Ne comptez pas sur moi pour cesser d’avoir des « sentiments » à propos de la vie et des droits des femmes
par Meghan Murphy sur le blog http://FeministCurrent.com, le 28 mars 2014
1) Les femmes et la vie des femmes
2) Les droits humains
3) L’égalité des sexes
4) Les systèmes de pouvoir
5) Le racisme
6) La pauvreté
7) L’abus de pouvoir
8) Les violences contre les femmes
9) Le pouvoir masculin
10) La mondialisation
11) Le colonialisme
http://feministcurrent.com/8835/no-i-will-not-stop-having-feelings-about-womens-lives-and-human-rights/
Traduction : TRADFEM
Tous droits réservés à Meghan Murphy, mars 2014.
Je refuse de croire qu’une attitude de sociopathe
soit une bonne chose pour le féminisme. Pourtant, c’est exactement la
position que l’on nous enjoint d’adopter à propos de l’industrie du
sexe.
Un article récent (http://bit.ly/1mR103H)
qui vante le nouveau livre de Melissa Gira Grant, Playing the Whore :
The Work of Sex Work (« Faire la pute : Le travail du travail du sexe »,
recensé ici : http://bit.ly/1ek00zK)
nous invite, dès son titre, à « mettre de côté nos sentiments » et à
considérer la prostitution comme « un enjeu de travail » - une exigence
étrange à adresser à des êtres humains au sujet d’autres êtres
humains...
Depuis quand le féminisme promeut-il l’idée que l’on
ne doit pas avoir de « sentiments » ? J’avais l’impression que le fait
d’accuser les femmes d’être « trop émotives » et de laisser leurs
sentiments entraver la pensée rationnelle (virile) était, dirais-je, un
peu sexiste ? Et au-delà de cela, la raison de s’impliquer dans le
mouvement féministe est littéralement parce que l’on a à cœur l’intérêt
des autres femmes. Nous avons à cœur la vie des femmes, leurs droits,
leur bien-être, et, plus généralement, leur capacité à vivre leur vie
libre de toute oppression et violence et dans la dignité. Exiger que
nous « mettions nos sentiments de côté » lorsque nous pensons au
féminisme et aux problèmes que vivent les femmes est antiféministe.
L’auteure de l’article, Meaghan O’Connell, dit que le
livre de Gira Grant « examine comment le « discours des sentiments » et
les débats théoriques peuvent nous distraire des questions plus
immédiates de droit du travail et des droits humains que les
travailleuses du sexe affrontent concrètement et dont elles meurent,
constamment. »
Alors, me voilà confuse. Si le débat à propos de la
prostitution ne doit concerner ni « la théorie » ni « les sentiments » –
sur quoi porte-t-il donc ?
Eh bien, je dirais qu’il porte sur un certain nombre de choses :1) Les femmes et la vie des femmes
2) Les droits humains
3) L’égalité des sexes
4) Les systèmes de pouvoir
5) Le racisme
6) La pauvreté
7) L’abus de pouvoir
8) Les violences contre les femmes
9) Le pouvoir masculin
10) La mondialisation
11) Le colonialisme
Il y a un certain nombre d’autres choses que vous ou
moi pourrions probablement ajouter à cette liste, mais je crois que les
facteurs énumérés ci-dessus sont assez cruciaux dans la conversation. Et
ce sont toutes des choses à propos desquelles j’ai à la fois des
sentiments et des convictions. En tant que, vous savez, féministe,
socialiste, et être humain qui se soucie des autres êtres humains.
Le refrain selon lequel « le travail du sexe est un
travail » ou « le travail du sexe est un travail comme un autre » ou les
efforts visant à redéfinir la prostitution comme un simple « enjeu de
travail », dans le but d’amener les gauchistes qui ont normalement un
penchant éthique à imaginer qu’ils se joignent à une lutte progressive,
me donne l’impression de dire « Examinons la question sous un angle
rationnel » ce que je ressens personnellement comme une attitude assez
sociopathe. (Oups, pas facile de tenir en respect ces foutus
sentiments...)
Tout d’abord, la prostitution n’est pas simplement un
enjeu de travail. La prostitution fait partie d’un système qui inflige
de la violence aux femmes partout dans le monde, perpétue des systèmes
d’inégalité, et cible particulièrement les femmes et les filles
marginalisées. La prostitution existe au Canada sous son allure actuelle
à cause d’intersections entre le colonialisme (http://bit.ly/1e3BwQr),
le patriarcat, le capitalisme et le racisme. Juste un « enjeu de
travail ? » Vraiment ? Peut-être devriez avoir un peu plus de
« sentiments »...
Demandez ce livre, publié chez M Éditeur, à votre
libraire ! En Europe, il est diffusé par la Librarie du Québec à Paris,
30 rue Gay-Lussac, 75005, ou par la Librairie Violette & Co.
Deuxièmement, même si la gauche est encline à se
rallier d’emblée à n’importe quelle cause qui prétend être à propos des
droits du travail, parce que nous voulons (à juste titre) appuyer les
travailleuses et travailleurs, la classe ouvrière et le mouvement
syndical, les arguments qui prétendent analyser la prostitution comme un
« enjeu de travail » envisagent en fait celle-ci selon une lunette
capitaliste – en termes de marché. Comme le souligne Kajsa Ekis Ekman (http://on.fb.me/1hjqJlX),
auteure de L’être et la marchandise : Prostitution, maternité de
substitution et dissociation de soi (un livre réellement basé sur une
analyse marxiste et féministe, mais dont pas un-e journaliste
progressiste/féministe/libéral-e ne semble vouloir parler) : « Les
lobbyistes pro-prostitution tentent constamment de dépeindre la
prostitution comme si ce n’était pas un enjeu de genre mais juste un
rapport entre ‘acheteur’ et ‘vendeur’. » On ne parle plus de personnes
mais de « services », de « clients » et d’une « industrie » ? Reste-t-il
des êtres humains dans ce monde ? Des gauchistes ?
