par Aïssata Maïga
3.1 Violence économique et violence sexuelle liées à une vision commerciale de la femme
4.1 Pratiques pornographiques appliquées à toutes
L’idée que le nombre de viols diminue grâce à la
prostitution est héritée du moyen âge (St Augustin et confrères). La
prostitution d’une classe de femmes (inférieure) existerait pour
protéger une autre classe de femmes (supérieure). Ce mantra s’est
largement répandu car il profite aux systèmes dominants intrinsèquement
imbriqués dans lesquels nous vivons, à savoir patriarcat et
néo-libéralisme. Au-delà d’une dualité, cette idée promeut plutôt un
système hiérarchique où les hommes (en haut) achètent des
marchandises-femelles (en bas) pour se satisfaire, ce qui garantirait la
sécurité des femmes honorables (au milieu).
Cette idée résiste même si l’on connait les mythes
sur lesquels elle repose. Les résultats de décennies d’analyse et de
recherche féministes prouvent que le viol est commis à 75% par un
proche : père, frère, petit-ami ou mari, collègue… dans un cadre ou la
victime a fait initialement confiance à l’agresseur. Et où l’agresseur a
utilisé cette confiance comme un moyen supplémentaire de pression et
pour attaquer, puis museler sa victime. Certaines de ces femmes violées,
« préparées pour plus de violences », passeront ensuite une partie de
leur vie dans la prostitution, où elles continueront à être violées par
les prostitueurs, les fameux « clients ».
Cette idée, ou plutôt ce mensonge moyenâgeux
–littéralement !- sert à obscurcir un fait, très documenté mais moins
répandu car mettant en danger la rentabilité de l’industrie du sexe et
les intérêts de la classe dominante : celle que l’existence de la
prostitution augmente le nombre de viols. La prostitution et le viol de
toutes les femmes sont au cœur du système d’exploitation
prostitutionnel, et il est vital d’en prendre conscience et le diffuser.
1.Augmentation des viols des femmes prostituées
La prostitution est une « activité » violente en soi.
Dans les autres « occupations professionnelles » où l’employée court
autant de risques d’être frappé.e, violé.e ou tué.e dans « l’exercice de
ses fonctions », il/elle porte en général une arme, un gilet
pare-balles et est escorté.e par ses collègues (police ou armée).
Les femmes enfermées dans le système prostitutionnel
sont victimes de viols nombreux et répétés. Encourager ce « job »
revient à accepter ces viols comme normaux. Une étude effectuée sur 200
jeunes femmes prostituées (mineures !) à San Francisco, établit que 70%
d’entre elles ont été violées en moyenne 31,3 fois par an par des
prostitueurs. Une étude sur les survivantes de la prostitution avançait
des chiffres encore plus alarmants : les femmes interrogées rapportent
en moyenne 103 viols par an (p 453). En outre, elles étaient soumises à
53 séances de torture filmées – et nous invitions les défenseurs de la
pornographie comme liberté d’expression à retenir ce chiffre.
Dans les pays qui ont légalisé la prostitution et lui
permettent de prospérer, très logiquement, plus de femmes sont violées.
Les prostitueurs s’adressent à des criminels reconvertis en hommes
d’affaires, et ceux-ci leur fournissent les femmes pour réaliser leurs
« fantasmes » violents et préfabriqués par la pornographie. En
Allemagne, les tenanciers de bordels ont saisi l’opportunité de la
légalisation pour importer des femmes pauvres pour les exploiter ; de
200 000 en 1999, elles étaient 400 000 seulement deux ans après la
légalisation.
2.Légalisations des bordels= explosion des risques de viol
La prostitution de rue est moins dangereuse que la
prostitution en « maison close ». Bien que l’industrie du sexe affirme
que les maisons closes permettraient, contrôle hygiène et sécurité ; il
ne faudrait surtout pas oublier la fonction véritable du bordel.
Celle-ci n’est certainement pas d’assurer l’hygiène, ni de garantir un
« travail » dans un lieu sécurisé pour les femmes, mais de mettre ces
femmes et ces filles à la disposition d’hommes qui ont payé pour leur
imposer des actes sexuels, dans un lieu qui tourne à l’argent du
prostitueur. L’enfermement enlève toute possibilité de fuite et de
défense. En faisant le parallèle avec une femme victime de violence
conjugale, on comprend aisément qu’elle est plus en danger enfermée dans
sa maison et à la merci d’un conjoint violent, qui ne doute à aucun
instant de son droit de contrôle sur elle. Par exemple, l’ONG Péruvienne
Viva Mujer a commencé un travail de sensibilisation, en rassemblant des
lettres d’excuses d’hommes suppliant leur conjointe de revenir–pour
terminer de les détruire.
