par Penny White, texte initialement publié sur le site Feminist Current.
Penny White
2 Expression utilisée en français également et sans équivalent, pouvant être traduite par « culpabilisation sexuelle ».
3 Nom usuel d’une loi fédérale états-unienne.
4 Ibid.
5 Arrêt rendu par la Cour suprême des États-Unis en 1973 reconnaissant l’IVG comme un droit constitutionnel.
6 Loi sur la violence contre les femmes. Loi fédérale états-unienne.
7 Dans l’original : Men’s Rights Activists.
8 Lobby chrétien haineux s’opposant, entre autres, à l’IVG et aux droits sexuels et reproductifs.
9 Lobby conservateur antiféministe, militant lui aussi contre l’IVG.
10 Conférence des évêques catholiques des États-Unis.
11 Organisation de femmes conservatrices et chrétiennes, opposée, entre autres, au féminisme, à l’IVG et aux droits sexuels et reproductifs.
Traduction française : TRADFEM
Quand mon père me violait durant les années 70, j’ai
cherché une bonne raison de ne pas me suicider. J’en ai trouvé une dans
le féminisme de la seconde vague. Les héroïnes de cette époque m’ont
offert une autre image de moi-même, celle d’une femme puissante et
capable de changer sa vie. Quand tout mon entourage prétendait que le
viol était simplement un aspect de la vie d’une femme (comme la
grossesse non désirée) et que se faire cracher dessus et intimider par
un mari était inévitable (sous prétexte que « les hommes sont comme ça,
c’est tout »), j’ai vu ces étonnantes féministes prouver que tous ces
gens avaient tort.
Les féministes de la seconde vague se sont battues
pour faire du viol conjugal un crime et elles ont gagné. Elles se sont
battues pour des lois plus sévères contre la violence conjugale et pour
le financement par l’État de lieux où les femmes pouvaient se réfugier
pour échapper à des conjoints violents. Elles se sont battues pour
l’obtention de rape shield laws1, qui protègent les victimes de viol de
la plus cruelle forme de slut-shaming2, le contre-interrogatoire
judiciaire où l’on détaillait leur vie sexuelle. Elles se sont battues
pour créer et faire respecter des lois sur le harcèlement sexuel, ce qui
a donné aux femmes des outils pour combattre le harcèlement au travail
et aux études. C’est grâce à leur activisme vigilant qu’ont été adoptés
aux USA : le Title IX3, une loi fédérale qui interdit la discrimination
en raison du sexe dans tout programme éducatif doté d’un financement
fédéral ; le Title X4, un programme de bourse fédéral chargé de fournir
des services de planning familial aux femmes ayant des revenus
modestes ; et le célèbre arrêt Roe v. Wade5.
Les féministes de la seconde vague m’ont montré que
les femmes n’étaient pas obligées d’être passives, que nous pouvions
nous lever, nous défendre, et réclamer justice. Ces héroïnes ont ouvert
la voie au Violence Against Women Act (VAWA)6, adopté au début des
années 90, qui a pourvu les forces de l’ordre de 1,6 milliard de dollars
pour enquêter sur la violence sexuelle et conjugale et intenter des
poursuites à cet égard. L’adoption de cette loi a permis de réduire de
70 % les actes non meurtriers de violence conjugale et de 60 % les
homicides de violence conjugale.
Les activistes du féminisme de la seconde vague ont
transformé notre culture pour en faire un espace pour les femmes qui
s’avère plus grand, plus sûr et plus libre que je n’aurais jamais rêvé
possible.
En tant qu’une des millions de survivantes qui ont
été sauvées par ce mouvement, je suis sidérée et j’ai le cœur brisé
quand des jeunes femmes qui ont tiré tant d’avantages du travail de la
seconde vague rejettent des éléments clés du travail harassant de leurs
aînées en qualifiant celles-ci de « carcérales » et/ou
« sexe-négatives ».
Parler de féminisme « sexe-négatif » est une calomnie
adressée aux féministes critiques de l’exploitation sexuelle
commerciale ; elle l’est à la fois par les masculinistes7 et par les
féministes qui sont partisanes de ce qu’elles appellent le « travail du
sexe ». Les féministes critiques de l’industrie du sexe sont accusées
d’être « sexe-négatives » parce que nous pensons que le sexe devrait
toujours être mutuellement agréable et dénué d’exploitation. Nous
luttons contre l’industrie du sexe non seulement parce qu’elle détruit
les vies de femmes (et d’enfants) vulnérables, mais aussi parce qu’elle
promeut l’idée que les femmes et les filles sont des objets de
consommation à l’intention des hommes.
