Par MEGHAN MURPHY
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(Photo promotionnelle de l’entreprise Doll House Pole Fitness) |
Depuis lundi, le personnel de la maison canadienne
d’hébergement pour femmes London Abused Women’s Centre (LAWC) a été
inondé de commentaires hostiles sur leur page Facebook. Même s’il serait
normal de présumer que les ennemis naturels d’une organisation
féministe comme celle de London sont des hommes, vous auriez tort de le
faire. Les centaines de commentaires reçus étaient signés de noms de
femmes, qui se qualifient de « polers ».
Les « polers », pour celles et ceux qui ne le savent
pas (et je vais me hasarder à suggérer que 99,999% de la population n’en
avait aucune idée), ne sont pas le nom que se donnent les lutins du
Père Noël au pôle Nord, ni une qualification professionnelle des
employé.e.s de Dynapole, principal fabricant canadien de lampadaires
routiers. Non. Le mot « poler » est ici une expression (assez cocasse,
reconnaissons-le) créée et utilisée par les praticiennes de pole
dancing, qui se désignent également dans la « communauté du poteau »
comme « artistes du poteau », « performeuses du poteau » et « athlètes
du poteau ». Un autre fait amusant à propos des « polers » : elles
n’aiment vraiment pas les féministes.
Jusqu’à la semaine dernière, je ne savais rien de
tout cela. Je savais que des leçons de le pole dancing étaient
maintenant offertes à des femmes et des filles d’aussi peu que huit ans,
et que les pourvoyeurs de leçons de conditionnement physique
présentaient la « pole fitness » comme une forme d’exercice tout à fait
neutre, en dépit du fait qu’elle est vendue presque exclusivement aux
femmes et que la tenue d’exercice recommandée comprend ce que l’on
appelle communément des « talons de striptease » (même lorsque les
« polers » sont de très jeunes filles). Mais je ne connaissais pas leur
jargon ampoulé, le fait qu’il existait une « communauté de polers », ou
l’idée que des « polers » souhaitaient être incluses dans le mouvement
féministe, en dépit de leur dégoût apparent pour lui.
Mais lundi dernier, tout cela a surgi en pleine
lumière lorsque le London Abused Women’s Centre s’est retiré du défilé
annuel Take Back the Night (TBTN), après que le Women’s Events Committee
(organisateur du défilé de cette année) ait annoncé son intention
d’intégrer à cet événement une « démonstration de pole fitness ».
En privé, les femmes du LAWC avaient déjà expliqué au
WEC qu’elles ne trouvaient pas que le pole dancing convenait réellement
au contexte de TBTN, mais certains membres de ce comité ont affirmé
vouloir « demeurer pertinentes pour les féministes plus jeunes » en
estimant que c’était un moyen de le faire, nous a dit Megan Walker,
directrice générale du LAWC.
La manif annuelle Take Back the Night a débuté au
cours des années 1970 comme forme de protestation féministe contre la
violence masculine infligée aux femmes. Bon nombre des premiers
événements ont ciblé la pornographie et d’autres formes de violence
anti-femmes qui sont courantes dans l’industrie du sexe. Par exemple,
l’an dernier, à Vancouver, les femmes ont défilé sur la rue Granville,
un haut lieu de cette industrie. On pouvait lire sur nos pancartes :
« La pornographie est de la propagande contre les femmes », « La
prostitution est une violence contre les femmes » et « Les prostitueurs
sont des salauds ». Nous nous sommes arrêtées en face d’un club de
striptease et d’un sex-shop, et certaines de nos sœurs ont entouré ces
bâtiments de ruban avertisseur, pour protester contre les messages
d’oppression et les impacts que l’objectification impose partout aux
femmes.
En d’autres termes, TBTN a toujours adopté une
approche holistique en matière de violence faite aux femmes. Plutôt que
de retirer de leur contexte divers problèmes et leurs incidences, les
féministes ont rendu visibles des liens indéniables entre
l’objectification, le pouvoir masculin, la culture de viol et la
violence conjugale. C’est pourquoi, lorsque le WEC a proposé une
démonstration de pole dancing (à confier à l’entreprise The Pole House),
le LAWC a immédiatement fait objection. Le comité n’a pas tenu compte
de ce désaccord et a lancé sa proposition sur les médias sociaux (d’une
manière particulièrement biaisée, en affirmant que le pole dancing était
une forme d’exercice axée sur l’« autonomisation » et un moyen pour les
femmes de « se réapproprier leur corps »). Le WEC en a également
profité pour dénigrer publiquement le LAWC et pour marginaliser sa
position dans le processus de décision. C’en était trop pour les femmes
du LAWC, qui ont déclaré sur Facebook :
« Les exercices de pole fitness sont issus de celui
pratiqué dans les clubs de striptease où des femmes, qu’elles y soient
par ‘choix’ ou non, sont sexuellement objectifiées par des hommes. Elles
sont zyeutées et manipulées par des hommes qui ne voient en elles que
des objets de gratification sexuelle. Des femmes et des filles sont
également amenées par la traite sexuelle dans les clubs de striptease et
d’autres secteurs de l’industrie du sexe. Les exercices de pole fitness
ne peuvent être isolés de cet historique et de ce contexte. »
Des « polers » ont réagi en affirmant que leur
pratique était autonomisante parce que des femmes en faisaient le
« choix », sans que personne ne les y « force » ou les « trompe », et
parce que c’était « une expression de la sexualité féminine ». Mais
« choisir » de participer à une activité donnée ne rend pas
nécessairement cette activité féministe. Au-delà de cela, on peut se
demander pourquoi toutes ces pratiques présentées aujourd’hui comme des
« expressions de la sexualité féminine » (du burlesque au pole dancing,
jusqu’aux selfies sexy que des jeunes femmes affichent sur Instagram)
semblent ancrées si profondément dans des représentations centrées sur
les hommes de la sensualité. Pourquoi notre prétendue « autonomisation
sexuelle » ressemble-t-elle à ce point à l’imagerie porno que les hommes
imposent depuis si longtemps aux femmes ? Le simple fait que nous
choisissons maintenant de nous y plier, de notre propre gré, ne change
pas le message : cela signifie juste que nous l’avons intériorisé.