Or, le même raisonnement est difficile à faire
admettre pour les femmes prostituées. Comment une femme pourrait-elle
être en sécurité dans un endroit fermé, à la merci de plusieurs hommes
qui se sentent investis de tous les droits sur son corps, et ont décidé
de lui faire subir leur violence sexuelle ? Les témoignages d’agressions
et de viols dans les établissements « clean » et « haut de gamme » ne
manquent pas, sans qu’on ne lise jamais l’intervention bienveillante
d’un « manager » pour y mettre fin.
Enfin, n’oublions pas la violence économique
inhérente aux bordels : lieux d’exploitation économique, où les femmes
sont sensées « servir » des dizaines d’hommes pour rembourser la
location et payer le proxénète, avant de pouvoir « gagner » leur premier
euro.
3.Violences sur la classe de femmes non-prostituées3.1 Violence économique et violence sexuelle liées à une vision commerciale de la femme
Une blague russe circulait beaucoup dans les années
90. Un homme rentre dans un bar et aborde une jeune fille. Il lui
demande si elle accepterait de coucher avec lui pour un million de
dollars. La jeune fille accepte avec enthousiasme. Il lui propose alors
un dollar pour la même chose. Cette fois, la jeune fille s’énerve et lui
demande s’il la prend pour une prostituée. L’homme répond qu’il sait
déjà ce qu’elle est. Il s’agit juste de déterminer sa valeur exacte.
Une des fonctions de l’humour est d’enraciner une
déclaration et emporter l’acquiescement par le rire. La fonction de
cette blague est de rappeler cette « vérité sociale ». Une femme est
toujours à vendre. Qu’il s’agisse de payer pour du sexe, échanger un
resto et un ciné pour du sexe, importer une épouse docile d’Ukraine ou
de Thaïlande… le rôle de l’homme doit être malin et d’obtenir la femme
visée au meilleur prix.
Cette blague a une autre particularité ; elle
témoigne de la violence du système néolibéral. Pourquoi cet homme
offre-t-il de payer en dollars et non en roubles ? Dans les années 90,
le rouble et l’URSS (unique monnaie autorisée en Union Soviétique) se
sont effondrés en même temps que toute protection sociale pour les plus
vulnérables. Les hommes ayant accès aux dollars américains (grâce aux
privatisations sauvages et la corruption) ont obtenu un pouvoir
politique et économique démesuré, pouvoir qu’ils ont utilisé pour non
seulement acheter les femmes russes, mais aussi les distribuer à l’Ouest
via un système de traite organisée. De nos jours, les forums de
prostitueurs se réjouissent du déclin sauvage de la Grèce, et des femmes
grecques « trop fières » que la pauvreté « remet à leur place ». De
marchandises.
Les hommes dans le système prostitueur attendent des
femmes d’être toutes à vendre. Une étude a démontré que les hommes qui
achètent des femmes commettent beaucoup plus de crimes en général que
les non acheteurs de sexe. Et que tous les crimes comportant un élément
de violence envers les femmes étaient commis par les prostitueurs. Une
étude Sud Africaine met aussi en lumière le rapport entre viol et
prostitution : les hommes avec une vision commerciale des femmes avaient
des scores plus importants quand leur misogynie et leurs tendances
psychopathes étaient mesurées ; ils étaient tous nettement plus violents
sexuellement et physiquement envers les femmes.
3.2 Ces hommes qui « aiment le sexe » et haïssent les femmes
3.2 Ces hommes qui « aiment le sexe » et haïssent les femmes
Quand on expose les motivations des hommes acheteurs,
leur haine des femmes ne tarde pas à émerger. Derrière les discours de
« besoins sexuels irrépressibles » et « respect des travailleuses du
sexe », la plupart des clients exigent des rapports où l’humanité de
l’autre est niée.
Ils se disent nostalgiques des rapports hommes-femmes
à l’ancienne, de la complémentarité où tout le monde était à sa place
(et les femmes en dessous, sans surprise), et où celles-ci n’avaient pas
de prétentions à l’indépendance ni de possibilité de refuser quoi que
ce soit (et surtout pas un rapport sexuel). Avec un tel système de
valeurs, il n’y a donc aucune raison que ces clients « limitent » leur
violence aux femmes prostituées – quand ils le peuvent, ils prostituent
d’ailleurs leurs conjointes, en leur faisant vivre en parallèle un enfer
de violences conjugales (témoignage 1 & témoignage 2).
