Le mouvement #MoiAussi (#Metoo) a été une démonstration audacieuse de la réalité de la violence masculine contre les femmes, mais quelle sera notre prochaine étape ?
La popularité du hashtag #MoiAussi peut donner l’impression d’un
moment décisif, mais nous devons nous organiser si nous voulons
vraiment impulser des changements.
par MEGHAN MURPHY
Traduction : TRADFEM
par MEGHAN MURPHY
Encouragées par une foule d’allégations
d’agression et de harcèlement sexuels contre le producteur Harvey
Weinstein, plusieurs milliers de femmes ont publiquement fait part de
leurs propres expériences de violence masculine. Sous les hashtags
#MeToo, #MoiAussi et #Balancetonporc, des agresseurs ont été nommés
publiquement et le nombre énorme de femmes ayant été ciblées par des
hommes (car, soyons honnêtes, il s’agit vraiment de toutes les femmes) a
été rendu indéniable. Mais quelle sera notre prochaine étape ? Ce n’est
certainement pas la première fois que des femmes ont essayé de montrer
clairement ce qu’elles vivent sous le patriarcat. Bien que leurs
messages aient été touchants, audacieux et inspirants, nous devons
saisir cet élan et aller de l’avant vers une mobilisation productive et
féministe.
J’ai discuté avec trois femmes de leurs points de vue
sur le mouvement #MoiAussi et de ce qui peut et devrait venir ensuite,
afin de galvaniser les femmes en tant que classe, de tenir réellement
les hommes responsables de ces comportements et d’impulser des
changements.
Les autres participantes à notre table ronde sont :
Finn Mackay, autrice de Radical Feminism : Activism in Movement ; Lee
Lakeman, autrice de Obsession, with Intent : Violence Against Women ; et
Keira Smith-Tague, membre de la collective Vancouver Rape Relief et
Women’s Shelter.
Meghan Murphy : Bien que j’aie
généralement critiqué ce qu’on appelle parfois le « clic-activisme »,
j’ai trouvé les messages #MoiAussi des femmes très émouvants et
courageux. Quelles sont vos impressions sur les conversations et les
messages suscités par ce hashtag au cours des deux dernières semaines ?
Finn Mackay : Moi aussi, je les ai
trouvés émouvants et courageux. Je pense qu’il est toujours utile de
briser la honte et la stigmatisation imposée que les agresseurs, aidés
et encouragés par la société, transposent sur les victimes de ces crimes
au lieu de les vivre eux-mêmes. C’est un exemple du meilleur que l’on
puisse attendre des médias sociaux, car dans ce cas, le mouvement sert à
unir les femmes et à démontrer l’étendue énorme du harcèlement sexuel
et des agressions.
Lee Lakeman : Même si le nombre et
la diversité des femmes à s’être exprimées au-delà des barrières de
classe et de race sont impressionnants, la solidarité est touchante, et
l’histoire de ce mouvement est intéressante, je trouve tout de même cela
très déconnecté des effets vécus dans la vie réelle.
Keira Smith-Tague : Je suis
sceptique quant à l’utilisation des hashtags et de l’activisme Internet
en général, pour tout programme de changement social, mais j’ai été
aussi surprise de voir à quelle vitesse et en quelle quantité des femmes
se sont ralliées à #MoiAussi et ont porté le mouvement. Il est logique
pour moi que les femmes expriment maintenant en masse leur indignation
sur Internet. Le discours public sur la violence masculine envers les
femmes n’a cessé de croître au cours des dernières années. Je pense à
quelques-uns des soulèvements majeurs, comme ceux de l’Inde suite au
viol collectif et au meurtre commis à Delhi en 2012, aux féministes
latino-américaines du mouvement #niunamenos (pas une seule de plus !)
contre le féminicide et aux Marches mondiales des femmes du début de
cette année. Ce sont autant de réponses des femmes qui ont contribué à
un changement majeur dans la sensibilisation du public à l’enjeu de la
violence anti-femmes. Je pense que nous avons créé plus d’espace pour
que les femmes individuelles aient moins peur de briser le silence à
propos de leurs propres expériences. Ce qui m’inquiète au sujet des
messages de #MoiAussi, c’est leur caractère limité à Internet, qui
engendre une individualisation et une aliénation les unes des autres, et
c’est la dernière chose dont nous avons besoin en ce moment.
