« Dans un monde à l’endroit, les femmes victimes de
violences conjugales devraient être immédiatement protégées. Dans notre
réalité, c’est très loin d’être le cas, il est rare que les menaces de
mort soient prises au sérieux, et que leur sécurité soit réellement
assurée :
« Une femme victime de violences par son conjoint
est censée s’opposer, partir et porter plainte dès le premier coup
qu’elle reçoit. Si, comme Jacqueline Sauvage, elle est restée de
nombreuses d’années à subir des violences sans les dénoncer, ni fuir,
cela suscite le doute et l’incompréhension.
Ne ment-elle pas ? N’est-ce pas sa faute puisqu’elle
n’a pas réagi ? Et ces violences, n’y a-t-elle pas consenti et trouvé
son compte par masochisme ?
Penser cela, c’est adhérer à une culture du déni de la violence particulièrement injuste qui culpabilise les victimes.
C’est faire l’impasse sur la réalité de l’enfer que
ces femmes vivent, sur la gravité des menaces qui pèsent sur elles, sur
les nombreuses stratégies des conjoints violents qui organisent leur
emprise et leur impunité, et sur les troubles psychotraumatiques induits
par les violences qui mettent les victimes hors d’état de réagir et les
piège durablement. La violence est un formidable outil de soumission
qui annihile les capacités de défense des victimes.
Au lieu de se demander comment un homme s’autorise à
être si violent, et arrive à transformer l’espace conjugal et familial
en une zone de non-droit et de terreur pendant tant d’années, c’est à la
victime qu’on demande presque toujours des comptes.
Elle est sommée d’expliquer pourquoi elle n’a pas
pas réagi, pourquoi elle est restée si longtemps avec un conjoint qui la
battait, la violait, et maltraitait également les enfants, pourquoi
elle n’a rien dit, ni porté plainte. On lui demande de s’expliquer sur
les phénomènes d’emprise qu’elle subit, alors que c’est elle qui aurait
besoin d’être informée sur les mécanismes qui en sont à l’origine pour
qu’elle puisse les comprendre et y échapper. »
Paris, plusieurs centaines de personnes se sont
rassemblees sur la place de la Bastille, en presence des comediennes
Anne Duperey et Eva Darlhan pour demander la grace presidentielle et
liberer Jacqueline Sauvage. Paris, France le 23 Janvier 2016.
Jacqueline Sauvage graciée ? Les femmes victimes de violences ne sont pas assez protégées
LE PLUS. François Hollande va-t-il gracier Jacqueline
Sauvage, condamnée à 10 ans de prison pour avoir abattu son mari
violent ? La famille de cette femme de 66 ans, qui demande sa
libération, a été reçue le 29 janvier dernier à l’Élysée. Pourquoi les
femmes qui subissent des violences conjugales peinent à les dénoncer ou à
fuir ? Les explications de la psychiatre Muriel Salmona.
Une femme victime de violences par son conjoint est
censée s’opposer, partir et porter plainte dès le premier coup qu’elle
reçoit. Si, comme Jacqueline Sauvage, elle est restée de nombreuses
d’années à subir des violences sans les dénoncer, ni fuir, cela suscite
le doute et l’incompréhension.
Ne ment-elle pas ? N’est-ce pas sa faute puisqu’elle
n’a pas réagi ? Et ces violences, n’y a-t-elle pas consenti et trouvé
son compte par masochisme ?
Une culture qui culpabilise les victimes
Une culture qui culpabilise les victimes
Penser cela, c’est adhérer à une culture du déni de la violence particulièrement injuste qui culpabilise les victimes.
C’est faire l’impasse sur la réalité de l’enfer que
ces femmes vivent, sur la gravité des menaces qui pèsent sur elles, sur
les nombreuses stratégies des conjoints violents qui organisent leur
emprise et leur impunité, et sur les troubles psychotraumatiques induits
par les violences qui mettent les victimes hors d’état de réagir et les
piège durablement. La violence est un formidable outil de soumission
qui annihile les capacités de défense des victimes.
Au lieu de se demander comment un homme s’autorise à
être si violent, et arrive à transformer l’espace conjugal et familial
en une zone de non-droit et de terreur pendant tant d’années, c’est à la
victime qu’on demande presque toujours des comptes.
