LOS ANGELES, CA – JANUARY 16 : Hugh Hefner (C) poses
with Playboy Bunnies Playmate of the Year 2013 Raquel Pomplun (2nd L)
and Miss December 2009 Crystal Hefner (2nd R) at Playboy’s 60th
Anniversary special event on January 16, 2014 in Los Angeles,
California. (Photo by Rachel Murray/Getty Images for Playboy)
Le triomphe des pornographes est une victoire du
pouvoir sur la justice, de la cruauté sur l’empathie, et des profits sur
les droits humains. Je pourrais faire cet énoncé à propos de Walmart ou
de McDonalds et les progressistes en conviendraient avec enthousiasme.
Nous comprenons toutes et tous que Walmart détruit les économies
locales, dans un processus d’appauvrissement implacable des communautés
partout aux États-Unis, qui est maintenant presque achevé. Cette
entreprise dépend aussi de conditions de quasi esclavage pour les
travailleuses et travailleurs chinois qui produisent les montagnes de
merde à vil prix que vend Walmart. En bout de ligne, le modèle de
croissance sans fin du capitalisme est en train de détruire le monde.
Pas une personne de gauche ne prétend que les merdes produites par
Walmart équivalent à la liberté. Personne ne défend Walmart en disant
que son personnel, américain ou chinois, choisit d’y travailler. Les
gauchistes comprennent que les gens font ce qu’ils doivent faire pour
survivre, que n’importe quel emploi est meilleur que le chômage, et que
le travail au salaire minimum sans prestations sociales est un motif de
révolution, pas une défense de ces conditions. Il en est de même chez
McDonalds. Personne ne défend ce que McDonalds fait aux animaux, à la
terre, aux travailleuses et aux travailleurs, à la santé et à la
communauté humaines ; personne ne souligne que les personnes qui
s’épuisent debout devant des bacs de graisse bouillante ont consenti à
transpirer toute la journée ou que les éleveuses et éleveurs de porcs
ont volontairement signé des contrats qui assurent à peine leur survie.
La question en jeu n’est pas leur consentement, mais bien les impacts
sociaux de l’injustice et de la hiérarchie, la façon dont les
entreprises sont essentiellement des armes de destruction massive.
Mettre l’accent sur le seul moment du choix individuel ne nous mènerait
nulle part.
Le problème tient aux conditions matérielles qui font
que perdre graduellement la vue dans une usine de puces de silicium à
Taiwan constitue un pis-aller pour certaines personnes. Ces gens sont
des êtres vivants. Les gauchistes revendiquent les droits humains comme
assise politique et critère ultime : nous savons que cette femme
taïwanaise ne diffère pas significativement de nous, et que si perdre la
vue pour quelques centimes sans avoir droit à une pause pipi était
notre meilleure option, nous serions dans des circonstances sinistres.
Alors qu’en est-il de la femme qui doit endurer une
double sodomie ? Il ne s’agit pas d’une exagération ou de « mettre
l’accent sur le pire », comme on accuse souvent les féministes de faire.
