Des survivantes de la prostitution affirment que le modèle nordique est notre seul espoir
Meghan Murphy, le 15 mars 2016
Traduction : TRADFEM
Source : https://ressourcesprostitution.wordpress.com/2016/03/21/le-modele-nordique-est-notre-seul-espoir/
Meghan Murphy, le 15 mars 2016
Panel de Space International – de gauche à droite les
survivantes : Bridget Perrier, Cherie Jiminez, Jeanette Westbrook,
Ne’Cole Daniels, Fiona Broadfoot, Marie Merklinger.
Un échange en panel sur les effets de diverses lois
sur la prostitution dans le monde a fait salle comble, au point de
devoir refuser des gens, lundi après-midi le 14 mars à New York.
Organisée par SPACE International, cette manifestation parallèle, créée
dans le cadre de la 60e session de la Commission sur la condition de la
femme, a privilégié les voix de survivantes devenues militantes
abolitionnistes de terrain partout dans le monde. Il s’agit de femmes
que l’on entend trop rarement dans le prétendu débat concernant le
« travail du sexe », et ce en dépit de leur immense expérience des
divers aspects de cette industrie.
Modéré par Rachel Moran, cofondatrice de SPACE,
l’échange a débuté avec Bridget Perrier, qui est une survivante de la
prostitution des enfants et de la traite des personnes ; elle a parlé de
la situation désastreuse vécue par les femmes et les filles autochtones
au Canada. Femme Ojibwé vivant en Ontario, Madame Perrier a été
étroitement impliquée dans l’adoption du projet de loi C-36, la nouvelle
législation canadienne en matière de prostitution, qui criminalise les
acheteurs de sexe et ceux qui profitent de l’exploitation des femmes et
des filles, mais qui dépénalise les femmes prostituées. En dépit de
cette nouvelle loi, elle a souligné l’« inaction » des autorités et des
fonctionnaires municipaux dans plusieurs provinces canadiennes, y
compris en Colombie-Britannique, où la police et le maire Gregor
Robertson ont essentiellement refusé d’appliquer les nouvelles lois,
permettant aux prostitueurs de poursuivre impunément leurs activités.
Perrier a qualifié de « zone de guerre » le quartier
Downtown Eastside de Vancouver, où les femmes autochtones sont de loin
surreprésentées dans l’industrie du sexe et où beaucoup de femmes ont
disparu ou été assassinées, affirmant que le lien entre la prostitution
et ces femmes est indéniable. En plus de réclamer que les hommes qui
achètent du sexe soient responsabilisés, Bridget Perrier a adressé une
autre exigence au gouvernement canadien : « Nous réclamons que lorsqu’un
homme tue une femme autochtone, il soit accusé de hate crime (crime à
caractère haineux) »
Cherie Jiminez, de Boston, dit qu’il demeure illégal
d’y vendre du sexe, mais que les sanctions sont maintenant plus élevées
pour les proxénètes et les trafiquants dans l’État du Massachusetts. Le
problème est que, pour pouvoir poursuivre les exploiteurs, « il vous
faut la coopération des femmes … Mais sans moyen d’échapper au milieu,
sans accès à un lieu sécuritaire et à des mesures de soutien, cette
option ne fonctionne pas. » Elle souligne qu’il n’y avait pas dans la
loi adoptée au Massachusetts de dispositions de financement, de sorte
que ces services de sortie de la prostitution et de soutien sont tout
simplement inexistants. En conséquence, Madame Jiminez et quelques
autres survivantes ont créé leur propre programme, avec très peu
d’argent, le Centre EVA. « Mais nous avons besoin de tels services de
sortie de la prostitution partout, d’un bout à l’autre des États-Unis. »
Elle dit que des lois sur la traite comme celle qui
existe dans son État ne fonctionneront jamais si nous ne traitons pas la
prostitution elle-même, dans son ensemble. « L’industrie du sexe se
déploie différemment dans différentes parties du monde », a-t-elle
expliqué. « Elle cible essentiellement les personnes vulnérables. » Et à
Boston, Madame Jimenez dit que 90 pour cent des femmes qu’elle a
rencontrées dans la prostitution sont d’origine locale : « Nous avons
une énorme industrie domestique, violente du proxénétisme et de la
prostitution. » Cinquante pour cent de ces femmes, ajoute-t-elle, sont
des femmes sorties du réseau des centres d’accueil : « Ce sont nos
propres politiques ratées qui créent leur vulnérabilité. » De plus, 30
pour cent de ces femmes sont devenues mères très tôt, ce qui entraîne
que ces enfants retournent directement dans les systèmes dont leurs
mères sont issues, créant un problème intergénérationnel.
