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« Quel est ce métier prétendument libre qu’on ne souhaiterait jamais pour les nôtres ? » Photo : Jean-Philippe Ksiazek/AFP |
Une tribune de Fatima Benomar et Aude Le Révérend, militantes des Effronté-e-s.
Nous, militantes féministes, sommes écœurées qu’au
terme de tant de travaux qui devaient renforcer la lutte contre le
système prostitueur, le Sénat ait adopté un texte qui criminalise encore
et toujours les personnes prostituées, et déresponsabilise totalement
les clients. En France, 90 % des personnes prostituées sont contraintes.
Leur taux de mortalité est six fois supérieur à la moyenne. 97 % sont
étrangères, dont beaucoup de sans-papiers. L’âge d’entrée moyen dans le
système prostitueur est de 14 ans. Enfin, et c’est loin d’être anodin,
85 % sont des femmes, contre 99 % de clients hommes. Ces chiffres nous
rappellent qu’au-delà du fard dont on ne cesse de la saupoudrer, la
prostitution reste un phénomène extrêmement violent, radicalement sexué,
qui repose sur des rapports de domination de genre et de classe. Le
volet qui responsabilisait les clients en tant qu’acteurs du système a
été tout bonnement enterré, quelques semaines après l’affaire du Carlton
qui a jeté sur eux une lumière particulièrement crue. Il ne s’agissait
pourtant que d’une amende et d’un stage de sensibilisation. Ces clients
sont en effet, neuf fois sur dix, coupables d’un crime sur une personne
contrainte, souvent issue de réseaux criminels. Dans tous les cas, ils
sont conscients qu’ils soumettent une personne à des pratiques sexuelles
qu’elle ne désire pas. Ils savent que leur argent rémunère les réseaux.
Pourquoi ne devraient-ils être, à aucun moment, ni sanctionnés, ni
interpellés sur leur part de responsabilité ? Certains sénateurs ont
agité les cas des 10 % qui se revendiquent libres. Ces mêmes défenseurs
du choix de se prostituer seraient les premiers à pâlir s’ils voyaient
concernées leurs filles, leurs sœurs. Quel est ce métier prétendument
libre qu’on ne souhaiterait jamais pour les nôtres ? Qui admettrait que
la prostitution devienne un métier banal, enseigné ? Comment se
passeraient les visites d’un inspecteur du travail ? Oui, le droit à
disposer de son corps connaît des limites légales, il est interdit de
commercialiser ses organes, de faire une GPA en France. Les modèles
réglementaristes, eux, ont fait de leurs pays une destination
privilégiée pour les réseaux puisque la demande y est légale. Lors de la
Coupe du monde en Allemagne, des personnes prostituées arrivaient par
bus entiers ! Le délit de « racolage passif », étrange oxymore, sous
prétexte qu’il permet d’interroger les prostituées jetées en garde à
vue, est une honte. Statutairement parlant, celles dont on ne cesse de
rappeler qu’elles sont des victimes seront considérées comme des
délinquantes, passibles de deux mois de prison ! Nous ne sommes pas
dupes. Nos opposants veulent que la place des personnes prostituées
reste à l’ombre des alcôves patriarcales prévues à cet effet, loin des
trottoirs de la République, afin de protéger le plus vieux privilège des
hommes dont le bon droit a tremblé. Nous nous battrons pour que soit
votée à l’Assemblée nationale, au plus vite, une loi ambitieuse qui
renforce la lutte contre les réseaux, dédie les moyens nécessaires pour
financer les parcours de sortie de la prostitution, et responsabilise
l’un des acteurs et des financeurs incontournables de ce fléau : le
client.
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