par Aïssata Maïga
1.1 Fin du XIXème et début du XXème siècle
* Une volonté d’égalité
* Des points communs entre les acheteurs
[2] http://books.openedition.org/pucl/753
[3] http://www.endvawnow.org/fr/articles/536-traites-et-conventions-des-nations-unies-et-recommandations-generales-des-nations-unies.html
[4] http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/TrafficInPersons.aspx
[5] Kön till salu- om Europas vägval i prostitutions fråga. (Le sexe à vendre – sur les choix Européens dans la question de la prostitution), 2006, p 94
[6] http://sverigesradio.se/sida/artikel.aspx?programid=1602&artikel=5337923 et http://www.dn.se/nyheter/dns-stora-kris/
[7] http://exoduscry.com/wp-content/uploads/2010/07/swedish_model.pdf p. 49
[8] http://www.ecpat.net/news/switzerland-reinforcing-stronger-penalties-child-sex-offenders-and-child-sex-traffickers
[9] http://www.lansstyrelsen.se/stockholm/SiteCollectionDocuments/Sv/publikationer/2015/prostitution-kartlaggning-2014.pdf p.43
[10] Entretien avec Malin Andersson, travailleuse sociale dans le groupe prostitution de la ville de Stockholm.
[11] http://www.stockholm.se/prostitutionsenheten
[12] http://www.lansstyrelsen.se/stockholm/SiteCollectionDocuments/Sv/publikationer/2015/prostitution-kartlaggning-2014.pdf p. 52 et entretien personnel avec Amanda Netscher, auteure du rapport.
[13] http://liu.diva-portal.org/smash/get/diva2:506410/FULLTEXT01.pdf p. 14
[14] http://projectrespect.org.au/system/files/Sweden%27s+prohibition+of+sex.pdf p. 459
[15] http://www.ilo.org/global/topics/forced-labour/lang–en/index.htm
[16] http://www.salon.com/2013/11/28/germanys_legalized_sex_industry_is_booming_partner/
[17] https://www.regjeringen.no/contentassets/0823f01fb3d646328f20465a2afa9477/evaluering_sexkjoepsloven_2014.pdf p. 7 pour graphique
[18]https://books.google.se/books?id=zslQ54Z4ZzQC&pg=PA59&lpg=PA59&dq=netherlands+prostitution+cold+water+bruise&source=bl&ots=GjitNlqJ20&sig=uAqGYyATU66DJjq2CcAThMNKmQw&hl=sv&sa=X&ei=AMc7Vf2cMcyqsgHx-oDICw&ved=0CCkQ6AEwAQ#v=onepage&q=netherlands%20prostitution%20cold%20water%20bruise&f=false
[19] http://lt.se/nyheter/sodertalje/1.2865352-hogt-uppsatt-jurist-drev-bordell
[20] http://www.slaverynomore.org/wp-content/uploads/2011/07/Deconstructing-the-Demand-for-Prostitution.pdf
[21] Entretien avec Lise Tamm, avril 2014.
[22] Entretiens avec Malin Andersson, Lise Tamm, avril 2015
[23] Entretien avec Lise Tamm, Avril 2015
[24] raport couvrant les 28 états de l’Union, ainsi que l’Islande, le Monténégro, Norvège, Serbie, Suisse et Turquie, Conseil de l’Europe, Avril 2013 http://assembly.coe.int/ASP/Doc/XrefViewPDF.asp?FileID=20559& ;
©Aïssata Maïga 2015, tous droits réservés.
Source : https://ressourcesprostitution.wordpress.com/2015/05/18/le-long-combat-contre-lexploitation-sexuelle-perspectives-historiques-sur-le-modele-nor
La version originale de ce texte a été publiée dans Chronique Féministe 115 (périodicité janvier/juin 2015). Merci à l’équipe pour l’autorisation.
Aïssata Maïga est analyste et coordinatrice Projet à
l’Institut pour la Sécurité et les Politiques de Développement. Elle a
précédemment travaillé cinq ans à Interpol sur des affaires de crime
organisé, traite d’êtres humain, corruption, blanchiment d’argent et
différents trafics.
Aucun choix politique n’apparait dans un vide idéologique.
Le Modèle Nordique, une législation qui pénalise l’acheteur de sexe en
décriminalisant la femme prostituée, est apparu en Suède en 1999 avant
d’être adoptée par la Norvège (2009), l’Islande (2009), le Canada (2014)
et l’Irlande du Nord (2014). Implémenté depuis 15 ans dans le pays
d’origine, il s’est révélé efficace pour lutter contre le système
prostitutionnel et réduire le trafic d’êtres humains.
Apparu dans un contexte de combats féministes de
grande ampleur, il a depuis prouvé son bien-fondé théorique et son
efficacité sur le terrain. Enfin, il se concentre particulièrement sur
les hommes – pour dissuader et aider.
