Hef ne devrait pas laisser le souvenir d’un combattant libertaire. Mais bien celui d’un escroc de proportions épiques.
par MEGHAN MURPHY, sur FeministCurrent.com, le 28 septembre 2017
Le véritable monarque de la culture porno est
mort mercredi dernier et, alors que des milliers de personnes ont crié
« Enfin ! » et « Bon débarras ! », beaucoup d’autres se sont lancés dans de sombres tributs, en parlant d’Hugh Hefner comme d’un « révolutionnaire » et d’un visionnaire.
Et à certains égards, il l’était.
Et à certains égards, il l’était.
Le vieux ‘Hef envisageait un monde où le porno était
totalement banalisé – plutôt que quelque chose de honteux que des hommes
utilisaient seuls chez eux ou dans des cabines privées de sex shop,
hantées par le sperme d’antan, mais quelque chose qui n’était qu’un
élément normal de la société. Il rêvait en effet de la culture
pornographique ; et il l’a effectivement instaurée.
Hefner avait une opinion plus élevée de lui-même que
peut-être n’importe qui d’autre. Pour m’être imposé le pénible
visionnement de sa série filmique de 2017, American Playboy : The Hugh
Hefner Story, un hommage à Hef de Hef, il m’est devenu évident que cet
homme a très délibérément conçu le récit que l’Amérique en viendrait à
tenir à son sujet : celui d’un croisé, un rebelle, un simple homme
humble qui voulait mener le bon combat contre la répression sexuelle et
libérer la population américaine des croisés moraux pour qui le sexe
était une mauvaise chose. Hefner a constamment fait valoir que son
objectif, avec la revue Playboy, était de convaincre les États-Unis que
le sexe était « normal » et d’« amener le sexe au grand public ». Mais
non seulement n’y a-t-il pas réussi, mais il n’a même pas essayé.
En regardant la série American Playboy, en écoutant
les histoires racontées par Hef sur lui-même, je me suis rendue compte
que Hefner était en grande partie responsable du mensonge selon lequel
la chosification sexuelle équivaut au sexe. Il ne s’intéressait
aucunement à une normalisation de la sexualité réelle, mais voulait
plutôt normaliser le regard masculin et la perception masculine des
femmes comme de jolis objets à regarder. Playboy n’a jamais été à propos
du « sexe », mais bien à propos de fantasmes masculins.
Le numéro inaugural de la revue Playboy, en 1953,
contenait des photos de Marilyn Monroe nue, photos dont Hefner avait
acheté les droits, mais n’avait pas pris la peine de demander à Monroe
l’autorisation de les utiliser. Peu importe. Pour Hef le
révolutionnaire, le « sexe » était une chose qui arrivait aux femmes,
pour divertir les hommes. De fait, le « sexe » résultant des photos nues
publiées par Playboy était unilatéral. Après avoir utilisé Monroe pour
vendre des dizaines de milliers d’exemplaires de la revue, Hef a décidé
qu’il voulait mettre en vedette des du genre « jolie voisine » ; il
s’est donc mis à détourner les femmes de leurs emplois de bureau pour
faire d’elles la « Playmate du mois ». Encore une fois, il s’est
lui-même félicité de cette approche révolutionnaire de la chosification,
qualifiant ces femmes d’éminemment accessibles (et certainement moins
coûteuses que des modèles professionnelles). Elles n’avaient pas
l’aspect intimidant des modèles et des célébrités auxquelles les hommes
étaient habitués à fantasmer – c’étaient des femmes que tout homme
pouvait s’approprier.
Cette notion, lancée par Hefner, que de chosifier des
femmes « ordinaires » constituait un progrès – comme si diversifier les
types de femmes face auxquelles les hommes pouvaient se branler était
le plus généreux cadeau que nous puissions offrir à la population
féminine – a été entièrement adoptée par les progressistes
d’aujourd’hui.
Shauna, sur Twitter : « Fait amusant : Hugh Hefner
était un allié précoce du mouvement LGBT, présentant un modèle trans
dans Playboy en 1991. » http://www.cosmopolitan.com/entertainment/news/a42434/caroline-tula-cossey/ …
« J’ai l’impression d’avoir été en avance de beaucoup trop d’années. » (Caroline « Tussa » Cossey)
Il a été loué en tant que pionnier pour avoir fait de
Jennifer Jackson, une femme noire, sa Playmate du mois en 1965 et pour
avoir mis Darine Stern sur la couverture de Playboy en 1971, en faisant
la première Noire à bénéficier de l’honneur d’une couverture solo. Il a
été porté aux nues comme un « défenseur des droits de trans » pour avoir
mis le modèle transsexuel Caroline « Tula » Cossey dans son magazine en
1991. Si quelqu’un se souciait d’y porter quelque attention, il serait
clair que la chosification sexuelle n’est pas un vecteur de droits, de
respect ou d’égalité. Mais l’Amérique néolibérale préfère un récit plus
simpliste.