La notion de « féminisme carcéral », elle, sert à
définir toute féministe qui pense que le système juridique pénal devrait
protéger et servir les femmes qui sont victimes de viol et d’autres
formes de violence masculine (même si beaucoup d’entre nous, y compris
moi, sommes opposées à toute incarcération de délinquants non violents).
Les personnes qui se disent opposées à ce « féminisme carcéral »
pensent sans doute que les victimes de la violence de genre devraient
éviter le système pénal, et que les violeurs et agresseurs conjugaux ne
devraient jamais faire l’objet de poursuites pénales.
Ces individus s’opposent aux « féministes
carcérales » comme la députée états-unienne Gwen Moore qui a
courageusement témoigné devant ses collègues du Congrès sur ce qu’elle
avait vécu comme enfant maltraitée, violée et battue. Elle a fait
publiquement état de ces horreurs afin d’appuyer l’adoption de la loi
« carcérale » Violence Against Women Act. Ce projet de loi fut non
seulement combattu par des féministes « anti–carcérales », mais aussi
par des groupes ultraconservateurs tels que le Family Research Council8,
l’Eagle Forum9, l’US Council of Bishops10, et Concerned Women For
America11 – qui ont tous qualifié le VAWA d’attaque féministe contre les
valeurs familiales.
En dépit d’une apparence de consensus politique entre
eux, ceux qui s’opposent à ce qu’ils appellent le « féminisme
carcéral », en raison de leur position pro-prostitution, ont en fait
plus de points communs avec les idéologues libertariens qu’avec les
conservateurs traditionnels du parti Républicain. Comme les féministes
« sexe-positives », les libertariens voient la prostitution comme une
vente volontaire de marchandises, les femmes étant la « marchandise » en
question. Puisque l’on ne peut pas vendre ou louer quelque chose que
l’on ne possède pas, quand une femme loue les orifices de son corps, on
dit qu’elle se « réapproprie » son corps. Louer son anus à des fins de
pénétration passe pour de l’autonomisation féminine, à la fois dans les
communautés libertarienne et pro « travail du sexe ». C’est peut-être la
raison pour laquelle les féministes « anti-carcérales »/pro « travail
du sexe » cherchent non seulement à protéger de poursuites les violeurs
et les agresseurs conjugaux, mais aussi les proxénètes et les
prostitueurs-clients.
Il y a quelques mois j’ai regardé sur le réseau en
ligne MSNBC une féministe « anti-carcérale »/pro « travail du sexe »
argumenter que la prostitution était fondamentalement inoffensive. Cette
femme a un doctorat en comédies romantiques hollywoodiennes (sans
blague), mais elle semble avoir pris le film Pretty Woman pour un
documentaire. Elle dénonce le « modèle nordique », qui décriminalise les
femmes prostituées mais criminalise leur exploitation par les
proxénètes et leurs clients. Les féministes comme elle s’opposent toutes
au modèle nordique, même s’il a permis de réduire la traite de 50 % en
Suède. Et en Norvège, où ce modèle a aussi été instauré, le viol et les
voies de fait contre les femmes prostituées ont été réduits de moitié,
comme les recours aux urgences de ces personnes l’a été de 70 %. (Ces
données sont issues d’une recherche menée par ProSentret, une
organisation norvégienne pro-légalisation.) Et comme il arrive toujours
avec le modèle nordique, la traite en Norvège a rapidement décliné. En
revanche, dans des pays comme l’Allemagne, la Finlande et les Pays-Bas,
la décriminalisation des proxénètes et des clients a généré une
explosion de la traite, sans réduction correspondante de la violence
contre les femmes prostituées. Tragiquement, les féministes pro
industrie du sexe et « anti-carcérales » refusent de laisser une
préoccupation pour les victimes de la traite entraver leur enthousiasme
pour le « travail du sexe ». Il semble que des statistiques déprimantes
et le vécu dont témoignent les victimes de la traite gâchent le fun de
ceux et celles qui tirent profit de cette industrie.
Tout comme l’industrie des carburants fossiles
attaque les lanceurs d’alertes au sujet des changements climatiques,
l’industrie du sexe multimilliardaire attaque celles qui s’expriment
contre la traite. L’auteure et activiste Rachel Moran a récemment fait
état de son expérience horrifiante de survivante de la prostitution,
pour se voir immédiatement « diffamée, calomniée, menacée, physiquement
prise à partie et criée dessus » par le lobby pro-légalisation. Elle a
déclaré : « Mon adresse, mes informations bancaires et mon adresse mail
personnelle ont circulé aux mains de personnes apparemment
déséquilibrées, qui m’ont adressé par Twitter des éléments de mon
adresse, à titre de menace du genre on-sait-où-te-trouver. » Les
techniques d’intimidation auxquelles recourent les activistes
pro-industrie du sexe ressemblent fortement à celles utilisées par les
masculinistes (eux aussi partisans d’une décriminalisation des
proxénètes et des clients).