MM : Pensez-vous que ces messages sont productifs ?
Si c’est le cas, comment ? Que pensez-vous que ce genre de choses peut
accomplir ?
FM : Souligner la prévalence de l’agression et du
harcèlement sexuel peut contribuer à faciliter ce virage fondamental
d’une perspective individuelle vers une conscience collective, ou du
personnel vers le politique (comme les féministes disaient autrefois).
Les femmes qui publient leurs expériences d’agressions – perpétrées par
toutes sortes d’hommes, connus ou non, des expériences qui ont eu lieu
dans une immense variété de contextes et de situations – contribuent à
mettre en lumière ce que les féministes ont toujours soutenu, à savoir
que ces crimes n’arrivent pas aux femmes à cause de choix qu’elles ont
faits, de risques qu’elles ont pris, de vêtements qu’elles portaient ou
de l’heure à laquelle elles étaient sorties. Ils arrivent aux femmes
parce qu’elles sont des femmes, et cette épidémie de violence masculine
envers les femmes et les enfants est un symptôme brutal d’une société
aussi inégale et déséquilibrée.
LL : Exactement, Finn, ce qui rend cette tactique
très appropriée pour 1973 au moment où les premiers centres anti-viol
ont ouvert leurs portes. Aujourd’hui, je crains que ce genre de
solidarité sans visage et sans corps ne puisse accumuler que des
singularités, plutôt que de rassembler une organisation consciente ou un
groupe à partir d’ombres anonymes. Cela semble aussi présumer que les
femmes adultes ne savaient pas tout cela et que les hommes ne le savent
toujours pas. Mais les gens le savent. Notre condition matérielle est
que le public sait ces choses et que les autorités gouvernementales et
les pouvoirs économiques occultent cette réalité chaque fois qu’elles le
peuvent. C’est ce qui fait que nous continuons sans cesse à faire état
des statistiques, tout comme si nous croyions que les autorités, si
elles étaient conscientes du problème, interviendraient en notre faveur.
KST : Je pense que ces témoignages servent une fin,
oui. L’utilité d’Internet est qu’il nous permet de nous parler à travers
des distances incroyables, des langues et des fuseaux horaires, d’une
manière qui n’était pas possible auparavant. En ce sens, c’est un outil
très utile pour aider des campagnes comme #MoiAussi à atteindre des
masses énormes de femmes. Je pense que la possibilité que nous avons (en
tant que féministes) d’observer la nature du militantisme d’autres
femmes à travers le monde nous permet d’apprendre les unes des autres,
ce qui peut façonner notre propre activisme local. Je pense que les
messages du mouvement #MoiAussi ont le potentiel de nous informer du
travail concret qui peut et qui doit encore être fait hors ligne, dans
nos communautés.
J’adore aussi l’idée du nombre d’hommes qui
transpirent en ce moment, en se demandant si leur nom figurera dans le
prochain message de #MoiAussi. Je pense que les hommes devraient être
plus inquiets, plus souvent, et la possibilité que certains le soient
réellement semble être une amélioration pour moi. Les femmes ont déjà
des conversations entre elles à propos de ce que les hommes nous
infligent, de ceux qu’elles doivent éviter, de ceux qui ont arnaqué
d’autres femmes, etc. — ce n’était qu’une question de temps avant que
tout le monde le sache. Les hommes ont été protégés depuis si longtemps
et ont été si confiants dans cette protection, et je vois un tout petit
morceau de cette protection imméritée et injuste leur être enlevé par
les femmes avec ces messages.
