par Catherine Albertini, chercheure et membre de Choisir la cause des femmes
1. Claudine Legardinier, « Handicap : accompagnement sexuel ou prostitution ? », Prostitution & Société, décembre 2008.
2. Alain Accardo, De notre servitude involontaire, « contre-feux », Agone 2001.
3. Marcel Nuss, Handicap et sexualité : que ceux qui en ont envie puisse en bénéficier, Libération, 25 février 2011
4. Paul Feyerabend, Tuer le temps, Seuil 1996
« Etant donné les films pornos que visionnent les
personnes handicapées dans les établissements, le sexe qui s’étale
partout, comment leur refuser ce qui est promis à tous ? » Marcel Nuss
cité par Claudine Legardinier, Prostitution & Société, décembre
2008.
En France la question d’un accompagnement sexuel pour
les personnes handicapées est posée depuis qu’un député UMP,
Jean-François Chossy, prépare une proposition de loi visant à créer un
statut « d’aidant-e sexuel-le » à leur bénéfice. Si l’association de
femmes handicapées « Femmes pour le dire, femmes pour agir » y est
fermement opposée, Marcel Nuss fondateur de « Handicap et autonomie »
est le lobbyiste acharné du droit des handicapés aux services sexuels.
Droit que la société devrait prendre en charge en relevant le montant
des allocations dont ils sont bénéficiaires. Il serait pour le moins
étrange que cette revendication financière aboutisse, à l’heure, où,
pour des raisons de restrictions budgétaires, tous les enfants
handicapés ne peuvent être scolarisés en milieu ouvert - condition de
leur intégration sociale et de leur autonomie future - faute de postes
suffisants d’auxiliaires de vie scolaire.
Mais que l’on ne s’y trompe pas, cette revendication
de droit aux services sexuels n’est rien moins que la revendication
d’égalité sexuelle entre hommes, handicapés comme valides, les
handicapés voulant accéder aux mêmes droits sexuels que les hommes
valides ce qui comprend entre autre le droit d’accéder au sexe des
femmes dans la prostitution. Il s’agit davantage de revendiquer un droit
« naturel » sur le corps des femmes que de revendiquer un droit au
plaisir puisque celui-ci ne saurait jamais être garanti. Quand un homme
se pose en victime il réclame des droits sur les femmes. Ce qui est en
jeu ici, c’est donc la reconnaissance de la prostitution comme service
social au bénéfice exclusif des hommes puisque la demande est
spécifiquement masculine (une seule demande féminine a été enregistrée
en 10 ans !). (1)
Le désir – intransitif - construit comme besoin se
mue en droit, rétrécissant la sexualité en génitalité et, par l’alchimie
de la transsubstantiation, la prostitution devient un mode privilégié
d’accès à la sexualité du masculin métamorphosant le proxénétisme en
principe organisateur de la compassion sociale chargé d’acheminer les
denrées féminines disponibles à leurs utilisateurs-clients. La société
compassionnelle du « tout marché capitaliste (…) tend ainsi aveuglément à
réduire les êtres humains à du bétail qu’on mène de la crèche à la
pâture, de la pâture à la saillie et de la saillie à l’abattoir. » (2)
Le système prostitutionnel qui crée pour une part les
besoins, désirs mimétiques, fantasmes formatés par la pornographie, et
leur satisfaction en mettant des femmes réelles à la disposition de
clients qu’il a contribué à conditionner à la consommation, n’osait
rêver d’une telle reconnaissance de son utilité sociale. Jusque là, le
système se contentait de mettre en avant le droit des femmes prostituées
à disposer librement de leur corps, renversant la situation effective
de ces femmes dont le corps est mis à la libre disposition de clients
solvables. Cette légitimation compassionnelle du système prostitutionnel
rendrait de facto impossible toute forme de lutte contre les industries
du sexe dont les femmes et les adolescentes sont les principales
victimes à cause d’un accident chromosomique. Le principe de non
discrimination serait aussitôt mis en avant par les valides car tout le
monde peut, dans le domaine de la sexualité, se proclamer peu ou prou
handicapé, trop timide, trop petit, trop laid, trop complexé etc...
Marcel Nuss ne se pose pas la question de l’égalité
entre les sexes dans la sexualité, il invoque la souffrance de l’homme
dont les « besoins ne sont pas entendus », il prend comme argument que
« ça se fait ailleurs ». Effectivement, ces services sont prodigués dans
les pays où la prostitution est regardée comme un droit de l’homme pour
les hommes : les Pays-Bas, l’Allemagne ou la Suisse. Dans un entretien
au quotidien Libération, toujours à l’avant-garde en ce qui concerne la
défense des droits des minorités et à la traîne pour ce qui est de
l’égalité sexuelle réelle entre les deux sexes, il compare « les
blocages actuels à ce qui s’est passé en 1975 au moment où a été voté la
loi qui a légalisé l’avortement sous certaines conditions. » (3)
Dans cette logique la légalisation de l’avortement -
c’est à dire le droit des femmes à refuser une grossesse non désirée -
équivaudrait au droit des hommes à la prostitution. Cet argument, déjà
utilisé lors du débat sur la gestation pour autrui, ressemble à s’y
méprendre à un retour de balancier en faveur du droit ancestral des
hommes à disposer librement du corps des femmes à des fins sexuelles
et/ou reproductives. Les féministes qui luttaient dans les années 70
pour l’accès à la contraception et le droit à l’avortement ne
demandaient qu’une chose : le droit de pouvoir, comme les hommes,
investir leur propre existence, d’être à elles-mêmes leur propre projet
plutôt que de servir ceux d’un tiers – un fœtus non désiré par exemple -
avec tout ce que cela implique matériellement et temporellement comme
de vivre une grossesse, un accouchement, prodiguer des soins, avoir à
assumer la responsabilité d’une éducation. Or ce droit, on l’oublie
systématiquement, tous les hommes qu’ils soient valides ou handicapés,
l’ont en naissant.
Dans une société qui prône les valeurs de liberté
d’égalité et de fraternité entre tous les citoyens hommes et femmes, la
sexualité ne s’achète pas, tout simplement. Le handicap n’est pas en soi
une impossibilité absolue à entrer dans une relation de partage et de
réciprocité. Paul Feyerabend, un des principaux philosophes des sciences
du XX siècle, rendu handicapé à vie et impuissant à 19 ans lors de la
seconde guerre mondiale, marié à plusieurs reprises au cours de sa vie
apporte, dans son autobiographie, ce témoignage : « Quand je me
retrouvais au lit (…) je devenais très attentif à tous les gestes que
j’observais, à tous les sons que j’entendais et essayais de donner
satisfaction avec des moyens différents de la procédure standard (en
supposant qu’il existe une procédure standard). Il semble que j’y
réussissais, en tout cas à certaines occasions. (…) Alors que j’aimais
les étapes initiales d’une rencontre et que j’étais plus qu’heureux de
suivre les indices et les instructions explicites qui m’étaient donnés,
je n’ai jamais eu d’orgasme moi-même. » (4)
Notes1. Claudine Legardinier, « Handicap : accompagnement sexuel ou prostitution ? », Prostitution & Société, décembre 2008.
2. Alain Accardo, De notre servitude involontaire, « contre-feux », Agone 2001.
3. Marcel Nuss, Handicap et sexualité : que ceux qui en ont envie puisse en bénéficier, Libération, 25 février 2011
4. Paul Feyerabend, Tuer le temps, Seuil 1996
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