par Anne Theriault, dans le blog « The Belle Jar »
J’en ai marre de parler de féminisme aux hommes.
Je sais que je ne suis pas censée dire ça. Je sais
qu’en bonne petite féministe de la troisième vague, je suis censée vous
expliquer gentiment à quel point j’aime et j’estime les hommes. Je suis
censée faire état du mari avec qui je vis depuis cinq ans, de mon fils,
de tous mes amis et parents de sexe masculin, et les exhiber fièrement
comme une sorte de médaille du mérite, comme preuve que je ne hais pas
les hommes. Je suis censée montrer patte blanche et vous prouver à quel
point je suis inoffensive et gentille. Surtout, je suis censée vous
caresser dans le sens du poil, vous les hommes, cajoler vos egos, vous
dire à quel point vous êtes importants dans le combat pour l’égalité.
C’est la bonne manière de s’y prendre, enfin c’est ce qu’on m’a dit. À
en croire ma mère, c’est avec du miel qu’on attrape le plus de
mouches...
Mais quand même. J’en ai marre de parler de féminisme aux hommes.
J’en ai marre d’expliquer aux hommes que le mouvement
féministe leur bénéficiera, comme aux femmes. J’en ai marre de tenter
de leur vendre l’égalité des sexes comme si j’étais une sorte de
concessionnaire auto tentant de leur fourguer une jolie nouvelle
bagnole, avec un max d’options. J’en ai marre de sourire en tentant
d’ignorer un lot de micro-agressions irréfléchies, marre de toujours
fournir des preuves, marre d’être interrogée sur Chaque. Foutu. Détail.
J’en ai marre d’avoir à prouver que ces micro-agressions existent, à
prouver l’injustice de ces demandes de preuves et de ces questions qu’on
me renvoie toujours. Dans un mouvement qui est censé promouvoir et
autonomiser les femmes, pourquoi ai-je l’impression de devoir passer
autant de temps à anticiper comment ma façon de parler et d’agir sera
reçue par des hommes ?
J’en ai marre des hommes qui s’insèrent dans les
espaces féministes pour y prétendre qu’on leur fait de la peine. J’en ai
marre des hommes qui parviennent toujours à tout ramener à eux. J’en ai
marre des hommes comme celui qui a récemment été confronté par le
réseau Facebook d’une amie pour avoir traité le féminisme de « con »,
puis qui a tenté de faire la leçon à ces femmes pour avoir réagi de
façon « trop hostile ». J’en ai marre des hommes qui m’expliquent que je
comprends mal le féminisme et la culture du viol, comme si ce n’étaient
pas des sujets que j’ai étudiés à fond. J’en ai marre des hommes qui
prétendent être des alliés féministes, puis qui abusent de cette
position à leur propre avantage. Bordel, j’ai déjà ras le bol à l’idée
que, tôt ou tard dans ce texte, je vais devoir dire que oui, je
reconnais que tous-les-hommes-ne-sont-pas-comme- ça. Je vais devoir
mentionner que certains hommes sont de bons alliés. Et toutes ces choses
sont vraies ! Et vous, tous les bons alliés, méritez des cookies ! Mais
honnêtement, ce que j’en ai marre d’offrir ces cookies à des gens pour
s’être simplement comportés décemment.
J’ai participé aujourd’hui à une table ronde au sujet
de la culture du viol et, même si l’expérience a été dans l’ensemble
passionnante, je me suis sentie totalement découragée par le nombre de
panelistes qui ont multiplié les efforts pour convaincre les hommes
présents que la culture du viol leur nuisait à eux aussi. On ne cessait
de ramener le cliché « La culture du viol n’est pas un problème de
femmes, c’est un problème collectif », et même si je comprends l’intérêt
de présenter les choses ainsi, la logique de cette approche me donnait
envie de gerber. Parce que ce que l’on est réellement en train de dire,
c’est que si l’on voit la culture du viol comme un problème de femmes,
alors elle perdra de l’importance aux yeux des hommes. Les hommes
devraient avoir à cœur la culture du viol non dans la mesure où elle
peut leur nuire mais parce qu’elle nuit à tout le monde ! Les hommes
devraient avoir à cœur la sécurité des femmes, un point c’est tout, sans
qu’il y ait besoin que ce souci soit centré sur eux d’une manière ou
d’une autre. Tout le monde devrait se soucier du bien-être de tout le
monde – c’est ce que les gens bien sont censés faire.