Le fait que ces femmes soient piégées dans le système
de justice pénale, en raison d’accusations de prostitution et d’autres
délits connexes, rend encore plus difficile d’échapper à l’industrie.
« Nous savons ce qui arrive aux gens de notre pays qui font face à des
accusations criminelles : vous devenez marginalisée et presque exclue de
toute participation sociale. »
« L’itinéraire de sortie est complexe », témoigne
Madame Jiminez, qui a elle-même passé 20 ans dans l’industrie du sexe.
« On ne le règle pas par un simple sauvetage. » Elle veut dire que l’on
ne peut pas simplement extraire les femmes de la prostitution sans leur
fournir des systèmes pour les soutenir une fois sorties, sans leur
fournir un endroit où aller, des compétences et une formation. « Nous
avons besoin du modèle nordique, conclut-elle, c’est le seul qui
fonctionne vraiment. »
Jeanette Westbrook, une survivante de Louisville, au
Kentucky, signale à l’auditoire que l’une des principales manifestations
de la traite à des fins sexuelles aux États-Unis est le Derby du
Kentucky, un festival équestre qui a lieu chaque année en mai. Des
femmes de tout l’État, le pays et même le monde sont amenées à cet
événement, pour desservir les hommes de l’élite. En dépit des lois
contre la prostitution, celle-ci se fait au grand jour dans le Kentucky,
et les prostitueurs ne sont jamais arrêtés.
Elle souligne qu’aux États-Unis, certains mènent des
efforts concertés pour distinguer la prostitution de la traite, en dépit
du fait que « c’est du pareil au même ». Pour Madame Westbrook : « Ce
continuum de la violence a commencé plusieurs années plus tôt avec
l’inceste, la maltraitance des enfants et la pauvreté. » Elle dit qu’il
n’existe pas de services pour les femmes prostituées et que le tout
premier refuge, ouvert récemment à Louisville, ne peut accueillir que 18
femmes à la fois. « La traite des personnes n’a jamais cessé au
Kentucky, depuis l’époque de l’esclavage. »
Comme les autres femmes du panel, Jeanette Westbrook
insiste sur le fait que le modèle nordique est la seule solution, en
précisant qu’il doit être adopté au niveau fédéral, « plutôt qu’à la
pièce, État par État ».
Ne’Cole Daniels, la plus récente membresse de SPACE
International, est « sortie du milieu » depuis 15 ans. Originaire de San
Francisco, elle dit que, comme dans les autres États, la prostitution
continue en Californie, en dépit du fait qu’elle est illégale. Selon son
expérience de prestation de services directs aux survivantes de
l’industrie du sexe durant plus d’une décennie, « leur priorité commune
est la réintégration, réintégrer la société ». Bien sûr, cela est
presque impossible tant que les victimes demeurent criminalisées aux
États-Unis.
Madame Daniels souligne que c’est non seulement de
prostitution que les filles et les femmes sont accusées, mais de crimes
secondaires liés aux armes à feu, aux drogues et à l’alcool. En effet,
« si vous ne remplissez pas votre quota », dit-elle, « il vous faut
gagner de l’argent d’une manière ou d’une autre », faisant allusion aux
exigences des proxénètes à l’égard des femmes et des filles qu’ils
prostituent.
Elle dit que les filles sortent des centres d’accueil
à 18 ans, comme par hasard le même âge auquel il devient soudainement
acceptable pour les femmes d’être prostituées, l’anniversaire magique où
l’exploitation devient qualifiée de « consensuelle ». Ne’Cole Daniels
dit elle aussi que la plupart des femmes et des filles qu’elle voit dans
la prostitution viennent de milieux dysfonctionnels ou sortent du
système de placement, ce qui fait d’elles des « cibles faciles ». La
seule chance qu’ont ces femmes de quitter l’industrie réside dans le
modèle nordique, dit-elle. « Nous ne pouvons pas réglementer la
prostitution. La légalisation mène seulement à plus de victimes que de
services. »
Fiona Broadfoot est une survivante de l’exploitation
sexuelle des enfants dans le Yorkshire, un comté du nord de
l’Angleterre. « Je vis avec un casier judiciaire aussi long que mon
bras », dit-elle. « Et dans l’un des pays les plus riches au monde, nous
continuons à criminaliser des enfants … pour les agressions qu’elles et
ils subissent ». Madame Broadfoot mentionne que, même si la loi est la
même partout en Angleterre, il n’y a aucune cohérence dans son
application. « Chaque autorité policière locale prend ses propres
décisions – certaines ferment complètement les yeux [sur la
prostitution], d’autres criminalisent femmes et enfants. Bien que de
temps en temps un prostitueur soit arrêté, ce sont essentiellement les
femmes qui écopent de sanctions. »
Elle nous rappelle que la municipalité de Leeds a
récemment créé une prétendue « zone de sécurité » pour la prostitution,
« où les hommes peuvent violer des femmes, battre des femmes, et même
tuer des femmes ». Elle n’exagère pas : au cours de l’année pilote de ce
programme, une Polonaise de 21 ans, Daria Pionko, a été battue et
assassinée par un prostitueur dans cette « zone chaude ». Madame
Broadfoot ajoute qu’il y avait aussi eu deux viols signalés et une
agression grave signalée au cours de cette année pilote, mais, « en
janvier dernier, dit-elle, on nous a annoncé que cela fonctionnait, que
Leeds allait procéder à la création d’un camp de viol légalisé ».