Même si je suis désolée de l’aveuglement et de la
naïveté des personnes qui qualifient de « carcérales » les féministes
anti-exploitation, la nouvelle vague d’activistes féministes qui se lève
juste derrière elles me remplit d’espoir. Les jeunes dirigeantes
féministes qui me donnent foi dans l’avenir sont des femmes comme Malala
Yousafzai, June Eric Udorie, Yas Necati, Rose Lyddon, Kat Banyard,
Meghan Murphy, et les femmes incroyablement courageuses qui prennent
position contre les violences de genre à travers l’Asie et l’Afrique12.
Mais la jeune féministe qui me donne le plus d’espoir est ma fille.
Elle est « sexe-positive » dans le sens où elle est
anti-industrie du sexe, et elle n’a absolument pas peur de dire tout
haut des vérités qui dérangent.
Ma fille sait que la prostitution est dégradante pour elle en tant qu’être humain, comme elle l’est pour tous les êtres humains.
Ma fille sait que c’est un mensonge de déclarer « le
travail du sexe est un travail comme n’importe quel autre », et elle
sait que les personnes qui tiennent ce discours savent parfaitement
qu’elles mentent.
Ma fille sait que ses tétons ne seront jamais « libres » tant qu’ils seront déformés par les codes du regard pornographique.
Ma fille sait que la violence des hommes contre les
femmes est tout aussi grave que la violence policière contre la
population et que le système judiciaire doit sévir contre ces deux
problèmes.
Ma fille ne se définit pas en opposition au féminisme
de la seconde vague, mais appuie le maintien et l’atteinte de ses
objectifs.
En tant que survivante de maltraitance traumatique,
je suis profondément reconnaissante envers celles que l’on qualifie de
féministes « carcérales » ou « sexe-négatives ». Elles m’ont montré à
quel point une femme pouvait être puissante, et m’ont aidée à me créer
une vie pour moi-même, dans laquelle je n’aurais plus jamais à douter de
mon humanité. Mais surtout, je leur suis reconnaissante que ma fille
n’ait jamais eu à douter de la sienne.
Merci infiniment, vraiment.Penny White
Penny White est une féministe radicale, écrivaine
indépendante qui vit à San Francisco. Elle a un diplôme de master en
psychologie, avec spécialisation sur le trauma sexuel dans l’enfance ;
elle a travaillé pendant une dizaine d’années comme assistante sociale
et paire conseillère pour des personnes avec un handicap mental vivant
dans la pauvreté. Penny est actuellement bénévole au Projet Gubbio à San
Francisco, qui aide des personnes de tous âges et capacités se trouvant
sans logement. Suivez la sur Twitter à @kindsoftheart.
1 [Cette note ainsi que toutes les suivantes sont de TRADFEM]. Lois de protection des victimes de viol.2 Expression utilisée en français également et sans équivalent, pouvant être traduite par « culpabilisation sexuelle ».
3 Nom usuel d’une loi fédérale états-unienne.
4 Ibid.
5 Arrêt rendu par la Cour suprême des États-Unis en 1973 reconnaissant l’IVG comme un droit constitutionnel.
6 Loi sur la violence contre les femmes. Loi fédérale états-unienne.
7 Dans l’original : Men’s Rights Activists.
8 Lobby chrétien haineux s’opposant, entre autres, à l’IVG et aux droits sexuels et reproductifs.
9 Lobby conservateur antiféministe, militant lui aussi contre l’IVG.
10 Conférence des évêques catholiques des États-Unis.
11 Organisation de femmes conservatrices et chrétiennes, opposée, entre autres, au féminisme, à l’IVG et aux droits sexuels et reproductifs.
12 L’auteure donne de nombreux exemples : How
feminist groups are taking on post-revolution Egypt ; CHAD : Fighting
violence against women – but how ? ; The girls aiming to change Africa :
young activists speak out ; Pink Sari movement in India fights violence
against women ; Taking on violence against women in Africa.
Original, publié sur le site Feminist Current : http://www.feministcurrent.com/2015/10/05/a-thank-you-note-to-carceralsex-negative-feminists/Traduction française : TRADFEM
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