MM : Une grande partie du mouvement #MoiAussi (et
#Balancetonporc) a été la « confrontation » publique d’hommes ayant
commis des agressions sexuelles ou du harcèlement. Ici, à Vancouver, des
listes de noms de disc-jockeys locaux, par exemple, ont été publiées en
ligne, les dénonçant comme des prédateurs et des violeurs. Que
pensez-vous de cette stratégie de responsabilisation des hommes ?
FM : C’est une bonne stratégie pour essayer de faire
adopter une forme ou une autre de justice formelle dans les systèmes
reconnus ; cela crée aussi un espace plus sûr pour permettre à d’autres
femmes de nommer des agresseurs et d’avoir moins peur de le faire.
Cependant, tout cela doit être fait en veillant à la sécurité des femmes
et, malheureusement, on assiste encore à des blâmes des victimes, des
humiliations et de l’incrédulité. Il est très difficile pour les femmes
d’être la première femme à prendre la parole. Même si elle soupçonne que
d’autres voix peuvent se joindre à la sienne, elle ne peut pas le
savoir quand elle est la première et, dans un sens, nous demandons
beaucoup à ces « premières femmes à parler » en termes de ce que nous
attendons d’elles au plan des risques et du poids à porter. De toute
évidence, les médias sociaux permettent de faire de telles allégations
de façon anonyme et si cela peut être fait en toute sécurité, cela est
extrêmement précieux. J’espère que les autorités dominantes recouperont
les allégations et compareront les allégations anonymes avec celles
qu’elles ont déjà enregistrées dans le passé, etc. Mais bien sûr, en
termes de justice formelle, quelqu’un quelque part devra procéder à une
plainte en bonne et due forme, ce qui est toujours risqué.
LL : J’admire les femmes qui dénoncent leurs
agresseurs. Si le but est de déclarer la vérité et/ou d’informer
d’autres personnes, alors cette tactique a du mérite. Si le but est de
responsabiliser directement des hommes, alors cela semble être une bonne
tactique dans laquelle une femme prend des risques, en fonction de ses
propres connaissances, et les personnes qui la connaissent peuvent
prendre parti pour elle et se montrer solidaires. Mais si le but est
d’amener d’autres personnes à responsabiliser l’agresseur, je dis que
c’est une tactique plus faible et moins honorable. Elle comporte, dans
ce cas, d’énormes risques qui seront gérés par d’autres personnes et non
par les personnes impliquées. Elle est, dans ce cas, très vulnérable à
la manipulation par l’État contre qui que ce soit qu’il choisira et par
la droite en ce sens que celle-ci peut exploiter la situation pour
réclamer plutôt des tactiques de « loi et d’ordre ». Ces tactiques de
« loi et ordre » se retournent généralement contre les femmes, car elles
charrient le poids de la suprématie blanche et de la bigoterie de
classe en plus de leur sexisme intégré. C’est ainsi que nous nous
retrouvons avec des femmes accusées de proxénétisme et de meurtre, quels
que soient les véritables chiffres en cause. Les hommes dénoncés
peuvent aussi utiliser leur différentiel de pouvoir existant pour
présenter la dénonciatrice comme malhonnête ou indigne de la protection
de la loi.
KST : Pour avoir travaillé dans un centre de crise de
viol et une maison de transition au cours des sept dernières années, je
connais des femmes qui ont voulu révéler publiquement ce que leurs
petits amis, leurs amants ou d’autres membres masculins de leur famille
leur ont infligé et qui s’inquiètent (à juste titre) des réactions
hostiles de leurs communautés, car, quel que soit le « soutien » que ces
communautés prétendent offrir (jusqu’à présent, la plupart des
communautés sont des endroits peu sûrs pour les femmes qui défient les
hommes violents). Je pense que beaucoup de femmes ont perçu le mouvement
#MoiAussi comme une occasion de parler publiquement de leur vérité
alors qu’il y avait une vague d’autres femmes qui le faisaient, ce qui,
je pense, est une bonne tendance. Cela étant dit, je pense qu’il y a un
danger certain pour une femme qui dénonce son violeur en ligne, car cela
la rend vulnérable aux retours de bâton venant aussi bien de son
agresseur que de sa communauté, de sa famille et de ses amis. Dans
certains cas, elle pourrait également vivre la menace d’une action en
justice de sa part. Je crains que lorsque ces coups viendront, les
femmes soient abandonnées par ceux qui les ont « soutenues » en ligne,
mais ne le feraient peut-être pas en dehors des limites de Facebook.