Est-il vraiment si difficile d’être préoccupé de quelque chose qui ne vous nuit peut-être pas directement ?...
Je trouve que plus je m’engage dans le militantisme,
plus les hommes semblent penser que mon temps leur appartient. Il semble
exister chez eux cette illusion que si j’assume un rôle d’éducatrice au
sujet du féminisme, du genre et des droits des femmes (oui, je le fais
et c’est un rôle qui me plaît, en général), alors je devrais, pour une
raison ou une autre, dégager du temps dans mon agenda surchargé pour
expliquer aux hommes les concepts féministes de base. Si je ne le fais
pas, on m’accuse de toutes sortes de choses – de ne pas suffisamment
étayer mes propos par des faits (bien que ces faits soient facilement
accessibles à ceux qui les réclament), de ne pas me soucier suffisamment
de « convertir » les hommes qui risquent d’être réceptifs (même s’ils
pourraient très bien se convertir eux-mêmes s’ils le voulaient vraiment)
et de ne pas être assez forte ou intelligente pour me prêter à
n’importe quelle discussion (même si nous savons tous les deux qu’elle
n’ira nulle part). Je me suis longtemps épuiser à répéter patiemment mes
arguments, à orienter ces hommes vers des ressources, à ne jamais
tourner le dos à une discussion qu’elle qu’en soit l’importance. Mais je
ne m’inflige plus ça aujourd’hui. C’est mon espace ici, et c’est moi
qui décide ce qui s’y passe. Si je n’ai pas envie de réagir à un
commentaire, alors je ne le fais pas. Si je n’ai pas envie de débattre
avec quelqu’un, alors je l’ignore. Oui, je suis ici pour informer et
expliquer, mais rien ne m’oblige à faire quelque chose que je n’ai pas
envie de faire. Ce n’est pas mon boulot. Si vous avez envie d’en
apprendre plus, c’est votre boulot.
Je fais maintenant appel à tous les lecteurs de ces
lignes qui se considèrent comme des alliés pour leur demander de monter
au créneau et de joindre le geste à la parole. Lorsqu’une femme est aux
prises avec un mecsplicateur , soyez celui qui intervient et confronte
cet homme. Lorsque vous voyez un groupe d’hommes échanger des blagues
misogynes, soyez celui qui les envoie paître. Lorsqu’un type réclame des
« preuves », n’attendez pas qu’une femme les lui fournisse – soyez
celui qui le guide vers des ressources. Montrez-nous quel bon allié vous
êtes en montant vous-même en première ligne et, si vous le faites, ne
vous retournez pas immédiatement pour nous réclamer des louanges.
J’en ai marre de parler de féminisme aux hommes, mais
les choses n’ont pas à demeurer comme ça. Le fardeau de ce débat n’a
pas à incomber aux femmes, nous n’avons pas à porter cette cause à nous
seules. Alors s’il vous plaît, hommes qui lisez ceci : au lieu de votre
réflexe habituel devant ce genre de texte – lever les yeux au ciel en
disant « Super... une autre féministe qui chie sur les hommes » –, je
vous demande plutôt de vous impliquer et de faire de votre mieux pour
améliorer les choses. Je ne vais pas vous prendre par la main et tenter
de vous expliquer en quoi cela rendra le monde meilleur, je vous crois
tous assez intelligentsçpour comprendre cela vous-mêmes.
Source : http://bellejar.ca/2014/03/15/tired-of-talking-to-men/Traduction : Mathieu Adoutte, Manuel Cascales, Martin Dufresne et Yeun Lagadeuc-Ygouf, avec l’accord de l’auteure
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