"Je suis une femme de 22 ans qui
a vécu comme un homme pendant 3 ans et ai pris de la testostérone
pendant un an et demi. J’en suis à mon septième mois de détransition, à
ne plus prendre de T."
J’ai pris de la testostérone pour vous. Vous avez
commencé à me sourire. Vous avez fait confiance à mon cœur comme si
j’étais un petit-fils, vous avez fait confiance à mon intelligence comme
si j’étais un Vrai Garçon qui avait grandi en osant poser des questions
en classe au lieu de passer des heures après l’école à en chercher
discrètement les réponses pour moi-même. Vous avez fait confiance à mes
mains pour porter vos meubles dans le magasin d’aubaines où je
travaillais. Vous avez fait confiance à mes intentions d’être plus fort,
à mon instinct de protéger, à mon besoin de baiser, à mon droit à
l’espace personnel. Vous avez fait confiance à mon arrogance et à ma
démarche assurée. Vous avez détourné le regard du mien dans la rue. Vous
avez arrêté de me dévisager. Des couples d’âge moyen ont souri à ma
copine et moi.
À dix-neuf ans, j’ai découvert le mot « dysphorie »
au sein d’un groupe d’activistes trans à l’université. La dysphorie
expliquait mon humiliation d’être une femme. Elle expliquait pourquoi je
sentais que j’avais le droit d’être traitée comme mon frère aîné
l’avait été. Je n’étais pas libre de vivre comme je le voulais – sauf si
j’étais un garçon. Être un homme a ouvert toutes les portes contre
lesquelles je m’étais cogné la tête durant dix-huit ans. Après avoir
vécu comme un homme pendant un an et demi, j’ai décidé de commencer à
prendre des hormones puisque je recevais force soutien et encouragement
quand je m’affirmais sous ce nouveau jour. Tout s’ajustait normalement
et avait du sens, enfin. Un nouveau nom et un affichage plus visible de
masculinité étaient mon passeport dans un monde où je me trouvais enfin
sur un pied d’égalité. Dans ce monde plus radieux, je faisais partie de
la majorité. Je n’avais plus à baisser les yeux de honte.
"Oh, n’est-il pas gentil d’acheter à son amie ce coffre en cèdre au magasin d’aubaines ?"
C’est toujours à moi que le garçon apportait la facture."N’est-il pas courtois d’ouvrir la porte pour elle ?"
Nos baisers dans le parc devenaient simplement mignons.
J’ai obtenu des emplois le jour même où j’entrais dans un établissement et me présentais comme dur à l’ouvrage.
J’étais innocent jusqu’à preuve du contraire, valeureux tant que je ne dérogeais pas à cette confiance.
Des hommes me serraient la main sans délicatesse et
me regardaient face-à-face au lieu d’examiner tout mon corps. Le fait de
me dévisager dans la rue était maintenant un signe de confrontation.
Mon corps n’était plus un bien public.
On s’attendait de moi que j’exige des droits et que
je protège mon propre territoire - il était masculin et digne de respect
plutôt que trop sur la défensive. J’étais l’Américain typique, j’étais
le garçon du Sud, j’étais un être entier avec des défauts qu’avaient
tous les autres hommes. J’étais écouté et on m’allouait l’espace
nécessaire pour rassembler mes pensées sans être interrompu ou voir ma
réflexion détournée par une opinion plus qualifiée. J’étais l’expert de
ma propre expérience. J’ai découvert le privilège masculin. L’herbe de
l’autre côté était encore plus verte que ce que j’avais imaginé.
Il se peut que la transition n’ait pas été l’acte de
rébellion que j’imaginais. J’avais résisté toute ma vie alors que
j’admirais les jolies filles et que je m’asseyais les jambes écartées
pour être plus à l’aise et que je suppliais ma mère de me laisser
chercher mes vêtements dans la section des hommes. Plus précisément, la
transition a été un acquiescement final. C’était la seule façon de
rendre mon comportement normal. C’était une solution historiquement
endossée par la psychiatrie.
Cela m’a donné un tel sentiment de soulagement de
pouvoir pointer du doigt ma condition de transsexualité et de dire :
« Regardez ! Je suis né avec un défaut ! C’est un problème
physique/chimique/hormonal/du cerveau face auquel je ne peux rien
faire. » C’était traitable ; il y avait des médecins à voir, des
médicaments à prendre, et une communauté de soutien. Mes proches m’ont
affirmé qu’ils et elles « l’avaient toujours su ». Des psychologues ont
coché d’un air approbateur tous les symptômes énoncés au DSM-IV et m’ont
diagnostiqué un Trouble de l’Identité Sexuelle. Ma douleur avait un
titre et un plan de traitement. Je pouvais parler avec une autorité qui
ne faisait que rire avant la transition – au poste à essence, au
téléphone, à la serveuse, au barman, à mon propriétaire. J’étais pris au
sérieux par de parfaits inconnus au lieu d’attirer des regards ébahis,
tel un extraterrestre dans un monde de familiarité. Pourquoi n’avais-je
pas effectué cette transition plus tôt ?