Je suis encouragée de voir certaines femmes décider
d’utiliser cette occasion pour signaler à la police des hommes qui ont
attaqué de nombreuses femmes et pour s’adresser à des organisations
comme Vancouver Rape Relief et Women Against Violence Against Women à
cette fin. Mais je ne pense pas que cette campagne offre des moyens de
responsabiliser les hommes autres que l’humiliation publique (que je ne
trouve pas problématique en soi). Je pense que nous avons besoin d’une
multitude de moyens pour parvenir à la justice et pour changer les
comportements merdiques des hommes envers les femmes. L’un des autres
problèmes majeurs que je vois est que cela ne contribue en rien à des
pressions sur les gouvernements ou les systèmes dont la responsabilité
est de veiller à ce que les hommes soient tenus responsables de la
violence faite aux femmes, et je crois que nous devons encourager cette
avenue.
MM : Beaucoup d’hommes ont répondu à l’effusion des
histoires de femmes de leur entourage. Certains ont réagi en admettant
qu’ils se sont comportés de manières misogynes ou violentes, d’autres
ont simplement dit « je te crois », d’autres encore ont exprimé qu’ils
ne savaient pas comment réagir — qu’ils n’étaient pas certains de ce qui
était une réaction appropriée. Que pensez-vous des réactions que vous
avez vues des hommes afficher sur Internet ? Existe-t-il une manière
appropriée pour les hommes de répondre au mouvement #MoiAussi ?
FM : Il y a une manière inappropriée – celle de se
mettre sur la défensive. Une autre réponse inappropriée a été la
suggestion qu’on assiste maintenant à une « chasse aux sorcières », ou
que les éléments quotidiens du privilège masculin, tels que la
chosification des femmes ou l’étalage de ses privilèges dans les
relations avec les femmes, sont maintenant menacés ou vont être
« bannis » ou « hors la loi » d’une façon ou d’une autre. Il est en fait
assez révélateur que tant d’hommes comprennent que la libération des
femmes nécessitera des changements dans leur comportement et qu’ils
s’opposent à ces changements — ils perçoivent des changements vers une
sorte d’égalité extrêmement basique comme une attaque contre leur
supériorité et une attaque contre le statu quo, dans lequel ils
détiennent actuellement plus de pouvoir. Il n’est donc peut-être pas
surprenant qu’ils résistent au changement. Il est évident qu’il a
toujours été mal de mettre les femmes mal à l’aise, de les harceler
sexuellement, d’aboyer des commentaires sur l’apparence des femmes dans
les espaces publics, de traiter les femmes comme des objets — tous ces
comportements ne sont pas le genre d’attitudes qui seraient tolérées
dans une société égalitaire. Pourtant, malgré cette conversation
d’envergure mondiale, des hommes ont examiné le spectre de répartition
des droits et leur réaction est de se demander si, maintenant que nous
disons que les hommes ne peuvent pas harceler les femmes ou les agresser
sexuellement sur leur lieu de travail, alors nous leur disons qu’ils ne
peuvent pas nous japper un commentaire occasionnel, ou nous classer sur
une échelle de 10 un matin au bureau ? Il est intéressant que les
hommes eux-mêmes reconnaissent ce spectre de privilège ou ce contexte
d’incitation au sexisme, dont ont parlé des universitaires féministes
comme la professeure Liz Kelly. Oui, il existe un continuum de violence
contre les femmes et, oui, cela commence par regarder des images
pornographiques de femmes et par commenter l’apparence des femmes comme
si elles vous appartenaient. Il est vraiment fascinant que ce soit ce
que les féministes ont toujours dit et que maintenant des hommes le
reconnaissent eux-mêmes de manière défensive.
