Par KAJSA EKIS EKMAN
article publié sur FEMINIST CURRENT le 24 août 2016
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article publié sur FEMINIST CURRENT le 24 août 2016
« Il y a quelque chose de très singulier dans le
débat sur la prostitution. Alors que la majorité absolue des acheteurs
de sexe sont des hommes, une écrasante majorité des intellectuels qui
défendent la prostitution sont des femmes. C’est un phénomène étrange
qui mérite sans aucun doute sa propre analyse.
Le prostitueur devrait, en théorie, avoir toutes les
raisons de s’inquiéter en ce moment. Il est, pour la première fois, au
centre du débat. Les législateurs prennent de plus en plus pour cible
l’acheteur de sexe, ou « la demande » comme disent les ONG. Le Modèle
nordique a été salué par le parlement de l’Union Européenne comme étant
la législation la plus efficace pour lutter contre le trafic. Et le
mouvement des survivantes du système prostitutionnel grandit dans le
monde entier. Les femmes prennent la parole sur ce que les prostitueurs
leur ont fait, comme dans le livre récemment publié, Prostitution
Narratives : Stories of Survival in the Sex Trade. C’est la première
fois dans l’histoire que tant de femmes révèlent collectivement ce qui
se passe dans le monde de la prostitution – un monde où, jusqu’à
présent, un homme pouvait presque tout faire à une femme sans que
personne n’en sache rien. Ces temps sont révolus – l’acheteur de sexe
devient visible. La tension monte. Sommes-nous arrivés à ce moment de
l’Histoire où un homme doit effectivement être apprécié par une femme
pour pouvoir coucher avec elle ?
Malgré tout, le prostitueur reste, en général,
silencieux. Il n’a pas besoin de parler. Comme toujours, quand un homme
est menacé, une femme vient à ses côtés pour l’aider. Dans le discours
du « travail du sexe » au niveau international, nous ne trouvons
généralement pas sur le devant de la scène un acheteur de sexe, mais
plutôt une femme universitaire. Dans n’importe quel magazine, à
n’importe quelle conférence, à n’importe quel évènement, où le
prostitueur va être vaguement critiqué – une universitaire
pro-prostitution est là pour le défendre.
Qui est-elle ? Eh bien, elle se nomme elle-même
« subversive », « révolutionnaire », même « féministe ». Voilà
exactement pourquoi le prostitueur a besoin d’elle en tant
qu’ambassadrice. Une défense de la prostitution par cette femme rend
celle-ci queer, pro-LGBT, moderne, équitable, socialiste – la
quintessence même de la libération des femmes. Mais surtout, quand elle
parle, nous oublions que l’acheteur de sexe existe.
L’accord tacite entre le prostitueur et la femme
universitaire pro-prostitution est qu’elle fera tout pour défendre ses
actes à lui, tout en veillant à ce qu’il reste dans l’ombre. Elle
parlera indéfiniment de la prostitution, mais ne le nommera jamais lui.
Sa tâche est de veiller à ce que la prostitution apparaisse comme une
affaire de femmes uniquement. L’universitaire queer utilisera la femme
prostituée tel un bouclier, protégeant les prostitueurs des feux de la
rampe. Elle utilisera la femme prostituée de toutes les façons possibles
– l’analysant, la reconstruisant et la déconstruisant, la proposant
comme modèle d’identification, et se servant d’elle comme d’un mégaphone
(c’est-à-dire un accélérateur de carrière), et ainsi elle se
positionne, elle, en tant que « bonne féministe », en opposition aux
« mauvaises » féministes.
Ce mouvement singe parfaitement la prostitution
elle-même : la prostituée est visible, debout dans la rue ou dans un
bar, alors que l’acheteur va et vient – il n’y a pas de honte qui se
colle à lui, ni aucun mythe qui ne l’entoure. La fonction de
l’universitaire queer est d’assurer que les choses restent ainsi.
Ce à quoi nous avons affaire ici est une défense de
la prostitution constituée d’un double verrouillage. Toute personne
désireuse de débattre de la prostitution aura bien du mal à discuter du
prostitueur, car la femme universitaire pro-prostitution et la
« travailleuse du sexe » se tiennent devant lui. Toute tentative pour
parler de ce que fait, dit ou pense le prostitueur va ricocher en
discussion sur les identités féminines et devenir une querelle de bonnes
femmes dans une allée de miroirs.
Cette universitaire a sa propre définition du débat
intellectuel. Quand elle parle, elle appelle cela « être à l’écoute ».
Selon elle, sa parole n’est pas à proprement parler en faveur de la
prostitution, elle est simplement « à l’écoute des travailleuses du
sexe ». Plus elle parle fort, plus c’est la preuve qu’elle « écoute ».
Lorsqu’une personne opposée à la prostitution parle, par contre, elle
appelle cela « censurer ».
