Enquête sur la prise en charge des victimes de viol et d’agression
sexuelle dans les commissariats. Parmi les témoignages, on constate sans
vraiment d’étonnement, un manque d’empathie et de bienveillance envers
les femmes qui osent pousser la porte.
« Elle ne voulait plus se rendre à l’audience »
Faire remonter les « souvenirs enfouis »
* Les prénoms ont été changés
** Source : Enquête ONDRP cadre de vie et sécurité 2010 – 2015
metronews.fr
Source : https://sanscompromisfeministeprogressiste.wordpress.com/2016/03/03/manque-de-bienveillance-pour-les-victimes-de-viol-dans-les-commissariats/
Dans « Les Accusés », le personnage de Jodie Foster,
violée par trois hommes, est accusée de les avoir provoqués. Elle se bat
pour obtenir la reconnaissance du crime dont elle a été la victime.
Violées, agressées, abusées… Le chemin de croix des victimes au commissariat
Paris, 3h30, une nuit de février. Anna*, étudiante
étrangère de 29 ans, est victime d’un viol à quelques mètres de son
appartement. Les policiers, rapidement prévenus, font grimper la jeune
femme en état de choc dans leur fourgon, direction le commissariat. Sur
place, ce n’est pas tant le fait d’enchaîner les dépositions, pendant
quatre heures, dans ses vêtements trempés et encore souillés de sperme,
qui la déstabilise. Ce n’est pas non plus le fait de rester assise, le
pantalon béant, avec pour seule consigne de ne « surtout pas remettre sa
ceinture, pour les empreintes ». Non, ce qui choque Anna, c’est bien
l’indifférence générale dans laquelle se déroulent ses interrogatoires
successifs.
Une semaine après le drame, elle raconte à metronews :
« Au commissariat, j’ai été prise en charge par deux
policiers, alors que j’aurais largement préféré me confier à une femme.
Ils s’énervaient parce que l’amie anglaise qui m’accompagnait pour faire
la traduction ne parlait pas assez bien français à leur goût. Je me
suis sentie jugée. On m’a demandé si j’avais bu et comment j’étais
habillée au moment du viol. Comme si ça pouvait expliquer quoi que ce
soit… » Elle poursuit, davantage consternée qu’en colère : « Ils ne
semblaient pas intéressés et ne montraient aucune émotion… peut-être
parce qu’ils voient des cas comme le mien tous les jours ? En fait,
après toutes ces questions, il n’en manquait qu’une seule, celle qui
fait la différence : un simple ‘ça va aller ?’ En face de moi, ça aurait
pu tout aussi bien être des robots. Où est l’humanité ? »
Mur d’indifférence
Mur d’indifférence
Ce mur d’indifférence, Anna n’est pas la seule à le
décrire. Pour en savoir davantage sur la prise en charge des victimes de
viol ou d’agressions sexuelles par la police, metronews a recueilli le
témoignage de plusieurs plaignants. A chaque fois, revient le constat
amer d’un manque criant d’humanité.
Céline, jeune femme originaire du Doubs, nous raconte
comment elle a décidé, adolescente, de sortir du silence. Abusée
sexuellement par son beau-père pendant des années, elle réalise soudain
que ce qu’elle a vécu « n’est pas normal« .
« C’est ma psy qui a fait le signalement. Le
rendez-vous avec la police s’est déroulé à l’hôpital, pendant que
j’étais prise en charge pour les constatations » détaille-t-elle.
« C’était très difficile. L’attitude des gendarmes – une femme et deux
hommes – était très froide, ils ne compatissaient pas. J’avais
l’impression d’être jugée, d’être la coupable. Je pleurais beaucoup mais
en face de moi, on restait glacial. Dans la chambre, il y avait trop de
monde, je n’ai pas réussi à finir la déposition du premier coup. »
Une absence d’empathie également remarquée par
Thomas*, séquestré et violé par un homme à l’adolescence, alors qu’il se
trouve en état de coma éthylique. Quinze ans plus tard, à l’âge de 30
ans, celui qui préfère témoigner par mail plutôt que par téléphone car
aux yeux de sa femme, il « porte le masque du mec qui va bien », décide
de porter plainte.