Pour ce qui est d’une bonne réaction, je pense qu’il
est bon que les hommes discutent de leur privilège et je me demande si
cela devrait être fait dans des groupes de conscientisation des hommes,
car d’entendre toutes les choses horribles qu’ont faites les hommes et
qu’ils veulent confesser pourrait créer un espace peu sûr pour les
femmes. Les femmes ne sont pas des confessionnaux, les femmes ne sont
pas responsables de la guérison des hommes, le féminisme n’est pas la
maman des hommes et ne peut pas les allaiter pour leur assurer
conscience et pardon. Ils doivent rendre leur engagement visible en
promouvant réellement les femmes, en écoutant les femmes, en acceptant
de se mettre au second plan et en encourageant les femmes à exercer un
leadership, en faisant des dons aux causes des femmes, en organisant des
mouvements masculins contre les violences et les agressions, en
manifestant contre l’industrie du sexe, en exhortant les hommes à
retirer leurs dollars patriarcaux des industries de la pornographie et
de la prostitution, à faire du piquetage devant les clubs de strip-tease
et les clubs de danse-poteau, etc., en exerçant des pressions sur les
politiciens à propos des enjeux d’égalité des sexes, en faisant plus que
leur part du travail ménager et des tâches domestiques et ainsi de
suite. De même, quand les hommes connaissent des hommes qui se sont
vantés de traiter des femmes injustement ou de les violenter
sexuellement, alors les hommes devraient briser leur silence et nommer
ces hommes. Les hommes pourraient même faire des signalements à la
police, par exemple.
LL : Je vois la réaction masculine comme des
glapissements de leur part (par peur, afin de se dissocier d’autres
hommes qui pourraient se faire prendre, dans une sorte d’autodéfense qui
croit soudainement à la primauté du droit et à la défense du patriarcat
que Finn décrit), face à la toute petite pression que les femmes ont
exercée dans le cadre de ce moment. Pour moi, ces glapissements
signalent que cette orientation a un certain mérite et devrait être
examinée, raffinée et intensifiée par des féministes réfléchies. C’est
ce qui m’a fait afficher le hashtag #MoiAussi.
Fille a megaphone
KST : Pour la plupart, j’ai été déçue par les
réponses des hommes au mouvement #MoiAussi. Il y a quelques semaines, un
certain nombre d’ami·e·s et moi étions assis·e·s autour de ma table de
cuisine pour parler du grand nombre d’hommes de la communauté d’East
Vancouver qui ont été dénoncés comme des violeurs. J’ai trouvé
intéressant, mais pas surprenant, que les hommes présents aient été
aussi prompts à dénoncer les actions des femmes qui ont dévoilé les noms
de ces hommes en ligne. Mes amis masculins sont progressistes et se
considèrent comme partisans du féminisme, mais quand il s’est agi de la
dénonciation d’hommes qu’ils connaissent, ils ont été très prompts à
dire que les femmes allaient « trop loin » et que les dévoilements sur
Internet « n’étaient pas la bonne façon de faire ». Toutes les femmes
présentes ont été outrées de ces réponses et ont répliqué que jusqu’à
présent, il n’y avait jamais eu de « bonne façon » pour les femmes de
signaler des agressions sexuelles.
Il me semble qu’on assiste à une manœuvre constante
d’évitement de toute conséquence adverse pour les hommes qui violentent
les femmes. Au cours du procès de l’animateur radio Jian Ghomeshi au
Canada, les femmes de tout le pays se sont essentiellement fait dire
d’abandonner toute attente face au système de justice pénale et
d’accepter le fait qu’« il ne fonctionne tout simplement pas pour
nous ». Nous sommes à peine sortis de la foulée de ce revers et voilà
déjà des hommes qui se retournent et sont en train de nous dire que le
système de justice pénale est vraiment l’endroit où les femmes peuvent
dénoncer les hommes PLUTÔT que dans l’opinion publique. Il n’y a jamais
de victoire pour les femmes quand elles dénoncent des hommes, et je
pense que beaucoup des réponses des hommes au mouvement #MoiAussi en
sont la preuve.