Quand je regarde dans le miroir, je vois une mise en
abyme, une image dans une image. Je suis un produit de ma société, une
réaction à vos critiques et vos encouragements, je suis une salle des
miroirs reflétant vos incertitudes et vos insécurités. Je vois des yeux
qui me renvoient des questions en guise de réponses. Je vois la honte
d’être une gouine et l’exaltation d’être un garçon. Ma transition n’a
pas été une décision imprudente ou une erreur – ça a été une réaction à
ma société et à mon expérience, qui a abouti à une meilleure qualité de
vie et m’a fourni le confort d’avoir des réponses et des solutions de
rechange. Finalement, l’éveil au malajustement de vivre comme un homme
m’a permis d’examiner mon sexe dans une perspective plus globale.
Quel est mon genre ? Je m’identifie à mon sexe après
avoir été repoussé par lui toute ma vie. Mon genre est que d’avoir une
vulve a touché tous les aspects de mon existence, même quand j’ai
renversé les rôles avec la perception qu’avaient les autres de mon
corps. Mon genre est d’avoir découvert que je n’aime pas être raccord
avec les gars : passer en tant qu’homme, parler couramment la langue
macho, et que les gens présument que j’ai un pénis. En rendant mon sexe
invisible, j’ai intériorisé la misogynie. Me conformer en tant qu’homme
signifiait entendre le mot « viol » utilisé comme synonyme de
domination, d’humiliation ou d’exercice de l’autorité – et ne pas être
en mesure de dire quoi que ce soit, sans devenir incongru et déroutant
pour mes pairs masculins. Ils ne pouvaient pas imaginer les souvenirs et
les émotions que ce mot évoquait pour moi, mais je ne pouvais pas
trouver de mots pour les interpeller à partir de n’importe quel autre
perspective que celle d’une femme et de ma propre expérience
personnelle. Être un homme signifiait se vanter de « cartonner » et
écouter des versions sur-dramatisées des exploits sexuels fantasmés par
mes collègues de travail. Cela signifiait rire aux manifestations de la
misogynie qui saturait mon monde et en tirer profit. Être un homme
signifie beaucoup plus que cela, mais cet aspect particulier était celui
que je ne pouvais avaler, bien que j’aie essayé pendant trois ans au
moyen d’une haine subconsciente de plus en plus profonde de mon sexe de
naissance.
Mon genre est un effort pour atteindre et trouver une
nouvelle optique d’observation de ma réalité de statut féminin. Femme
et homme, féminin et masculin sont des expressions paradoxales,
autoréférentielles et dotées de deux visages comme le dieu Janus. Les
insuffisances du langage m’obligent à couler mon existence dans la
phrase « Je n’ai pas de genre. » Je ne joue aucun rôle de genre à
l’aveuglette mais avec une conscience et une observation minutieuse de
chaque réaction.
Depuis que j’ai fait le choix de la détransition, je
présente mon visage public en ressentant mon ambigüité. Lorsque quelque
chose d’aussi fondamental que notre sexe est incertain, c’est toute
notre identité qui est mise en question. Beaucoup d’étrangers sont
déroutés par ce point crucial, et je m’en aperçois toujours : ils ne
sont pas réellement attentifs et me détestent d’avoir une apparence qui
n’est pas aussi conviviale que celles auxquelles ils sont habitués.
Leurs yeux scrutent inconfortablement mon visage, mon corps, mes paroles
et mes gestes, à la recherche d’indices. Chaque mouvement que je fais
n’est pas de mon propre chef, mais en réaction à une question que je
préférerais ignorer. Ce n’est jamais la réponse claire qu’ils veulent.
Ils peuvent oublier que je n’ai jamais demandé à être examinée ; ils
doivent être parfaitement ignorants du fait que leurs expressions de
malaise me sont par trop familières. Leurs mains me poussent et me
retiennent sous leur microscope. Des yeux ne cessent de me scruter à
travers la lentille ; ils me dévisagent en retour partout où je vais,
sans ciller, innombrables, plus grands que nature.
Quand je suis seule, mon essence, mes paroles et mes
actions ne peuvent être compartimentées en un genre. Solitaire, je suis
un être nébuleux, heureux dans son abstraction, mais chaque fois que je
sors, je dois permettre aux autres de m’examiner sans scrupules, ce que
je déteste. Je ne me suis jamais perçue comme un phénomène de foire,
mais j’ai reçu un message très clair de mes parents, enseignants, amis,
employés aéroportuaires et de mes collègues de travail : une "femme" ne
peut tout simplement pas être configurée comme je suis. J’ai essayé de
devenir quelque chose d’autre, quelque chose de compréhensible, de
prévisible et de digeste. Maintenant, je choisis de vous dévisager en
retour, de vous défier, et je n’offre aucune définition, explication ou
excuse pour ce que je suis.
Source : Blog http://twentythreetimes.tumblr.com/post/53375349806/staring-backTraduction : Martin Dufresne
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