L’émergence du mouvement des survivantes a toutefois
montré que cette « écoute » est tout sauf universelle. Lorsque les
survivantes de la prostitution se prononcent contre la prostitution,
l’universitaire queer ne les écoute pas, ou leur apporte sans relâche la
contradiction. On voit ici que la personne qu’elle défend réellement
n’est pas du tout la « travailleuses du sexe », mais le prostitueur.
Elle est du genre à déclencher une tempête sur
Twitter si un homme est pris en flagrant délit de « mecspliquer » ou de
« pèresévérer » ou si on l’appelle « ma chérie » ou si quelqu’un ose
dire que les femmes, et non les « gens », tombent enceintes. On peut
alors raisonnablement se demander comment son indignation sur ce genre
de détails peut coexister avec son insensibilité complète à l’égard
d’une industrie qui est, selon les études, la plus meurtrière pour les
femmes.
Nous ne devons pas oublier que, pour elle, comme pour
le prostitueur, une femme dans la prostitution est et demeure un type
de femme « autre ». Bien sûr, elle va adopter un ton d’admiration là où
le prostitueur a un ton de mépris, mais l’acception reste la même.
Voici la vérité : la fonction de cette universitaire
n’est pas celle d’une révolutionnaire ni d’une féministe – elle ne
cherche pas à défendre les femmes – elle est plutôt la nounou de
l’acheteur de sexe. Une des plus anciennes fonctions patriarcales qui
existent. Elle l’apaise quand il est inquiet et se charge de ses
ennemis. Elle fait en sorte que personne ne lui retirera ses jouets,
quoi qu’il leur fasse.
Rappelez-vous de la nounou d’antan qui traitait
toujours le fils de la maison à la fois comme un maître et un enfant –
lui obéissant, nettoyant après lui, et consolant ses pleurs sur ses
genoux. La nounou, plus que tout autre personnage issu du patriarcat,
est la femme compréhensive. Elle ne supporte pas de voir son jeune
maître avoir faim – il mangera toujours avant elle – et elle ne le
traite pas comme un homme responsable. Peu importe son âge ni ce qu’il
fait, il restera toujours le garçon qui n’y est pour rien. Cette
fonction a permis aux hommes des classes supérieures d’être tout à la
fois des patrons et des enfants imprudents. On ne peut pas comprendre le
patriarcat sans comprendre comment la nounou a modelé les échelons
supérieurs de la masculinité.
Le prostitueur incarne exactement ce type personnage.
Il est l’homme qui va commander et s’attendre à ce que tous ses
caprices soient satisfaits, mais ne prendra jamais la responsabilité des
conséquences de ses actions. S’il ruine la vie des autres, s’il
contamine de MST aux femmes dans la prostitution et à son épouse, s’il
participe à la traite organisée d’esclaves – eh bien quoi ? Ce n’est pas
son problème.
Le prostitueur peut aujourd’hui ne plus avoir une
nounou au sens littéral, mais ce qu’il a trouvé chez les femmes
universitaires pro-prostitution s’en rapproche beaucoup : une nounou
« queer » qui apaise ses inquiétudes, prend soin de ses besoins, et le
défend contre le monde extérieur.
Le prostitueur peut continuer à se vanter de ses
voyages d’affaires et de toutes les « putes » qu’il va s’y taper, mais
il n’accepterait jamais que sa fille devienne l’une d’elles (il ne se
marierait d’ailleurs pas non plus avec l’une d’elles). Il peut mater du
porno et interdire à sa copine d’être aguicheuse mais jamais sa nourrice
ne lui demandera de rendre des comptes. Elle ne s’inscrira jamais sur
les forums en ligne – où les clients discutent et évaluent les femmes et
les filles qu’ils achètent – pour informer ces prostitueurs que, « En
fait, le juste terme c’est « travailleuse du sexe » et non pute. » Elle
n’ira jamais les gronder pour leurs formules stigmatisantes ou leurs
doubles standards. Les hommes sont comme ça, après tout…
Eh bien, si tel est le cas, laissez-les grandir et
parler pour eux-mêmes. Si acheter du sexe est une si belle chose, que
ces hommes sortent au grand jour et disent ce qu’ils font et pourquoi –
avec leurs propres mots, les mêmes mots qu’ils utilisent quand ils vont
au bordel. Et quand les survivantes sortent de l’ombre ces prostitueurs,
restez à l’écart. Ne laissez pas ces hommes s’accrocher à votre jupe
pour se protéger. Nounous queer du monde entier, êtes-vous même payées
pour agir en tant qu’ambassadrices des acheteurs de sexe ? Ou alors
êtes-vous leurs bénévoles – en les protégeant des comptes qu’ils ont à
rendre ainsi que des conséquences de leur irresponsabilité et immaturité
– comme les femmes l’ont fait depuis toujours ?
Nounou Queer, il est l’heure de démissionner – vous aussi, vous méritez un sort meilleur. »
Source et traduction : Collectif Ressources ProstitutionLe site de KAJSA EKIS EKMAN : http://kajsaekisekman.blogspot.fr/
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