Elle est sommée d’expliquer pourquoi elle n’a pas pas
réagi, pourquoi elle est restée si longtemps avec un conjoint qui la
battait, la violait, et maltraitait également les enfants, pourquoi elle
n’a rien dit, ni porté plainte. On lui demande de s’expliquer sur les
phénomènes d’emprise qu’elle subit, alors que c’est elle qui aurait
besoin d’être informée sur les mécanismes qui en sont à l’origine pour
qu’elle puisse les comprendre et y échapper.
La protection n’est pas la règle, loin s’en faut
Bien sûr que toute personne qui subit des violences
souhaite plus que tout être protégée et que ses droits soient respectés,
mais encore faudrait-il que ce soit possible… Or la protection n’est
pas la règle, loin s’en faut.
Chaque année, seules 14% des plus de 220.000 femmes
victimes de violences conjugales portent plainte et ce taux descend à 2%
pour les 40.000 femmes victimes de viols conjugaux. 120 à 140 femmes
meurent sous les coups de leur conjoint, et plus de 30 enfants sont tués
en même temps que leur mère, la séparation étant le moment le plus
dangereux [1].
Il est donc particulièrement cruel de faire peser sur
ces femmes des soupçons parce qu’elles n’ont pas pu se protéger sans
prendre en compte ce qui rend toute fuite impossible :
– les menaces des conjoints violents que ce soit sur elles, les enfants ou d’autres proches,– le risque d’être encore plus violentées ou d’être tuées quand elles décident de partir,
– les contraintes et les manipulations psychologiques qui permettent de les culpabiliser et de les contrôler,
– la mise en place de dépendances financières, économiques et administratives qui les privent d’argent, de travail et de papier.
Les conjoints violents instrumentalisent les enfants
Dans un monde à l’endroit, les femmes victimes de
violences conjugales devraient être immédiatement protégées, quand elles
appellent à l’aide.
Dans notre réalité, c’est très loin d’être le cas, il
est rare que les menaces de mort soient prises au sérieux, et que leur
sécurité soit réellement assurée, même si maintenant des mesures de
protection existent en plus de l’hébergement en foyer comme l’ordonnance
de protection et le téléphone grand danger.
De plus, après la séparation, il est fréquent que les
conjoints violents utilisent les enfants pour continuer à exercer des
violences lors de l’exercice de leur autorité parentale et de leurs
droits de visite.
Si les enfants, quand ils sont directement menacés,
peuvent donner aux femmes victimes la force de porter plainte et de
partir pour les protéger, ils peuvent être, a contrario, une raison
majeure de ne pas dénoncer les violences en raison de la peur de perdre
leur garde en cas de séparation (d’autant plus si les violences ont un
impact lourd sur la santé mentale des femmes), et en raison des risques
que les enfants pourraient courir en étant seuls lors des droits de
garde maintenus avec un père violent, sans que la mère puisse
s’interposer et tenter de les protéger.
Un impact psychotraumatique qui piège la victime
Un impact psychotraumatique qui piège la victime
Deux autres raisons majeures empêchent les victimes
de partir, elles sont liées à des symptômes psychotraumatiques, presque
toujours présents lors de violences graves et répétées, d’autant plus
s’il y a eu viols.
La violence a un pouvoir de sidération qui désactive
les fonctions supérieures, expose à un stress dépassé entraînant le
déclenchement de mécanismes neuro-biologiques de survie pour échapper à
un risque vital cardio-vasculaire et neurologique. Ces mécanismes
s’apparentent à une disjonction des circuits émotionnels et de la
mémoire avec la mise en place d’une dissociation traumatique et d’une
mémoire traumatique.
1. La dissociation traumatique
Tout d’abord, la dissociation traumatique. Tant que
la victime reste en contact avec son agresseur, le danger et la
sidération persistent ainsi que le stress extrême, et le mécanisme de
sauvegarde continue d’être enclenché produisant chez la victime un état
de dissociation traumatique chronique.
Cet état déconnecte la victime de ses émotions,
l’anesthésie et l’empêche de prendre la mesure de ce qu’elle subit
puisqu’elle paraît tout supporter. Les faits les plus graves, vécus sans
affect, ni douleur exprimée, semblent si irréels qu’ils en perdent
toute consistance et paraissent n’avoir jamais existé (amnésie
dissociative). L’entourage, face à la dissociation de la victime et son
apparent détachement, ne va pas prendre conscience du danger.
De plus la dissociation est une véritable hémorragie
psychique qui vide la victime et qui annihile ses désirs et sa volonté.
Elle se sent perdue et ne se reconnaît plus, elle est comme un pantin.