On peut aussi se demander pourquoi, si le WEC était
si intéressé à souligner les capacités athlétiques des femmes et à faire
valoir leur autonomisation par le sport, il a spécifiquement choisi de
mettre exclusivement l’accent sur une forme de « conditionnement
physique » lourdement sexualisée et dont la première raison d’être est
de fournir aux hommes des érections. Pourquoi ne pas avoir plutôt invité
des femmes haltérophiles ou des joueuses de football, par exemple ?
Pourquoi est-ce que les féministes dites de la troisième vague (la plus
étroitement alignée avec les « jeunes femmes » que le Comité cherche à
atteindre) semblent seulement en mesure de concevoir des formes
d’« autonomisation » qui sont assurées de plaire aux hommes ? Pourquoi
prendre la peine de prétendre « se réapproprier » des pratiques sexistes
quand il y a tant d’autres activités marrantes et autonomisantes qui
ont rien à voir avec des performances sexualisées centrées sur les
intérêts des hommes ? Pourquoi pas une démonstration de femmes en
skateboard (ce sont de vraies battantes) ou, mon choix préféré, pas de
sport du tout, mais de la bière… ?
En réponse à la déclaration du LAWC, The Pole House a
décidé de se retirer de l’événement TBTN de London. En lieu et place,
l’entreprise a annoncé sur Facebook qu’elle prévoyait « organiser une
journée portes ouvertes le samedi 1er octobre, où les personnes qui
veulent en savoir plus sur le pole dancing pourront venir faire l’essai
d’une leçon gratuite ». On suppose que c’est par pur respect pour les
milliers de femmes assassinées, battues et violées par des hommes chaque
année (soit la raison d’être de TBTN) que The Pole House a choisi
d’intituler effrontément son événement Take Back the Pole.
TBTN a eu lieu jeudi dernier, sans démonstration de
pole fitness, mais le mal était fait. Quelqu’un a même été jusqu’à créer
une illustration selon laquelle le LAWC refusait de venir en aide aux
femmes qui sont prostituées, danseuses de striptease ou qui font du pole
dancing. Pour aggraver cette calomnie, cette image accusait le LAWC de
considérer que les femmes présentes dans l’industrie du sexe méritaient
d’être violées. Ces mensonges blessent non seulement une organisation
antiviolence qui aide et soutient réellement toutes les femmes, mais
elle nuit aussi aux femmes agressées ou autrement victimes qui
pourraient voir cette image et penser que les portes du LAWC leur sont
fermées d’avance. Il s’agit d’un mensonge venimeux qui ne peut que
désavantager les femmes. Est-ce que la protection du pole fitness est
plus importante que la protection de la vie des femmes ?
Le pole dancing est né dans le club de striptease, un
endroit dont la seule fonction est d’exploiter des femmes pour le
plaisir des hommes. Ce n’est pas quelque chose que le mouvement des
femmes doit « se réapproprier » ; c’est une chose à laquelle nous devons
mettre un terme. Il y a tellement d’autres façons de célébrer les
femmes que de s’exhiber l’entrejambe sur une scène ou multiplier des
contorsions au sol en talons de stripteaseuse.
Au lieu de répéter des prétentions vides de sens sur
« l’autonomisation personnelle », demandez-vous quel est le véritable
fonctionnement du pouvoir. Voici une question qui devrait vous guider
dans la bonne direction : à quand remonte la dernière fois où un homme a
cherché à acquérir du pouvoir en se livrant à une routine de gym sur
des talons aiguille de sept pouces ?
Version originale : http://www.feministcurrent.com/2016/09/18/pole-dancing-perpetuates-sexism/
Lire aussi la version française d’une lettre ouverte de solidarité avec les femmes du LAWC sur le site de TRADFEM : https://tradfem.wordpress.com/2016/09/21/lettre-ouverte-de-solidarite-internationale-avec-les-femmes-du-london-abused-womens-centre/
Source : https://ressourcesprostitution.wordpress.com/2016/09/20/que-vous-le-vouliez-ou-non-le-pole-dancing-perpetue-le-sexisme/
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