3.3 Attitudes collectives
3.3 Attitudes collectives
Les prostitueurs sont sept fois plus nombreux à dire
clairement qu’ils violeraient une femme s’ils pouvaient s’en sortir en
toute impunité (Melissa Farley, sur une étude de 800 hommes). Dans le
rapport Deconstructing the Demand 27% ont répondu aux chercheurs avoir
commis des actes sexuels coercitifs (ou en d’autres termes, un viol
qu’ils se refusaient de nommer) contre une femme non prostituée, et 19%
ont admis explicitement avoir commis un viol. En Ecosse, 54% des
prostituteurs admettent être violents sexuellement avec leur compagne.
Ils sont évidemment 50% à trouver que l’idée qu’une
femme dans la prostitution puisse être violée est « ridicule » (même
source), et adhérèrent aussi à tous les autres mythes sur le viol (elle
était saoule, en jupe, tard le soir, seule dans la rue…) Cela peut
sembler évident mais il faut rappeler que l’adhésion aux mythes sur le
viol a une très grande importance lorsque l’on s’interroge sur la
violence contre les femmes. Les violeurs (sans surprise) croient
fermement aux mythes sur le viol, mais se sentent aussi encouragés quand
ils perçoivent que l’entourage y adhère également– d’où l’immense poids
du système prostitutionnel dans les mentalités collectives et la
violence exercée envers les femmes.
Les hommes qui achètent du sexe transfèrent leurs
exigences sexuelles sur les femmes non prostituées (rapports violents,
humiliants.) Le refus d’une femme non prostituée de se soumettre
entraînera de la colère et possiblement une agression. La Jonqera,
située à la frontière espagnole, souffre d’une culture où les hommes
sont largement encouragés à avoir accès à la prostitution. Les femmes
non-prostituées subissent une pression intense pour « offrir les mêmes
prestations » que les femmes exploitées de l’autre côté de la frontière.
La Jonquera est souvent décrite comme une zone de non droits pour les
femmes ; deux journalistes en reportage ont rapporté un haut niveau de
harcèlement constant et permanent dans la ville.
4.Pornographie : « quand ton viol devient distraction, ta destruction est absolue. » (Dworkin)4.1 Pratiques pornographiques appliquées à toutes
Aux Etats-Unis, la corrélation entre les états où
circulent le plus de pornographie et le nombre de viols est établie.
L’état du Nevada, où la prostitution est légale, enregistre plus de
viols que la moyenne nationale (Rapport du FBI Uniform Crime Report) et
bien plus que dans des états plus peuplés comme la Californie, New York
ou le New Jersey.
La pornographie et la prostitution sont deux vases
communicants. Les hommes utilisent la pornographie pour imposer aux
femmes dans la prostitution leurs « fantasmes », qui sont en réalité un
système de torture sexuelle ritualisé plutôt que l’expression d’une
fantaisie individuelle ; tandis que les femmes prostituées sont
utilisées pour la production de pornographie. Mais l’image est inexacte.
Là où un vase communiquant est étanche, la violence découlant de la
consommation de la pornographie s’étend à toutes les femmes, tant que
les hommes dans leur entourage en consomment. Des centaines de milliers
de femmes sont brutalisées et violées pour le plaisir du public
masculin, qui cherche à reproduire les mêmes actes sur ses conjointes et
« conquêtes ».
Une femme de 23 ans, de la génération ayant grandi
avec la pornographie parle dans un article d’un phénomène nouveau :
toutes les filles de son âge qu’elle connaît ont été soumises à des
actes violents et dégradants imitant le porno. Avec ou sans leur
consentement, souvent forcées et y compris pendant leur sommeil !
Une méta-analyse de 46 études sur 12 300 personnes
sur les effets de la pornographie sur les attitudes, les agressions
sexuelles et les relations intimes, et l’adhérence aux mythes sur le
viol fait apparaitre ceci : l’exposition à la pornographie augmente les
risques d’agression sexuelle (+22%), dégrade considérablement les
relations intimes avec les femmes et renforce l’adhésion aux mythes sur
les viols (+33%).
Ces chiffres, qui prouvent la facilitation du passage
à l’acte, ne sont pas encourageants dans une société où une femme sur 4
a subi une agression sexuelle. Accessible, anonyme et gratuit,
l’avènement du porno s’est également accompagné de la multiplication des
violeurs qui sont encore mineurs.
4.2 La pornographie comme outil du violeur
La pornographie est également une stratégie bien
établie des agresseurs. Une étude francophone du Centre Hubertine
Auclair rappelle que « consommation de pornographie et agression
sexuelle ne sont pas deux comportements distincts, même si les victimes
ont du mal à faire le lien » et clarifie comment pornographie et viol
interagissent de quatre manières différentes :
Faire subir à la victime un environnement
pornographique dès le choix du vocabulaire puisque les agresseurs
utilisent des euphémismes (« inclinaisons » « penchants sexuels », « se
soulager »…). Autant de termes, utilisés pour désigner des délits
majeurs et des crimes […] qui visent à empêcher la victime d’identifier
la violence.