De ce fait, il lui est très difficile de se projeter dans un autre
espace, une autre vie, elle s’en sent incapable. Cet état facilite
grandement l’emprise par l’agresseur qui en profite pour coloniser le
psychisme de la victime et la réduire en esclavage.
2. La mémoire traumatique
Ensuite, la mémoire traumatique des violences scelle
plus encore cette emprise : lors des violences, la disjonction empêche
la mémoire émotionnelle d’être intégrée en mémoire auto-biographique par
l’hippocampe (structure cérébrale qui est le système d’exploitation de
la mémoire et du repérage temporo-spatial), cette mémoire reste donc
bloquée dans la structure cérébrale à l’origine de la réponse
émotionnelle : l’amygdale cérébrale.
Elle y est hors temps, hors de toute possibilité
d’analyse et de tri. Elle est indifférenciée comme un magma qui contient
à la fois tout ce qu’a ressenti la victime, les violences, et les mises
en scène du conjoint violent. Elle va se déclencher au moindre lien
rappelant les violences, comme une machine à remonter le temps en
faisant revivre sous la forme de flashbacks les pires moment.
Cette mémoire traumatique se charge de plus en plus
lors des épisodes de disjonction qui peuvent durer de quelques minutes à
des mois, voire des années si les violences se répètent en continu.
Et, telle une bombe à retardement, aussitôt que la
victime n’est momentanément plus en état de dissociation (par exemple si
l’agresseur est absent, si elle est protégée, ou si une violence encore
plus extrême dépasse les capacités de disjonction), elle explose et
envahit l’espace psychique de la victime en lui faisant revivre à
l’identique ce qui a été enregistré.
Une emprise totale sur la victime
La victime ressent alors la terreur et les douleurs
provoquées par les violences, avec une acuité intolérable, la
dissociation n’étant plus là pour les atténuer. Elle ré-entend les
paroles et les mises en scène culpabilisatrices haineuses et méprisantes
de l’agresseur « tout est de ta faute, tu l’as bien mérité, tu ne vaux
rien, tu n’es rien sans moi, etc. »
La victime, dès qu’elle n’est pas avec son conjoint,
se retrouve donc envahie et terrorisée par la mémoire traumatique des
violences, avec un discours intérieur qui l’attaque et l’humilie, et
qu’elle pense être le sien puisque c’est là, dans sa tête, alors qu’il
s’agit de celui de son conjoint.
La victime, colonisée par ce discours, se croit
coupable, folle, incapable voire même ressent de la haine pour
elle-même, ce qui rend toute prise de conscience de ses droits et toute
fuite extrêmement difficile à envisager. La mémoire traumatique
transforme en enfer les seuls moments où elle pourrait récupérer,
organiser sa défense et sa fuite.
Comment, dans ces conditions, la victime peut-elle
échapper à l’emprise de l’agresseur, comment peut-elle envisager son
autonomie ? Elle est sans cesse sous son contrôle même quand il n’est
pas là ! Et si elle réussit à se sauver et trouver un refuge où elle est
en sécurité, elle sortira alors de sa dissociation, et elle sera
envahie par sa mémoire traumatique.
Le piège se referme sur elles
Au lieu d’être plus sereine, elle ressentira une
détresse intolérable et subira des attaques intra-psychiques qui la
culpabiliseront et la disqualifieront.
Il y a alors un grand risque qu’elle retourne avec
son agresseur qui, en ayant le pouvoir de la dissocier aussitôt, va
l’anesthésier ; elle pourra croire qu’elle l’a dans la peau et qu’elle
ne peut pas se passer de lui, alors que c’est dans son amygdale
cérébrale qu’il loge !
Ce comportement, en apparence paradoxal, est un
processus psychotraumatique habituel qui aurait pu être traité, ou tout
au moins expliqué, ce qui aurait permis à la victime d’anticiper et de
désamorcer ces émotions traumatiques trompeuses.
Cette oscillation entre dissociation traumatique et
mémoire traumatique explique pourquoi la victime est souvent condamnée à
rester sous l’emprise de son conjoint. Le piège est refermé sur elle,
seules une protection et une prise en charge par des professionnels
formés en psychotraumatologie pourra lui permettre de s’en libérer.
[1] cf lettre n°8 de l’observatoire national des violences faites aux femmes et les chiffres de l’ONDRPMuriel Salmona
Source : https://sanscompromisfeministeprogressiste.wordpress.com/2016/01/31/lemprise-pourquoi-les-femmes-victimes-de-violences-conjugales-ne-peuvent-pas-fuir/
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