Fiona Broadfoot a été prostituée durant 11 ans et
œuvre comme activiste et travailleuse sociale depuis deux décennies.
Elle a participé à un projet pilote de rééducation de prostitueurs (john
school) qui a été décrété inefficace, malgré les 70 hommes qui ont
passé par ce programme, censément comme primodélinquants. Madame
Broadfoot affirme cependant : « J’ai vu dans cette pièce des hommes qui
m’avaient achetée quand j’avais 15 ans. »
« Des femmes et des filles sont battues et violées
tous les jours, et les hommes ne sont pas tenus responsables »,
conclut-elle. « Et tant que le modèle nordique n’aura pas été adopté,
nous allons continuer à nous battre pour leur sauver la vie. »
Marie Merklinger vit en Allemagne, où la prostitution
a été légalisée dès 2002. Les histoires qu’elle raconte sur ce pays
sont presque incroyables … mais pourtant véridiques. « La situation est
complètement non réglementée », dit-elle. La seule différence entre les
régimes légalisés et ce qu’on appelle la « décriminalisation » (ce qui
signifie simplement que tous les aspects de la prostitution sont
entièrement décriminalisés et non réglementés) est que, dans le modèle
légalisé, les femmes prostituées dans les nombreux bordels doivent payer
des impôts. On a prétendu que le principe de ce système était de
permettre aux femmes prostituées d’accéder à des mesures sociales comme
un régime de retraite et de soins de santé. Mais la réalité est que
presque aucune des femmes qui travaillent dans l’industrie allemande du
sexe n’a accès à ces systèmes. Beaucoup de femmes devenues trop vieilles
pour la prostitution vivent simplement le reste de leur vie dans la
pauvreté, tandis que d’autres travaillent jusqu’à 80, voire 90 ans.
« Les fantasmes des hommes ne connaissent pas de frontières », dit-elle.
« Si quelque chose est accessible, quelqu’un va l’acheter. » N’importe
quelle femme peut être fétichisée et réifiée. En Allemagne, on offre
même des femmes enceintes pour des gang bangs (viols collectifs), sans
imposition de préservatifs.
Madame Merklinger dit que l’on estime à 400 000 le
nombre de femmes couramment prostituées en Allemagne. Les maisons
closes, dit-elle, sont gérées comme des hôtels, de sorte que les femmes
doivent remettre en loyer la majeure partie de leurs revenus aux
propriétaires des chambres où elles vivent et travaillent. Environ 90
pour cent de ces femmes viennent de populations marginalisées en Europe
orientale, comme les Roms, et ne peuvent signaler d’agressions à la
police, au risque de se retrouver sans abri et sans travail. De toute
façon, la police ne peut faire grand-chose, en raison de la légalité de
presque tout ce qui se fait dans les maisons closes, y compris les
bordels à prix forfaitaire, où les femmes doivent subir jusqu’à 60
hommes par jour, un traitement qui envoie souvent celles-ci à l’hôpital,
en raison des blessures subies.
Ce ne sont pas seulement les femmes prostituées qui
sont touchées : les hommes en Allemagne ne respectent simplement pas les
femmes – ni leurs épouses ni les femmes qu’ils paient pour du sexe.
« Tout tourne autour de la sexualité et des exigences des hommes. » La
seule solution, dit-elle, est le modèle nordique. Ces femmes ont besoin
de véritables solutions de rechange. Et les femmes de partout méritent
d’être respectées, plutôt que d’être traitées comme des réceptacles
d’agressions masculines.
Les récits partagés dans la salle étaient divers et
venaient d’à travers le monde, mais à la fin, ils avaient bien des
choses en commun, et débouchaient sur la même solution : la
décriminalisation et de véritables options pour les femmes, et une
reddition de comptes pour les hommes.
Version originale : Survivors say the Nordic model is our only hope http://www.feministcurrent.com/2016/03/15/survivors-say-the-nordic-model-is-our-only-hope/Traduction : TRADFEM
Source : https://ressourcesprostitution.wordpress.com/2016/03/21/le-modele-nordique-est-notre-seul-espoir/
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