Utiliser la pornographie comme préalable à
l’agression : l’agresseur montre de la pornographie à la victime juste
avant de l’agresser ou pendant l’agression pour la mettre en état de
choc, lui retirant toute capacité à se défendre.
Annihiler les résistances de la victime [quand] les
agresseurs montrent aux victimes des images ou films pornographiques
pour les habituer à la violence, jusqu’à ce qu’elle […] soit admise. Le
but de l’agresseur est de convaincre la victime que ce qu’elle subit est
normal […] d’augmenter son seuil de tolérance à la violence […].
L’agresseur teste les défenses de sa future victime, et quand ses
capacités à résister sont annihilées, il l’agresse.
Impliquer la victime dans l’agression, […] quand les
agresseurs font participer activement les victimes à leur propre viol.
Le destin du matériel filmé pendant les agressions génère toujours une
angoisse chez les victimes. Impliquer la victime […] permet de
verrouiller le secret, de garder une emprise à distance sur la victime
et de l’empêcher de parler.
Il est clair que ce que le problème de l’existence de
la pornographie, que féministes ont soulevé dans les années 70, et que
nous percevons de façon parfois confuse quand nous sommes exposées à la
violence masculine sous une forme ou d’une autre est fondé. On dit ainsi
que La pornographie crée une armée de violeurs.
En conclusion :
Le néo-libéralisme a fait revenir le débat sur
l’exploitation sexuelle à une époque que l’on croyait être révolue ;
avec l’idée une classe de femmes sensées « protéger » d’autres en
répondant aux « besoins sexuels masculins ». Pour celles-ci, le viol
est un « risque du métier ». Et incroyablement, dans un système qui
ramène les individus à leur valeur, il nous faut constamment répéter que
les femmes prostituées ne sont pas moins « valables » que les autres
femmes.
Quant aux hommes, loin de les aider à contrôler
« leurs pulsions », l’accès à la prostitution les transforme
profondément. Elle les encourage à considérer toutes les femmes comme un
butin à chasser, renforce leur adhésion aux mythes sur le viol et
justifie la violence masculine.
Aussi ignoble que cela puisse paraître, beaucoup de
gens réagissent uniquement aux actes de viols que il s’agit de femmes
non prostituées. Si la prostitution est l’expression suprême de la
violence masculine, qui allie expression de pouvoir, violence physique
et économique, alors elle met en danger toutes les femmes.
La prostitution est par nature exploitative,
dangereuse, dégradante pour la personne et pour la société dans son
ensemble. Il est donc évident que la tolérance et la réglementation,
loin de « canaliser les pulsions », participent d’un mouvement général
de violence envers les femmes, toutes les femmes. Quand nous adhérons
collectivement aux mythes sur la prostitution et le viol, nous
sanctionnons au niveau étatique, encourageons au niveau commercial, et
normalisons cette violence, la définissant comme inévitable plutôt que
comme un mal qui gangrène l’ensemble de la société.
Une critique qui circule de façon redondante de
l’abolitionnisme est que ses défenseuses ne connaîtraient aucune
« travailleuse du sexe ». Ce qui est d’emblée hors de propos : beaucoup
d’abolitionnistes ont une connaissance intime de la prostitution,
connaissance qu’elles prennent le risque d’exposer quotidiennement
malgré le traumatisme pour pouvoir la combattre. Cette critique tente
d’étouffer leur parole, tandis que les règlementaristes (auto-désignés
représentants syndicaux) peuvent endosser le rôle gratifiant de
véritables voix de la classe prostituée pour faire avancer les intérêts
de l’industrie du sexe.
Le but réel de cette critique est de servir une
stratégie médiatique : représenter les abolitionnistes comme loin du
terrain, isolées de la réalité ; parlant une réalité qui ne les
concernerait pas. Or, quand l’idée que la prostitution augmente le
nombre de viols se diffuse, alors le débat ne concerne plus seulement
les règlementaristes et abolitionnistes, mais devient l’affaire du grand
public qui doit prendre parti. Le « rôle » de la prostitution n’est pas
d’empêcher les viols. La prostitution et le viol sont deux facettes
d’un monde où toute femme est une marchandise et fait l’objet d’une
transaction, « volontairement » ou non.
Ressource : https://ressourcesprostitution.wordpress.com/2015/11/11/lordre-du-viol-prostitution-pornographie-et-violences-sexuelles/
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