Le « double-anal » est maintenant monnaie courante dans le genre gonzo
porn, le porno rendu possible par l’Internet, le porno sans prétention
d’un scénario, celui que préfèrent les hommes et de loin. Cette femme,
tout comme celle qui assemble des ordinateurs, en subira probablement
des dommages physiques permanents. En fait, l’actrice typique de
productions de gonzo porn n’arrive qu’à durer en moyenne trois mois
avant de se retrouver démolie, tant les actes sexuels exigés sont
éprouvants. Toute personne ayant une conscience plutôt qu’une érection
le comprendrait au premier coup d’œil. Si vous passez quelques minutes à
regarder de telles images – à les regarder vraiment plutôt que de vous y
masturber – vous serez sans doute d’accord avec Robert Jensen, pour qui
la pornographie est « ce à quoi ressemble la fin du monde » :
« Par cela, écrit-il, je ne veux pas dire que la
pornographie va provoquer la fin du monde ; je n’ai pas de délires
apocalyptiques. Je ne veux pas dire non plus que de tous les problèmes
sociaux auxquels nous sommes confrontés, la pornographie est le plus
menaçant. Je veux plutôt suggérer que si nous avons le courage de
regarder honnêtement la pornographie contemporaine, nous obtenons un
aperçu, particulièrement viscéral et puissant, des conséquences des
systèmes oppressifs dans lesquels nous vivons. La pornographie est ce à
quoi notre fin va ressembler si nous n’inversons pas l’orientation
pathologique qu’a prise notre société corporatiste et capitaliste,
patriarcale, raciste et prédatrice … Imaginez un monde dans lequel
l’empathie, la compassion et la solidarité – les choses qui rendent
possible une société humaine décente – sont finalement et entièrement
submergées par une recherche du plaisir autocentrée et émotionnellement
détachée. Imaginez ces valeurs mises en œuvre dans une société
structurée par de multiples hiérarchies dans lesquelles une dynamique de
domination et de subordination façonne la plupart des relations et
interactions … Mon sentiment de désespoir s’approfondit d’année en année
à propos de la tendance actuelle de la pornographie et de notre culture
pornographique. Ce désespoir ne tient pas à ce que beaucoup de gens
peuvent être cruels, ou que certains d’entre eux prennent sciemment
plaisir à cette cruauté. Les humains ont toujours dû faire face à cet
aspect de notre psychologie. Mais que se passe-t-il quand les gens ne
peuvent plus voir la cruauté, quand le plaisir pris à la cruauté est
devenu si normalisé qu’il est rendu invisible pour autant de gens ? Et
que se passe-t-il quand, pour une partie considérable de la population
masculine, cette cruauté devient une partie routinière de la sexualité,
définissant les parties les plus intimes de nos vies ? »
Tout ce que les gauchistes ont à faire est de
conclure à partir de nos observations, comme nous le faisons face à tous
les autres cas d’oppression. Les conditions matérielles que créent les
hommes en tant que classe (ce qu’on appelle le patriarcat) signifient
qu’aux États-Unis, la violence des hommes envers leurs partenaires
intimes constitue le crime violent le plus fréquent. Les hommes violent
une femme sur trois et agressent sexuellement une fille sur quatre avant
l’âge de 14 ans. L’auteur numéro un des agressions sexuelles dans
l’enfance a pour nom « Papa ». Andrea Dworkin, l’une des femmes les plus
courageuses de tous les temps, a compris que ce problème était
systématique et non personnel. Elle a vu que le viol, les raclées,
l’inceste, la prostitution et l’exploitation de la reproduction
s’alliaient pour créer une « barricade du terrorisme sexuel » à
l’intérieur de laquelle doivent vivre toutes les femmes. Notre travail
en tant que féministes et membres d’une culture de résistance n’est pas
d’apprendre à érotiser ces actes ; notre tâche est d’abattre cette
barricade.
En fait, la droite et la gauche entretiennent à elles
deux un petit monde confortable qui ensevelit les femmes dans des
conditions de soumission et de violence. Toute critique de la sexualité
machiste suscite des accusations de censure ou de puritanisme de droite
anti-fun. Mais du point de vue des femmes, la droite et la gauche créent
une hégémonie sans faille.
L’autrice Gail Dines (PORNLAND) écrit : « Quand je
critique McDonalds, personne ne me qualifie d’anti-nourriture. » Les
gens comprennent que ce qui est critiqué est un ensemble de relations
sociales inéquitables, avec des composantes économiques, politiques et
idéologiques, qui reproduisent l’inégalité. McDonalds ne fabrique pas de
la nourriture générique : elle fabrique un produit capitaliste
industriel, à des fins lucratives. Les pornographes ne sont pas
différents : ils ont bâti une industrie qui accumule 100 milliards par
année, en vendant non seulement le sexe comme une marchandise, ce qui
serait déjà assez horrible pour notre humanité collective, mais
également la cruauté sexuelle. Cette cruauté est l’âme même du
patriarcat, le marasme que les gauchistes se refusent à reconnaître : la
suprématie masculine prend des actes d’oppression et les transforme en
sexualité. Peut-il exister une validation plus puissante que l’orgasme ?