« Une association d’aide aux victimes m’a redirigé
vers un commissariat. Je m’y suis rendu apeuré. La policière qui m’a
reçu – je ne voulais surtout pas parler à un homme – était très à
l’aise, absolument pas dans la compassion. Pire, la seconde
fonctionnaire de police à qui j’ai dû raconter mon histoire m’a
carrément pris de haut. J’étais sans voix, c’était le cliché du mauvais
flic. »
« Nous ne sommes pas formés »
Et du côté des policiers, qu’en dit-on ? Pour le
savoir, nous avons contacté la commissaire du 11eme arrondissement,
cheffe du service d’accompagnement et d’investigation de proximité
(SAIP). Elle reconnaît d’emblée qu’aucune formation spécifique à
l’accueil des victimes de viol ou d’agression sexuelle ne leur est
imposée :
« Nos services interviennent en premier sur le
terrain dans le cas d’une agression sur la voie publique, mais il est
vrai que nous ne sommes pas formés à la prise en charge de ces
victimes. »
A tout le moins existe-t-il une marche à suivre :
« On essaie de prendre en charge ces personnes le
plus rapidement possible, dans un endroit confidentiel et pas dans des
bureaux communs. On tente aussi de confier la déposition à un
fonctionnaire expérimenté. En ce qui concerne la visite chez le médecin,
tout dépend du type d’agression. Si elle vient de se produire, nous
conduisons directement la victime aux UMJ (unités médico judiciaires,
ndlr). En revanche, si les actes sont antérieurs, on préfère donner un
rendez-vous à la victime. Elle s’y rendra plus tard. En fait, il n’y a
pas vraiment de protocole, mais plutôt un ensemble de bonnes
conduites. »
De protocole, pourtant, il est question dès novembre
2014 parmi les équipes de Marisol Touraine, ministre de la Santé.
Ambitieux projet « d’amélioration de la prévention et de la prise en
charge des femmes victimes de violences »… il accouche d’une souris, en
recommandant par exemple une « unité de lieu ». En clair, le texte
encourage une intervention coordonnée entre policiers et médecins, afin
d’éviter que les victimes ne soient livrées à elles-mêmes, et ne
décident finalement d’abandonner les poursuites.
« Elle ne voulait plus se rendre à l’audience »
Ernestine Ronai, membre de la mission
interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences,
participe à l’élaboration de ce protocole. Auprès de metronews, elle
tient à rappeler que des « mesures concrètes sont en cours de
déploiement ». A l’image d’un guide d’aide à l’audition, préconisant
« une attitude bienveillante » des policiers à l’égard des victimes.
« On devrait pouvoir dire à ces personnes qui se
présentent au poste : ‘vous n’y êtes pour rien, la loi est de votre côté
et nous allons vous aider’. Mais il faut du temps pour instaurer ces
pratiques, et les victimes, elles, n’ont pas le temps. Nous partons de
loin », reconnaît-elle.
Un constat que partage l’avocate pénaliste
spécialisée en victimologie Martine Moscovici. Interrogée par metronews,
elle explique :
« Il y a un tel turn-over au niveau de l’accueil du
public dans les commissariats qu’un simple protocole ne suffirait pas.
Or, le premier accueil est déterminant. Il y a quelques années, en
Seine-Saint-Denis, une de mes clientes n’a pas du tout été prise au
sérieux parce qu’elle avait un look un peu destroy, avec des piercings
et les cheveux décolorés. Du coup, après une prise en charge
catastrophique par les policiers, elle ne voulait plus se rendre à
l’audience. » Mais la robe noire de nuancer : « heureusement, cela se
passe beaucoup mieux dans la police judiciaire, où les officiers sont
confrontés exclusivement à des crimes, et formés pour en accueillir les
victimes. »
« Plus belle la vie » : un sondage sur une scène de viol choque TwitterFaire remonter les « souvenirs enfouis »
Une meilleure prise en charge à la PJ ? C’est en tout
cas ce qu’a pu vérifier Anna, convoquée dans leurs locaux deux jours
après son passage au commissariat.
« Je me suis sentie bien plus prise au sérieux »,
dit-elle. « Le chef de service est venu à ma rencontre, il a tenu à me
dire qu’il était désolé pour ce qui m’était arrivé et qu’il mettait tout
en œuvre pour retrouver mes deux agresseurs. Sur place, une interprète
m’a aidée et ensuite, on m’a proposé une aide psychologique. »
Au commissariat néanmoins, toutes les victimes, n’ont
pas à souffrir d’une prise en charge ressentie comme expéditive et sans
chaleur.
Stéphanie, en Champagne-Ardennes, a porté plainte en 2007 après des années d’agressions sexuelles de la part de son père.
« J’avais peur qu’on ne comprenne pas pourquoi
j’avais tant attendu avant de parler » nous confie-t-elle. « Comme
j’étais ado au moment des faits, j’ai été prise en charge par trois
femmes de la brigade des mineurs. Elles ont su poser les bonnes
questions pour faire remonter des souvenirs enfouis. Mais si j’avais été
mal reçue, j’aurais changé d’avis et je serais partie. »
Contrairement à Stéphanie, d’autres ont effectivement fait demi-tour par peur, par honte aussi.
Pendant ces cinq dernières années, sur 98.000 cas de
viols ou tentatives de viols, seules 10% des victimes ont osé porter
plainte**.
Age, lieux, profil des agresseurs : ce que les Français ignorent sur le viol* Les prénoms ont été changés
** Source : Enquête ONDRP cadre de vie et sécurité 2010 – 2015
metronews.fr
Source : https://sanscompromisfeministeprogressiste.wordpress.com/2016/03/03/manque-de-bienveillance-pour-les-victimes-de-viol-dans-les-commissariats/
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