Pour ce qui est de comment les hommes devraient
répondre ? Je ne suis pas enthousiaste à l’ide de voir des hommes
partager publiquement sur Internet leurs histoires d’agression de femmes
pour ensuite récolter des centaines de « Like » et un flot de
commentaires en ligne de gens leur disant à quel point ils sont braves
ou quelle inspiration ils constituent pour d’autres hommes. Je ne pense
pas que les hommes aient besoin de plus d’attention ou de renforcement
pour leurs bonnes paroles et je me méfie de voir des hommes le faire
pour acquérir plus de crédibilité sociale, pour être considérés comme
« l’un des bons gars ». Je veux que les hommes prennent leurs
responsabilités en contestant les autres hommes. J’ai vu des hommes être
dénoncés publiquement et ostracisés par d’autres hommes dans leur
communauté, y compris leurs amis. Mais je pense que l’ostracisme des
autres hommes est une échappatoire trop facile, et que ce qu’ils
devraient faire est plutôt de les mettre au défi de changer leur
comportement et de les aider dans ce processus.
MM : Que pensez-vous qu’il doive se passer pour que
le mouvement #MoiAussi devienne quelque chose de productif ? Que
pouvons-nous faire maintenant pour tirer parti de cet élan ?
Qu’espérez-vous qu’il se passe ensuite ?
FM : C’est la question à un million de dollars. Je
n’ai pas de réponses claires. Il y aura des tentatives d’orienter le
débat vers l’idée d’une « masculinité toxique » et de diaboliser comme
monstres les quelques hommes qui finiront par être accusés, tout cela
pour éviter d’aborder des questions beaucoup plus fondamentales sur la
construction sociale de la masculinité et de la féminité. Nous avons
déjà des lois contre le harcèlement sexuel au travail et des lois contre
le viol et la violence sexuelle, mais des millions de femmes
reconnaissent que ces choses se produisent tout le temps. Il est donc
clair que les lieux de travail doivent en faire plus pour faciliter les
signalements et qu’il doit y avoir beaucoup plus de systèmes permettant
les signalements anonymes et les rapports de tiers. Ici, au Royaume-Uni,
une initiative est actuellement menée par la police britannique des
transports, où des agents en tenue banalisée circulent dans le métro et
surveillent les hommes qui harcèlent sexuellement ou agressent des
passagères ; ils et elles peuvent alors arrêter ces hommes du fait de
les voir commettre le crime. Il pourrait y avoir beaucoup plus de ces
initiatives. Même si, en tant que féministe et socialiste, je me méfie
en général d’une criminalisation croissante dans n’importe quel domaine,
je pense que si tel est le système que nous avons en ce moment et
puisque la violence sexuelle est censée être illégale, il est temps
qu’elle soit bel et bien traitée comme étant un délit et que la loi soit
effectivement appliquée.
Plus généralement, nous devons dépasser le discours
des histoires individuelles de survie et recentrer le débat sur le
comportement criminel des hommes. Nous avons également besoin de tenir
une conversation beaucoup plus large sur les classes de sexe et la
hiérarchie sexuelle et sur la façon dont ce système est maintenu à
partir de micro-actions. Comment pouvons-nous reconstruire la société
pour qu’être un homme ne consiste plus à être au sommet et à rivaliser
et à traiter les femmes comme des conquêtes et comme des proies ?
Comment pouvons-nous reconstruire la société pour qu’être une femme ne
consiste plus à être prête à adopter une position inférieure, à faire
des compromis, à suivre au lieu de mener et à être perçue comme une
proie. Au fond, il nous faut démanteler le patriarcat — alors, c’est
toute une tâche !
