L’association SOS les MAMANS
m’a fait parvenir le témoignage de Ève, une maman piégée dans une
résidence alternée qui lui a été imposée à elle et à l’un de ses
enfants. Ce témoignage m’a amené à me demander combien de situations de
ce type existent, combien de décisions de résidence alternée sont
imposées par an en France. Imposées, pour parler des cas où le juge
prend cette décision de résidence alternée suite à la demande de l’un
des parents, alors que l’autre n’est pas d’accord.
Commençons par le témoignage d’Ève, avant de passer à l’estimation statistique.
Je me suis installée avec mes enfants dont j’avais
obtenu la garde en accord avec leur papa dans la région de mon nouveau
compagnon. Très vite son comportement change, mais je ne vois rien
venir. Il était très charismatique et j’étais sous le charme. Je tombe
enceinte, les ennuis commencent alors comme si cette grossesse avait
réveillé chez lui une vieille blessure. Des humiliations de plus en plus
appuyées, un isolement, du chantage, des menaces tombent régulièrement.
Je suis blessée lors d’une altercation où il cherchait à s’en prendre à
un des enfants. J’avais demandé de l’aide à la gendarmerie mais fut mal
reçue. Mon compagnon quitte assez vite le domicile suite à mon dépôt de
plainte pour coups et blessures. Sur ma plainte sont évoquées toutes
les années de violences, la présence d’armes à feu et les menaces d’en
faire usage sur des membres de ma famille. Mais en dissociation pendant
le dépôt de plainte celle-ci est mal circonstanciée. Elle sera donc
classée sans suite 18 mois après, bien après le passage devant le JAF
[Juge aux Affaires Familiales], et malgré une ITT [Incapacité Totale de
Travail] conséquente et une prise en charge immédiate en
psycho-traumatologie. Personne n’interrogera les enfants témoins.
Donc une semaine après son départ il me déclare
vouloir tout faire pour m’empêcher de quitter la région et m’assigner à
résidence conseillé par une association de pères. Il demande donc la
résidence alternée pour notre enfant en commun âgé de 3 ans et demi. A
ma grande surprise la garde alternée est accordée car nos domiciles sont
proches, les violences non prises en compte. La séparation de la
fratrie n’est pas motivée dans le jugement. Pas d’enquête sociale ni
d’enquête psy. Aujourd’hui mon enfant est en souffrance. Il se ronge les
ongles et s’arrache les cheveux. Il fait des cauchemars le vendredi et
samedi soir. Le dimanche après-midi il pleure avant de partir, j’essaye
de le rassurer. Quand il revient il se montre ordurier et agressif, cela
dure en général ½ journée ; il dit que je l’ai abandonné et que je
n’aurai jamais du laisser faire ça. Il est suivi du coup par un
psychologue. Son papa le confie plus de 30 heures par semaine à un tiers
qu’il ne connaissait pas avant la séparation et alors que je suis
disponible pour m’en occuper lorsque son papa est au travail, ce qui lui
permettrait de voir la fratrie. Le petit garçon ne comprend pas qu’il
aille chez cette personne alors que nous sommes disponibles pour lui. Un
des autres enfants refuse de s’alimenter correctement depuis la mise en
place de cette GA [Garde Alternée], souffrant d’être séparée de son
petit frère ; ils ont toujours été très proches. Nous sommes d’autant
plus fragilisés que nous sommes isolés dans cette région, loin de notre
famille et de nos amis. Cette résidence en alternance m’empêche de
trouver du travail, je vis dans une région où il y a peu de possibilité
d’emplois ; la GA accentue donc ma précarité. Je suis locataire et il
me sera difficile de trouver un logement plus grand peu onéreux dans
cette commune d’autant que le papa de mon enfant a le droit de poser son
veto, il faut l’accord des deux pour le déménagement. Le papa de mon
enfant refusait catégoriquement que je travaille lorsque nous vivions en
couple et a exigé que je prenne un congé parental de trois ans.
Aujourd’hui il m’interdit toute profession où je risquerais de rentrer
en contact avec notre enfant lorsque ce n’est pas ma semaine de garde.
Mais la commune est petite et nous apercevons parfois le petit avec le
tiers sans avoir l’autorisation de lui parler. C’est comme si cet enfant
n’avait plus de frères et sœurs et de maman quand c’est sa semaine chez
son papa. Il me le dit d’ailleurs, « quand je suis chez mon papa toi tu
es morte ». Les violences se sont accentuées du fait du papa depuis la
mise en place de cette GA : il me hurle dessus régulièrement au
téléphone, fait feu de tout bois, me reproche l’alimentation, la coupe
de cheveu du petit, les traitements médicaux des médecins. Il me harcèle
au téléphone 7 jours sur 7 sous couvert de l’autorité parentale
conjointe et du droit de communication avec l’autre parent. Quand je
refuse de lui parler il demande à l’enfant de me poursuivre avec le
téléphone et je l’entend vociférer. Que dire de plus : mettre en place
une résidence en alternance pour un enfant si jeune qui a assisté aux
violences intra-familiales et qui assiste toujours régulièrement aux
violences est inadmissible. Quant à moi personne ne peut imaginer le
calvaire que c’est d’être à la merci de mon ex-bourreau. Certains jours j’aurais préféré qu’il m’achève après les violences, c’est trop dur.
