PROSTITUTION : QUI SONT VRAIMENT LES PURITAINS ?
Par Sporenda
Par Sporenda
Il est pratiquement impossible de trouver un
article défendant la prostitution où ne figure pas le qualificatif de
« puritaines » employé pour désigner les abolitionnistes.
Bien sûr, la plupart de ceux qui lancent ce mot dans
le débat n’ont pas la moindre idée de ce qu’était le puritanisme
historique et semblent croire que ce mot est synonyme de répression
sexuelle et de croisade contre la prostitution.
Dans le contexte actuel où le vote de la loi Olivier a
exacerbé ces accusations de puritanisme, il est important d’examiner la
relation entre puritanisme et prostitution et en particulier de
déterminer si les Puritains étaient aussi opposés à la prostitution et
aussi « réprimés sexuellement » que semblent le croire les
anti-abolitionnistes.
QUI ETAIENT LES PURITAINS, BREF RAPPEL HISTORIQUE …
QUI ETAIENT LES PURITAINS, BREF RAPPEL HISTORIQUE …
En Grande-Bretagne, l’ère victorienne — qui consacre
le triomphe des valeurs familiales bourgeoises en réaction aux
« mœurs licencieuses » de l’aristocratie sous la Régence- est
considérée comme l’ère puritaine par excellence.
Il est alors prescrit aux femmes « bien » de se
consacrer entièrement à leurs devoirs de mère et d’épouse : renvoyées à
la sphère domestique, elles n’ont pas d’existence civile, sont
totalement dépendantes de leurs maris et leur assujettissement conjugal a
rarement été aussi complet. Les biens de la femme deviennent propriété
du mari lors du mariage et le restent même si elle quitte le domicile
commun pour échapper à ses violences, et dans ce cas il a le droit de la
kidnapper pour la récupérer et de la séquestrer.
Ces épouses bourgeoises peuvent d’autant mieux se
consacrer à leur vocation d’« anges du foyer » qu’elles sont censées
ne pas ressentir de désir sexuel, ou peu : « the majority of women are
not much troubled by sexual feelings of any kind” écrit le vénérologue
William Acton ( “The Functions and Disorders of the Reproductive
Organs”). Qui ajoute : « l’amour du foyer, des enfants et des devoirs
domestiques sont les seules passions qu’elles ressentent ».
C’est une idée communément admise alors que « les
femmes sont pures mais pas les hommes » car elles ne sont pas soumises à
la tyrannie des instincts sexuels (William Makepeace Thackeray, auteur
du roman qui a inspiré le film « Barry Lyndon », »Pendennis”). De ce
fait, elles sont assignées au rôle de gardiennes de la morale—c’est
elles qui doivent purifier les hommes et les garder sur le droit
chemin, notamment par les liens sacrés du mariage. Et c’est justement
parce qu’elles sont pures que le Premier ministre Gladstone affirme
qu’elles ne doivent pas voter : la brutalité des joutes politiques
offusquerait leur délicate sensibilité. Cette notion de la femme sans
libido est un apport du puritanisme victorien et n’était pas
généralement admise au XVIIIème siècle.
Si les épouses sont tenues à la fidélité conjugale,
les époux continuent par contre d’avoir toute liberté de pratiquer tous
types d’ébats sexuels avec des femmes autres que la leur, et la loi
sur le divorce (passée en 1858) qui ne reconnaît pas l’adultère de
l’homme comme motif de divorce–contrairement à celui de la
femme–sanctionne cette liberté.
Des autorités religieuses de l’époque peuvent bien
porter une condamnation morale contre la prostitution mais aucun
victorien ne songe sérieusement à s’y opposer : elle est jugée
regrettable mais inévitable, « un mal nécessaire pour protéger la
pureté des filles et des femmes et la sainteté du mariage », écrit
encore Acton. S. Kent précise que ce mal nécessaire « protège les
femmes pures qui sinon pourraient involontairement provoquer le mâle à
les violer » (Susan Kent, “Sex and Suffrage in Britain”).
Le même auteur ajoute qu’elle est absolument
indispensable parce qu’elle sert une finalité biologique : elle répond à
« l’urgence des pulsions masculines et à la nécessité de les
soulager ».
Dans ce discours victorien, les pulsions sexuelles
masculines sont à la fois impératives et fondamentalement dangereuses :
les hommes sont « par nature » sexuellement agressifs, aucune femme
n’est à l’abri, et si cette agression sexuelle tous azimuths n’était pas
canalisée, les femmes respectables elles-mêmes pourraient en être la
cible.
Cet argument de la prostitution qui protégerait les
femmes contre le viol figure toujours en vedette dans l’argumentaire des
défenseurs actuels de la prostitution. Et selon eux, ce risque de viol
proviendrait identiquement des « pulsions masculines incontrôlables ».
Dans la version moderne, les hommes seraient esclaves de leur
testostérone (ou de la nécessité physiologique de vider leurs
testicules), régis par des déterminismes biologiques qui les poussent à
commettre des violences sexuelles et qu’ils seraient impuissants à
maîtriser.
