Andrea
Dworkin est parue fin 2017. Souvenez-vous, résistez, ne cédez pas est
une lecture essentielle et inspirante à l’heure où les femmes se battent
pour se faire entendre et pour dénoncer les violences masculines.
Éditions Syllepse et Éditions du Remue-ménage 2017, 192 p., 15 eur.
Source : http://www.axellemag.be/andrea-dworkin-anthologie/
Éditions Syllepse et Éditions du Remue-ménage 2017, 192 p., 15 eur.
Ses textes, poignants et radicaux, ont plus de 20 ou
30 ans, mais n’ont rien perdu de leur force de frappe. Andrea Dworkin,
autrice féministe américaine morte en 2005, a laissé un nombre
impressionnant d’écrits, consacrés principalement au viol, aux violences
et à la pornographie : les grands combats de sa vie.
Elle s’est surtout fait connaître au début des années
1980 pour une proposition d’ordonnance, rédigée avec une juriste,
Catherine MacKinnon, visant à faire reconnaître la pornographie comme
une discrimination sexuelle et une violation des droits civils des
femmes. Avec l’objectif de permettre aux femmes lésées par la
pornographie de poursuivre les producteurs et les distributeurs et de
réclamer des dédommagements. Pour Dworkin et MacKinnon, le porno est
l’antichambre du viol.
Dworkin explique son combat contre le porno en ces
termes : « Je dois combattre une industrie qui encourage les hommes à
mettre en actes l’agression des femmes – leurs fantasmes –, pour
reprendre leur doux euphémisme. Et j’enrage de voir les gens accepter
partout où je vais, inconditionnellement, cette fausse idée de la
liberté. La liberté de faire quoi ? À qui ? La liberté de me torturer ?
Cela n’est pas la liberté pour moi. » Le projet d’ordonnance a toujours
été rejeté, au nom de la liberté d’expression.
Dire l’indicible
Dire l’indicible
Andrea Dworkin prend la plume avec colère. Elle est
cash, elle est crue. Mais l’indignation n’entache pas la beauté de la
langue. « Je ne voulais pas continuer à écarter les cuisses, cette
fois-ci en prose », raconte-t-elle dans son texte « Ma vie
d’écrivaine ». Et d’expliquer pourquoi elle écrit : « J’ai utilisé
l’écriture pour emmener le langage là où était la souffrance des femmes –
et leur peur – et j’ai continué mes fouilles à la recherche de mots
capables de porter le fardeau, de dire l’indicible. »
J’ai utilisé l’écriture pour emmener le langage là où était la souffrance des femmes.
Dworkin dénonce aussi dans plusieurs de ses textes
les violences masculines à l’aune de ses expériences personnelles,
marquées par la violence conjugale et la prostitution, et plus
généralement la domination des hommes dans toutes les sphères de la
société. Elle revient aussi sur un viol qu’elle a subi en prison. En
1965, elle manifeste contre la guerre au Vietnam : elle est arrêtée et
incarcérée. Deux médecins masculins lui infligent un examen interne.
« Ils m’ont déchirée à l’intérieur avec un spéculum en acier et je
voyais leur plaisir à le faire », raconte Dworkin.
Trêve sans viol
Trêve sans viol
De viol, il en est aussi question dans un texte
puissant de 1983. Invitée à une conférence d’une organisation visant à
« changer » les hommes (la « National Organisation for Changing Men »),
Dworkin appelle les 500 membres de l’assemblée masculine à faire une
trêve de 24 heures sans viol. « Je veux un jour de répit, leur dit-elle,
un jour de pause, un jour au cours duquel de nouveaux corps ne
s’amoncelleront pas. […] Même dans les guerres, il y a des jours de
trêve. Allez-y, organisez une trêve. Faites obstacle à votre camp pour
un jour. Ce jour de trêve, nous commencerons la pratique réelle de
l’égalité. »
Andrea Dworkin n’a bien sûr pas fait l’unanimité. On a
dit d’elle qu’elle était « outrancière » ou, à l’inverse,
« puritaine ». Lui était aussi reprochée sa « haine des hommes ».
Pourtant, son combat, comme elle l’expliquait, visait à ce que « tant
les femmes que les hommes fassent l’expérience réelle de la liberté. »
Dans le dernier texte de cette anthologie, qui a
donné son nom à l’ouvrage, Dworkin se réjouit que les femmes aient
atteint « le stade politique de briser le silence », qu’elles aient osé
parler, dénoncer des réalités jusqu’alors non reconnues par les
autorités. Mais elle met en garde contre un silence plus profond :
« Celui qui va au cœur de la tyrannie, qui dicte non seulement qui peut
dire quoi et particulièrement ce que peuvent dire les femmes. […] Ce
silence sur lequel sont basés les systèmes politiques, nos idées de
démocratie et d’égalité, nos principes de liberté. » Celui contre lequel
il est toujours urgent de résister, et auquel il ne faut pas céder.
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