Combien de situations similaires par an en France ?
Chaque année en France, 400 000 nouvelles procédures
sont engagées auprès des chambres de la famille des Tribunaux de Grande
Instance. Sur ces 400 000 procédures, 130 000 sont des divorces
prononcés.
Dans la base de dossiers du Collectif Onze, ayant
mené une enquête dans plusieurs tribunaux sur la Justice aux Affaires
Familiales de 2009 à 2011 (Collectif Onze, Au tribunal des couples,
Odile Jacob, 2013), 1/3 des divorces prononcés n’impliquaient pas
d’enfants. Donc, par estimation, environ 86 666 divorces prononcés
impliquaient des enfants chacune de ces années-là.
Passons maintenant aux cas de séparations. 190 000
jugements par an concernent la prise en charge des enfants dans des
séparations de couples non mariés ou déjà divorcés. Parmi ces 190 000
jugements, environ 130 000 concernent l’autorité parentale et le droit de visite. L’étude du Ministère de la Justice de novembre 2013
consiste en une analyse de toutes les décisions relatives à la
résidence des enfants en France pendant 11 jours, et peut donner une
idée de ce qu’il en est pour une année entière.
Note : en divisant le nombre de cas obtenus sur 11
jours par 11 et en le multipliant par 365 pour arriver à une estimation à
l’année, on arrive au même résultat que celui exposé ci-dessous. On
remarque que les pourcentages concernant la résidence des enfants sont
différents entre les procédures de séparations et les procédures de
divorces, et également parmi les différents types de procédures de
divorces. On se base ici sur les pourcentages généraux de l’étude du
Ministère de la Justice qui prennent en compte l’ensemble des procédures
concernant la résidence des enfants.
L’analyse indique que parmi toutes les procédures – y
compris les divorces prononcés – concernant la résidence des enfants,
les parents sont en désaccord dans 10 % des cas. Parmi ces 10 %, dans
12 % des situations une résidence alternée est fixée.
Pour
obtenir une estimation assez précise sur 2007, il faut donc additionner
122 375 procédures concernant l’autorité parentale et le droit de
visite + 76 490 divorces prononcés impliquant des enfants mineurs
pour l’année 2007 = 198 865 procédures impliquant des enfants. Pour 12 %
de résidence alternée parmi 10 % de désaccords, cela fait donc 2383 cas
environ.
Pour obtenir une estimation sur 2009-2011, moins
précise cependant – les statistiques de l’enquête Au tribunal des
couples ne sont pas globales comme celles de 2007 – il faut donc additionner 130 000 environ
+ 86 666 pour les années 2009-2011 = 216 666 procédures impliquant des
enfants. Pour 12 % de résidence alternée parmi 10 % de désaccords, cela
fait donc 2600 cas environ.
En tout, il y aurait entre 2 400 et 2 600 cas
de résidence alternée imposée par an, si l’on prend en compte toutes
les procédures impliquant des enfants, qu’il s’agisse de séparations ou
de divorces prononcés.
Il reste à préciser une chose : dans les situations
de désaccord, les mères demandent très rarement la résidence alternée :
pour 17 % des enfants lorsque la résidence alternée est demandée par un
des deux parents, pour 7 % des enfants sur tous les cas de désaccord.
Elles l’obtiennent dans a priori moins de la moitié des cas où elles la
demandent : pour 5 % des enfants lorsque la résidence alternée est
demandée par un des deux parents, pour 2 % des enfants sur tous les cas
de désaccord. Attention : dans le tableau ci-dessous, l’unité de compte
est les enfants, pas les décisions… et logiquement, le nombre de
décisions est inférieur au nombre des enfants.
En conclusion, la situation que vit Ève ne semble
malheureusement pas exceptionnelle. Il faut rappeler que neuf mères
séparées sur dix subissent au moins des atteintes verbales, insultes et
menaces de la part de leur ex-conjoint. Pourquoi, alors, le lien est-il
si rarement fait entre ces milliers de situations de résidence alternée
imposées, permettant à l’agresseur de maintenir son emprise, et la
violence envers les femmes et les enfants ? Pourquoi les promoteurs de
la résidence alternée évoquent-ils si rarement la violence masculine, hormis pour la relativiser (notamment en parlant d’accusations mensongères, de fausses allégations…) ?
Dans le rapport sur les réflexions du groupe de travail sur la coparentalité de janvier 2014, on peut lire, page 6 :
En dépit de demande de plusieurs membres, il n’a pas
été consacré de séance particulière à certaines thématiques telles que
la prévention et la lutte contre les violences conjugales, les pensions
alimentaires ou le statut du beau-parent, ces questions ne relevant pas
directement de la mission confiée au groupe de travail. Toutefois, la
problématique des violences conjugales a été évoquée au gré des
différentes questions soumises au groupe de travail.
C’est en réalité sous la pression des groupes dits de défense des droits des pères que cette problématique des violences conjugales a été écartée… Faut-il s’en étonner ?
Source : http://alexvigne.wordpress.com/2014/05/21/residence-alternee-imposee-un-temoignage-et-une-estimation-statistique/
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