Et comme cette récompense est ressentie de façon
aussi viscérale, de telles pratiques sont défendues (dans les rares cas
où une féministe est en mesure d’exiger qu’on les justifie) comme
« naturelles ». Même lorsqu’elle est enveloppée de racisme, beaucoup de
gens de gauche refusent de reconnaître l’oppression inhérente à la
pornographie. Des productions comme Little Latina Sluts ou Pimp My Black
Teen ne provoquent pas l’indignation, mais le plaisir sexuel chez les
hommes qui consomment un tel matériel. Une sexualité qui consiste à
érotiser la déshumanisation, la domination et la hiérarchie s’étendra
facilement à d’autres types d’hiérarchies et s’alimentera facilement à
des représentations racistes. Ce qu’elle ne fera jamais est construire
un monde égalitaire de soin et de respect, le monde que la gauche
prétend revendiquer.
À l’échelle mondiale, le corps féminin dénudé – trop
mince pour porter des enfants viables et souvent trop jeune à tous
égards – est en vente partout, comme image définissant notre culture et
comme réalité brute : les femmes et les filles sont maintenant le
principal produit vendu sur le marché noir mondial. En effet, des pays
entiers équilibrent leur budget en misant sur la vente de femmes.
L’esclavage est-il une violation des droits de l’homme ou un simple
frisson sexuel ? Quelle est l’utilité d’un mouvement de changement
social qui se refuse à traiter cette question ?
Nous devons nous affirmer comme personnes ayant à cœur la liberté, non pas la liberté d’agresser, d’exploiter et de déshumaniser, mais la liberté de ne pas être avilie et violée, et celle de ne pas subir la célébration culturelle de cette violation.
Nous devons nous affirmer comme personnes ayant à cœur la liberté, non pas la liberté d’agresser, d’exploiter et de déshumaniser, mais la liberté de ne pas être avilie et violée, et celle de ne pas subir la célébration culturelle de cette violation.
La situation actuelle illustre la faillite morale
d’une culture fondée sur la violation et les privilèges qui
l’autorisent. C’est une légère variation de l’idéologie des Romantiques,
où le désir sexuel a remplacé l’émotion comme état non médiatisé,
naturel et privilégié. Sa version sexuelle est un héritage direct de la
Bohème, qui se délectait de l’étalage public de « transgressions, excès
et outrages sexuels ». Une bonne part de cette éthique peut être
attribuée au marquis de Sade, tortionnaire historique de femmes et
d’enfants. Pourtant, Sade a été revendiqué comme source d’inspiration et
fondement par des écrivains aussi connus que Baudelaire, Flaubert,
Swinburne, Lautréamont, Dostoïevski, Cocteau et Apollinaire, ainsi que
par Camus et Barthes. Camus a écrit, dans L’homme révolté, « deux
siècles à l’avance … Sade a exalté les sociétés totalitaires au nom de
la liberté frénétique ». Sade présente également une première
formulation de la volonté de pouvoir propre à Nietzsche. Son éthique
fournit en fin de compte « les racines érotiques du fascisme ».
Une fois de plus, l’heure est venue de choisir. Les
signes avant-coureurs sont publics, et il est temps d’en tenir compte.
Les étudiants universitaires manifestent aujourd’hui 40 pour cent moins
d’empathie qu’ils et elles n’en avaient il y a vingt ans. Si la gauche
veut assembler une véritable résistance, une résistance contre le
pouvoir qui brise les cœurs et les os, détruit les rivières et les
espèces, elle devra entendre, et enfin comprendre, cette phrase
courageuse de la poétesse Adrienne Rich : « Sans tendresse, nous sommes
en enfer. »
Lierre Keith est écrivaine, féministe radicale et activiste
alimentaire. Elle est l’autrice de deux romans, ainsi que de l’essai The
Vegetarian Myth : Food, Justice, and Sustainability. Elle vit dans le
comté de Humboldt, en Californie.Cet essai est extrait du chapitre 4 de l’essai Culture of Resistance de l’organisation Deep Green Resistance.
Son site internet est http://www.lierrekeith.com/
Version originale : http://www.feministcurrent.com/2016/07/26/the-triumph-of-the-pornographers/
Traduction : Martin Dufresne
Source : https://ressourcesprostitution.wordpress.com/2016/09/05/lierre-keith-le-triomphe-des-pornographes/
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