Hefner s’est longtemps vanté d’avoir été un pionnier
féministe, et il n’est pas le seul. Les critiques de l’homme sont
constamment tempérées par des rappels qu’il a soutenu les droits
reproductifs – mais quel libéral masculin ne l’a pas fait ? La capacité
de baiser sans l’inquiétude de devenir enceinte libère sans aucun doute
les femmes, mais elle libère également les hommes. En effet, il est
remarquable que, même si les hommes libéraux se rallient au seul droit
spécifique à la femme qui les absout de leur propre responsabilité
sexuelle (les femmes demeurent, après tout, responsables de prendre
cette pilule ou d’obtenir cet avortement), ils refusent de prendre
position contre la déshumanisation des femmes dans la pornographie ou la
violence inhérente à leur prostitution.
Le rôle que s’est attribué Hef dans le fait d’avoir
cimenté le statut des femmes comme objets sexuels a été repris avec
enthousiasme par ses successeurs. Bien que le magazine ait annoncé
qu’ils ne publieraient plus de nus en 2015, ils ont rapidement compris
que les bénéfices de l’empire Playboy dépendaient (encore) du corps des
femmes et, en février, le fils de Hefner et chef créatif de la société,
Cooper Hefner, a annoncé que l’élimination de la nudité avait été une
erreur.
Il a dit : « La nudité n’a jamais été le problème car
la nudité n’est pas un problème. Aujourd’hui, nous reprenons notre
identité et revendiquons qui nous sommes.
Le vocabulaire utilisé pour commercialiser
Playboy et l’héritage de Hef comme féministes – en lutte contre tous les
pouvoirs – ne peut être décrit que comme dégoûtant. Nous parlons d’un
empire plusieurs fois millionnaire. Au-delà du fait que transformer des
femmes en objets décoratifs destinés à accueillir les projections
masculines de fantasmes unidimensionnels garantissait indéniablement le
maintien des femmes dans la subordination, Playboy s’est livré à
plusieurs autres pratiques contraires à l’éthique. Dès les années
soixante, Gloria Steinem a documenté la manière déshumanisante et
exploitante dont les Playboy Bunnies étaient traitées, et Monroe n’a pas
été la seule femme dont les images ont été publiées sans leur
consentement.
Malgré toutes ses prétentions d’avoir été « féministe
avant qu’il y ait existé une chose comme le féminisme », Hef détestait
celles qu’il appelait les « women’s libbers ». Dans une dévastatrice
chronique nécrologique, Julie Bindel cite, après Susan Braudy, « une
note de service secrète que des secrétaires de Playboy avaient coulée à
des féministes ». Hefner y écrivait : « Ces poules [les féministes] sont
nos ennemies naturelles. Il est temps d’engager la bataille contre
elles… Ce que je veux, c’est un article dévastateur qui réduise en
miettes le militantisme féministe. Les féministes ont à tout jamais
opposées au type de société romantique garçon/fille que Playboy veut
promouvoir. » (Cité dans L’envers de la nuit : les femmes contre la
pornographie, Montréal, Remue-ménage, 1983, p. 299.)
Hefner a traité les femmes comme des jouets, et les
femmes qui vivaient dans son palais ont témoigné de la façon dont elles
étaient contrôlées par lui et d’à quel point les rapports sexuels
qu’elles étaient forcées d’avoir avec lui leur était désagréable. La
« révolution sexuelle » de Hefner n’était rien d’autre que de la
misogynie ordinaire. En effet, un harem est loin d’être révolutionnaire,
et traiter des femmes comme des enfants emprisonnés est le contraire
exact d’une libération. Après que l’ex-Playboy Bunny Holly Madison ait
refusé son offre d’une quaalude lors de leur première soirée de
clubbing, Hef lui a dit : « Habituellement, je n’approuve pas l’usage de
drogues, mais vous savez, dans les années 70, on appelait ces pilules
des ‘ouvre-cuisses’. » S’il est le pionnier d’une évolution, Hefner est
plutôt celui de la culture du viol, comme en témoignent les dessins
« humoristiques » omniprésents dans le magazine Playboy.
Un dessin de Bill Hoest publié dans Playboy : « Hé
bien, je suis un adulte consentant et Charley aussi, alors ça fait deux
personnes sur trois. »
Le premier des playboys ne sera pas oublié, c’est
certain. Son héritage, cependant, n’est pas celui d’un croisé pour les
droits des femmes, mais plutôt celui d’un menteur habile. Hefner a
consacré sa vie à répandre le mensonge selon lequel la pornographie
équivaut à la sexualité et les femmes doivent choisir la chosification
pour être libérées. En d’autres termes, il a convaincu l’Amérique que la
liberté des femmes se situait dans les bénéfices des hommes (et dans
leurs lits).
C’est l’arnaque la plus grotesque du vingtième siècle, et Hef peut être certain que nous ne l’oublierons pas.
Version originale : http://www.feministcurrent.com/2017/09/28/hugh-hefner-didnt-normalize-sex-normalized-patriarchy/ + commentairesTraduit par TRADFEM, avec l’accord de l’autrice.
Meghan Murphy est une écrivaine de Vancouver, C.-B. Son site Web est Feminist Current, www.feministcurrent.com et plusieurs d’entre eux sont traduits sur le site de TRADFEM.
Commentaires
Enregistrer un commentaire