Je trouve étrange que les abolitionnistes se voient
si souvent enjoindre de ne pas fonder leurs opinions et leurs
revendications sur de l’« idéologie » ou des « sentiments ».
Personnellement, j’ai l’impression que ces deux facteurs interagissent
car nous avons tendance à nous doter d’une idéologie basée sur
l’éthique, laquelle est souvent reliée à nos « sentiments »
(c’est-à-dire notre capacité ou incapacité à tenir compte des autres
êtres vivant sur cette terre) ; je me demande donc sur quelle base nous
sommes censées former nos opinions, nos mouvements et notre
militantisme ? Peut-être devrions-nous laisser des ordinateurs gérer le
féminisme pour nous afin de nous assurer qu’il est strictement
« rationnel » et pas tout embrouillé par de stupides êtres humains
stupides avec leurs stupides « sentiments » ?
Ce qu’il faut comprendre, c’est que si quelqu’un est
dépourvu de sentiments, c’est bien le capitalisme. Le capitalisme
priorise les besoins et les volontés du marché contre le bien-être des
humains, des animaux et de la terre. Si vous voulez un système qui s’en
tient uniquement aux faits, ne cherchez pas plus loin que le capitalisme
d’entreprise (http://on.thestar.com/1fYYPX2),
qui a maîtrisé l’art de mettre tout « sentiment » de côté au profit du
bénéfice financier. Je trouve que le capitalisme nous a bien appris
cette leçon, nous obligeant à scinder notre éthique et nos lois de nos
valeurs humaines.
Je comprends, bien sûr, que lorsqu’on envisage la
question de la prostitution, nos « sentiments » pèsent moins lourd que
la réalité de ce qui arrive aux femmes qui sont concrètement dans la
prostitution. Mais soutenir que nous devons tenir nos « sentiments »
hors du tableau ou éviter de penser à la raison de l’existence de la
prostitution me semble tout à fait absurde. Les femmes sont dans la
prostitution en raison des inégalités - nous devons absolument inclure
cette réalité dans toute conversation sur les lois, les services et la
défense des droits. Fermer les yeux sur le contexte de l’industrie du
sexe serait occulter la nature réelle de cette industrie. Nous ne
pouvons pas aider les femmes et les filles qui sont vulnérables ou qui
se retrouvent dans l’industrie du sexe si nous ne comprenons pas
pourquoi elles y sont ou pourquoi elles risquent d’y atterrir.
Si nous voulons bien regarder la « réalité » de la
prostitution, nous allons avoir des « sentiments » à son sujet. Ceux et
celles qui n’en ont pas sont, en fait, le problème. Parce que vous savez
qui ne laisse pas les « sentiments » nuire à leurs opinions sur la
prostitution ? Les clients. Et aussi les gens qui ne soucient pas des
femmes.
Ne vous y méprenez pas : la prostitution est bel et
bien un travail. C’est un travail très éprouvant. Mais ce n’est pas
*juste* un travail et ce n’est certainement pas *juste* un enjeu
syndical. La plupart des femmes ne veulent pas faire ce travail. La
plupart des femmes qui sont dans la prostitution veulent en sortir. Le
fait de les « aider » à y rester n’est pas utile. Décriminaliser la
prostitution afin de former des syndicats mythiques qui fourniront des
« droits » et une sécurité tout aussi mythiques est, pour parler
franchement, un mythe. Il n’existe rien de tel qu’une industrie de la
prostitution sécuritaire et légale. Les femmes qui sont prostituées sous
des régimes de légalisation ou de décriminalisation continuent de
travailler illégalement, continuent à se sentir stigmatisées, continuent
à être sujettes à de la violence ; elles ne s’inscrivent pas pour payer
des impôts (parce qu’elles espèrent quitter l’industrie et ne veulent
pas être marquées comme prostituées) et n’adhèrent pas à un syndicat.
Les rares « syndicats » créés pour des prostituées sont, à ce qu’il
paraît, gérés par des proxénètes ou des « gestionnaires » et, par
conséquent, ne sont pas des « syndicats » du tout.
Contrairement à Melissa Gira Grant qui signe ce
livre, la bloggeuse Meghan Murphy n’accepte pas qu’on réduise les femmes
à de simples rouages d’une industrie mortifère.
Ce dont les femmes ont besoin, c’est d’options, de services et de soutien (http://bit.ly/1oF6ove).
De ne pas être considérées comme des roues d’engrenage inhumaines (ce
qui est, assez étrangement, le thème de la couverture du livre de Gira
Grant, où des femmes sont littéralement dépeintes sous forme de
rouages...). Extirper du débat les sentiments, la morale, l’éthique ou
l’idéologie équivaut à en retirer nos valeurs humaines et celles des
femmes et des filles. C’est nous rendre inhumains et nous obliger à voir
d’autres personnes comme inhumaines. Et je ne veux rien savoir de tout
mouvement social qui exige une déshumanisation. Si vous voulez extirper
les sentiments et de l’idéologie de mouvements sociaux – et notamment du
féminisme – alors il se peut bien que ce qui vous convienne mieux soit
un rôle de PDG ! (http://onforb.es/1hRq5uG)
Source : http://feministcurrent.com/8835/no-i-will-not-stop-having-feelings-about-womens-lives-and-human-rights/
Traduction : TRADFEM
Tous droits réservés à Meghan Murphy, mars 2014.
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