Philippa Willitts : Personne n’a fondamentalement « droit » à des rapports sexuels, même pas les personnes handicapées
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Image tirée du film « The Sessions » |
par Philippa Willitts (le 23 avril 2014,)
Les débats concernant l’industrie du sexe ne sont
jamais très éloignés de la vigilance d’une féministe, et un des
arguments qui retient toujours mon attention veut que la prostitution
doive être légalisée, car, sans des « travailleuses du sexe », ces
pauvres, misérables personnes handicapées n’auraient jamais de rapports
sexuels.
Des gens n’ayant jamais manifesté le moindre intérêt
pour faire campagne contre la réduction des prestations d’invalidité ou
pour l’accessibilité des locaux se montrent soudain préoccupés par notre
« droit » à des rapports sexuels ? C’est malhonnête, et cette
rhétorique cache un préjugé validiste pas très subtil.
La présupposition que personne ne voudrait jamais
avoir par choix personnel des rapports sexuels avec une personne
handicapée est non seulement inexacte mais offensante. Une vision
infantilisée des personnes handicapées contribue aussi à l’idée qu’avoir
des rapports sexuels avec l’un ou l’une d’entre nous est mal ou
bizarre, ajoutant au stigmate et aux préjugés qui limitent nos vies.
Dans l’environnement médiatique actuel, nous sommes
déjà dépeint/e/s comme des profiteurs/ses paresseux/ses. Dans les films,
nous sommes les courageuses sources d’inspiration qui existent pour
motiver les autres à l’action en les culpabilisant à la pensée du
caractère affreux de nos vies. Et dans le domaine médical, c’est
nous-mêmes qui sommes le problème, avec nos corps et nos esprits bancals
nécessitant des traitements onéreux que la sécurité sociale peut être
réticente à nous rembourser.
Donc ce n’est pas une surprise si les personnes non
handicapées ne savent quoi penser de nous. Si elles en pincent pour une
personne handicapée, des questions à savoir si cette personne se
briserait pendant un rapport sexuel (indice : communiquez), ou si le
rapport sexuel leur fait mal (indice : communiquez), entre autres
dilemmes, peuvent créer des obstacles que beaucoup de personnes
perçoivent comme trop difficiles à affronter. En effet, quelque 70 % des
Britanniques « n’envisageraient pas » d’avoir de rapports sexuels avec
une personne handicapée, d’après un sondage de l’Observer.
Les préjugés sociaux à cet effet sont si ancrés que
certaines personnes handicapées sont elles-mêmes réticentes à fréquenter
d’autres personnes handicapées : dans deux exemples, publiés par
Disability Horizons, un homme handicapé – inquiet de ne pouvoir trouver
une partenaire – a tenu des propos offensants sur les femmes éprouvant
des problèmes de santé mentale, alors qu’un autre – justifiant son
utilisation de femmes prostituées – a qualifié les femmes handicapées de
« pis-aller ».
Il est donc important de comprendre que cette
prétendue impossibilité pour les personnes handicapées de trouver
quelqu’un avec qui baiser est ancrée dans des préjugés sociaux. Et,
plutôt que de contester et combattre ces idées fausses et offensantes,
on voit encore des gens pour qui la solution est de défendre le droit
d’accès des handicapés masculins (on parle presque exclusivement
d’hommes) à des rapports sexuels avec une personne prostituée. Donc si
vous vous battez pour le « droit » des personnes handicapées à des
rapports sexuels par le biais de la prostitution, songez un peu au fait
que vous renforcez des préjugés discriminants, au lieu de nous libérer.
C’est peut-être une idée impopulaire, mais il est
vrai que personne n’a fondamentalement besoin de rapports sexuels. Ce
n’est pas comme la nourriture ou l’eau, où une personne meurt d’en être
privée. Le sexe peut être fun, déstressant et excitant, et ne pas avoir
de rapports sexuels quand notre libido est élevée peut s’avérer
frustrant et déprimant. Mais en fait, l’absence d’orgasmes sur une base
régulière n’a pour l’instant jamais arrêté un cœur de battre ou fait
décrocher des parties génitales.
L’impression d’un droit fondamental peut être d’une
force étonnante, mais le problème de se battre pour le « droit » d’un
homme handicapé à faire usage d’une prostituée est que cela place en
opposition les désirs de cet homme et l’autonomie physique d’une femme.
Pour les prostituées qui aiment leur travail, ce n’est pas un problème.
Toutefois, pour les 95 % des prostituées de rue qui indiquent un usage
de drogues problématique, pour les 78 % qui signalent être violées en
moyenne 16 fois par an par leur proxénète et 33 fois par des
prostitueurs, et pour les 4000 personnes amenées à tout moment par la
traite au Royaume-Uni à des fins d’exploitation sexuelle, le portrait
est moins rose.
À quel moment un homme handicapé qui aimerait baiser
surclasse-t-il en droits la femme qui a commencé à être prostituée avant
sa majorité, comme c’est le cas pour approximativement 75 % des femmes
dans la prostitution ? Comme l’explique le psychologue Simon Parritt,
« tout le monde a droit à une identité sexuelle, mais je ne pense pas
que tout le monde a droit à des rapports sexuels avec une autre
personne. En effet, cela implique les droits de quelqu’un d’autre. »
Quand je verrai ces militant/e/s prendre part à des
manifestations contre la façon dont sont traitées les personnes
handicapées sous ce gouvernement de « l’austérité », ou protester contre
la fermeture de l’Independent Living Fund (Fonds pour la vie autonome),
alors je commencerai peut-être à penser que ces personnes ont
réellement à cœur les droits des personnes handicapées. En attendant, je
vois simplement des gens se servir de la condition handicapée comme
d’un argument pratique pour maintenir l’accès des hommes aux corps des
femmes.
L’intersection du handicap et de la sexualité soulève
des enjeux complexes. La technologie, le counseling, ou encore une
formation spéciale peuvent être requis pour favoriser une vie sexuelle
épanouie, mais les problèmes que nous rencontrons résultent d’une
discrimination validiste, et non de quelque incapacité innée à
rencontrer un/e partenaire sexuel/le. Si les personnes handicapées ont
besoin d’une égalité de droits, c’est également le cas des femmes, et
cela comprend le droit de ne pas être exploitées ou violentées.
Philippa Willitts est une autrice indépendante
féministe et handicapée, qui vit à Sheffield. Elle a écrit pour The
Guardian, The Independent, The New Statesman et les sites d’actualités
de Channel 4, et fait partie de la collective du blogue The F-Word.
Suivez-la sur le réseau Twitter à @PhilippaWrites.
Cet article a d’abord été publié sur Feminist Times
et a été reproduit avec la permission de l’autrice sur le site
FeministCurrent.
Version originale : http://www.feministcurrent.com/2014/04/23/nobodys-entitled-to-sex-including-disabled-people/Traduction : TRADFEM
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