Evidemment, le postulat des pulsions sexuelles, même
dangereuses, qui ne doivent pas être réprimées ne concerne ni les
femmes, ni les homosexuels ni les hommes de couleur.
Dans une telle situation où tout homme pourrait
violer n’importe quelle femme, le droit de propriété exclusif des maris
sur leurs épouses ne serait plus garanti, ce qui déchaînerait des
affrontements pour la possession des femmes : la solidarité masculine
serait rompue.
Pour concilier préservation du pacte patriarcal et
soulagement pulsionnel masculin, le discours victorien préconise que
celui-ci soit dirigé vers certaines catégories de femmes dont le viol
est jugé sans conséquence : celles qui appartiennent aux classes
inférieures qui—ça tombe bien—sont considérées à l’époque comme
hypersexuées, donc faites pour ça.
Dans cette logique, une catégorie de femmes –les
putains—est désignée comme cible légitime des agressions sexuelles
masculines et doit être sacrifiée pour préserver l’autre—les épouses ;
cette nécessité de « faire la part du feu » en définissant deux types de
femmes, celles que l’on peut violer et celles que l’on ne peut pas
violer, est clairement exprimée dans des textes de l’époque qui
constatent que, regrettablement, le « sacrifice des femmes pauvres à la
lubricité masculine » est inévitable.
C’est le fait même que le puritanisme victorien
fétichise la pureté des femmes tout en légitimant le libertinage des
époux qui rend indispensable l’existence d’une classe de prostituées
censées servir d’abcès de fixation aux pulsions masculines. Loin de
s’opposer à la prostitution, les victoriens la considèrent donc comme
absolument indispensable à la protection de la chasteté féminine, de la
famille et de l’ordre moral.
Dans la vision puritaine de la prostitution, celle-ci
n’est pas un simple privilège masculin, elle est une institution
d’utilité publique (4 On trouve originellement cette conception de la
prostitution comme mal nécessaire pour le bien commun dans des écrits
chrétiens comme ceux de Saint Augustin et Saint Thomas d’Aquin..)
Si cette question de la prostitution préoccupe
beaucoup les victoriens, ce n’est pas parce qu’ils veulent la réduire
mais au contraire l’organiser et la réglementer. C’est ce qui est fait
avec les « Contagious Diseases Acts » dès 1864, passés dans le but
d’augmenter le contrôle social sur les prostituées, vues comme
dangereuses à cause des maladies vénériennes qu’elles sont censées
propager et de la criminalité qui se développe autour de leur commerce.
La seule prostitution que les législateurs veulent
faire disparaître, c’est la prostitution de rue qui crée des désordres
et dont la vue les choque : ils veulent la rendre invisible en obligeant
les prostituées à exercer dans des lieux clos. Ils veulent aussi que
disparaisse la prostitution « sauvage » et pour cela, les filles
devront être enregistrées auprès des services de police. D’après les
historiens, ces réformes n’auront guère pour résultat que d’augmenter le
pouvoir des proxénètes sur les « filles publiques ».
Bien sûr, si l’Angleterre et la France (dont
s’inspirent les Anglais) sont prises alors d’une véritable frénésie
règlementariste, ce n’est pas pour protéger les prostituées. Ce qui
motive l’approche règlementariste, c’est la protection des hommes, en
particulier de leur santé en tant que clients susceptibles d’être
infectés par des MST : des informations alarmantes circulent sur le taux
de contamination de la population masculine, en particulier des
soldats : 1 sur 3 serait affecté, la syphilis saperait l’aptitude au
combat de l’armée britannique et produirait des individus dégénérés.
Suite aux Contagious Diseases Acts, les prostituées enregistrées ayant
pour clients des soldats ou des marins sont désormais soumises à des
visites médicales régulières et la police peut contraindre à un examen
médical et à un séjour prolongé en hospice toute femme prostituée ou
suspectée de l’être. Examen qui ne concerne évidemment pas les clients
responsables de leur contamination.
Cette idée que la prostitution est socialement utile
mais doit être encadrée par des règlements stricts pour réduire ses
nuisances (comme le racolage dans les quartiers bourgeois) est toujours
soutenue par les anti-abolitionnistes. Bien que le règlementarisme
historique n’ait pas davantage réussi à faire disparaître la
prostitution sauvage qu’à réduire la propagation des maladies
vénériennes, un mouvement néo-règlementariste a fait sa réapparition il y
a une vingtaine d’années et ses positions ont obtenu gain de cause
dans plusieurs pays.
Ceux qui sont revenus au règlementarisme malgré
l’échec de celui-ci au XIXème siècle ont connu les mêmes résultats : une
explosion de la prostitution, légale mais surtout illégale, accompagnée
d’un développement exponentiel des réseaux de trafic et de proxénétisme
et de la criminalité qui en découle. Et les Eros Centers installés dans
les centres urbains n’ont pas davantage amélioré la condition des
personnes prostituées que les bordels d’autrefois .
Lire la suite : http://www.isabelle-alonso.com/puritaines-vraiment/
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