LL : Les conversations amples sont très importantes
et les féministes doivent pousser stratégiquement pour que ces
conversations demeurent amples, troublantes, intelligentes et, surtout,
les maintenir dans une intégration radicale des pressions contre les
hiérarchies de classe et de race et de sexe. Les femmes en ont assez du
cynisme auto-indulgent de la gauche masculine et de la timidité de la
gauche féminine. Nous en avons assez de l’hypocrisie morale de la droite
masculine et des exemptions accordées par la droite féminine.
Par « conversation », nous entendons l’intention et
la possibilité d’un mouvement révolutionnaire et transformationnel. Mais
des réformes sélectives peuvent contribuer à ce pouvoir
transformationnel. Les femmes veulent des victoires immédiates.
Sur le plan de la réforme ici et maintenant, nous
voulons et devons exiger que les hommes individuels – et en particulier
ces hommes de pouvoir identifiés, qui ont même violé le droit pénal (ce
qui est un seuil vraiment minimal) – soient effectivement criminalisés.
Nous n’avons pas besoin de les écarteler ou de les charrier à la
guillotine. Nous pourrions avoir et devons obtenir des procédures
pénales, civiles et administratives équitables (pour changer de
l’incurie actuelle). Nous pourrions avoir et devons exiger des sentences
et des peines progressives, y compris des mesures qui abaissent
certains « privilèges masculins » d’un cran ou deux.
Je pense que c’est le consensus que nous, les
féministes, avons bâti au cours de ces 40 années et plus. Les femmes
veulent tenir responsables ceux qui occupent les sommets de ces
hiérarchies : les hommes, qui ont le bénéfice de leur position sexuelle,
mais qui sont aussi dotés des statuts de classe et de race et qui
utilisent leurs postes pour exploiter criminellement et violer
sexuellement des femmes et des filles.
Les féministes doivent tenter de s’assurer que nous
continuons à renforcer la pression, et que les femmes apprennent à
discerner clairement les hiérarchies et que le principe de
« responsabiliser les hommes » en vienne à signifier « les condamner de
façon équitable et les réduire effectivement à leur importance réelle ».
Pour y parvenir, les femmes devront renoncer à l’anonymat et se joindre
à des groupes de femmes travaillant face à face et pouvant soutenir des
actions publiques non violentes.
KST : Je suis d’accord avec Finn et Lee et je pense
que c’est le moment pour nous, les féministes, de nous organiser dans la
foulée de ce mouvement. Nous pouvons utiliser cet élan pour faire
pression sur le gouvernement en faveur de réformes que nous réclamons
depuis des décennies, comme des réactions équitables et immédiates de la
police, de la Couronne et des juges, dans les causes de violence
masculine faite aux femmes. Je pense aussi que c’est le moment de mettre
à l’épreuve les hommes qui sont dans nos vies pour mesurer leurs
actions à leurs paroles. Les hommes ne peuvent pas simplement s’en tirer
en disant appuyer les femmes sans rien faire — cette époque est
révolue. Les hommes doivent cesser de soutenir la sujétion des femmes en
consommant de la pornographie ou en défendant la prostitution ou en se
comportant en partenaires sexuels égoïstes. Ils doivent contrer la
violence des autres hommes et appuyer concrètement les femmes en
soutenant des actions et initiatives féministes ou en faisant des dons
ou des collectes de fonds pour des groupes féministes.
Je pense que la beauté de ce à quoi nous assistons
est que lorsqu’une femme dit sa vérité, elle encourage d’autres femmes à
faire de même. Je pense que c’est un exemple inspirant de la façon
dont, quand les femmes militent dans un mouvement ensemble, elles
deviennent plus fortes et plus audacieuses. J’espère que les femmes qui
ont participé au mouvement #MoiAussi ou ont été inspirées par lui se
joindront à un groupe féministe et utiliseront cette énergie dans le
mouvement visant la libération des femmes.
Version originale : http://www.feministcurrent.com/2017/10/30/metoo-bold-demonstration-reality-male-violence-women-next/Traduction : TRADFEM
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