1 - Contexte politique et social1.1 Fin du XIXème et début du XXème siècle
A la fin du XIXème siècle, le système prévalant en
Europe était encore « l’égout séminal », tel que défini par le médecin
hygiéniste Parent-Duchâtelet. Celui-ci participe d’une longue tradition
moyenâgeuse (St Augustin) définissant la prostitution comme les
toilettes d’une maison, « car sans elle, c’est toute la maison qui
sentirait mauvais »[1] . La prostitution désignée comme le système
d’évacuation de la violence et des pulsions masculines, protègerait les
femmes « honorables », et maintiendrait la morale collective et la
cohésion sociale. Les femmes prostituées – sous peine d’incarcération !-
étaient fichées, soumises à des contrôles gynécologiques et des règles
strictes pour les empêcher de se mêler à la population, pour ne surtout
pas être confondues avec les femmes honnêtes.
Avant le début du XXème siècle[2], il devient évident
que la règlementation européenne facilite un commerce d’esclaves
mondial pour l’exploitation sexuelle. Les femmes et enfants des classes
pauvres, sont manipulées, emprisonnées et exportées dans les pays
européens, aux Etats-Unis, Mexique, Moyen Orient… Les mouvements
abolitionnistes s’organisent dans un climat d’affranchissement et
d’acquisition de droits civils pour les femmes (travail, vote,, droit de
propriété), ce qui permet à celles-ci d’investir l’arène politique. La
Suède et la Hollande comprennent l’échec cuisant de la réglementation de
la prostitution et la suppriment (respectivement en 1918 et 1910).
Au niveau européen, la Société des Nations établit
pour le première fois un lien clair entre la légalisation de la
prostitution et l’exploitation criminelle des femmes et des enfants
en1904[3]. La Convention pour la répression de la traite des êtres
humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, dont la
rédaction est entamée en 1927, aboutit en 1949, dans le climat
d’optimisme qui suit la Seconde Guerre Mondiale, un moment où la fin de
toutes les injustices semble possible.
La Convention pour la répression de la traite des
êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui [4] est
donc le résultat de campagnes abolitionnistes menées depuis le XIXème
siècle. Dans son préambule, elle considère que « la prostitution et le
mal qui l’accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de
prostitution, sont incompatibles avec la dignité humaine […] et mettent
en danger le bien-être de l’individu […] ». Elle prévoit l’interdiction
de toute forme de fichage, du proxénétisme et des bordels– ce, y compris
si la femme prostituée se dit consentante,
l’obligation de mettre en place des mesures de protection et de
réinsertion, en particulier pour les victimes de la traite. Elle prévoit
aussi la protection des migrants, « en particulier des femmes et des
enfants, tant aux lieux d’arrivée et de départ qu’en cours de route »,
des mesures pour qu’une surveillance soit exercée dans les gares,
aéroports, ports maritimes pour empêcher le trafic d’êtres humains,
ainsi que la prise de dispositions pour informer le public des dangers
de la traite.
La Belgique y adhère le 22 juin 1965. Au total, ce
sont 94 pays qui à ce jour, ont signé la convention. La Belgique est,
par ailleurs, également signataire de la Convention sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) – qui
prévoit que « les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées,
y compris des dispositions législatives, pour réprimer, sous toutes
leurs formes, le trafic des femmes et l’exploitation de la prostitution
des femmes », et du Protocole de Palerme. Mais dans les faits, à ce
jour, la Belgique et plusieurs autres pays Européens, favorisent
l’industrie du sexe au lieu de mettre en oeuvre leurs engagements
internationaux. Et, en dépit de son importance historique, la traite des
blanches a tant subi d’attaques négationnistes qu’elle persiste dans
l’inconscient collectif comme une légende urbaine. Elle évoque un mythe,
l’image surannée de quelques femmes disparaissant dans les cabines
d’essayage et non la réalité d’un trafic international d’esclaves femmes
et d’enfants, ainsi qu’une violation des droits humains fondamentaux
qui devrait être enseignée à l’école au même titre que les autres
violations majeures de droits humains.
1.2 Combats féministes des années 1970
Malgré sa réputation d’être un pays de consensus, le
modèle suédois a été arraché de haute lutte par les féministes, dans un
contexte politique et social mouvementé. Les années 1970 voient
l’émergence du Grupp-8 (une organisation féministe composée à l’origine
de seulement huit femmes qui a réussi à fédérer massivement autour de
ses combats). Les femmes sont également exaspérées par l’incapacité du
gouvernement masculin de s’attaquer aux problématiques telles que la
violence conjugale et établissent des foyers d’urgence pour femmes
(ROKS). Sous le slogan le privé est politique, le Grupp
8 réussit à mobiliser 500 000 personnes pour lutter contre une
initiative du gouvernement qui prévoyait l’allègement des punitions pour
les crimes sexuels. Pour « adapter » le code pénal à l’ « évolution des
mœurs », un groupe d’experts (5 hommes/1 femme) imagine et propose les
mesures suivantes : baisse de l’âge du consentement à 14 ans,
suppression de l’interdiction de l’inceste, décriminalisation des
attouchements sur les enfants de plus de 10 ans, indulgence pour le
proxénétisme, remplacement de la notion de viol par celle de « pressions
sexuelles » si la femme n’avait pas été défigurée ou gravement blessée
par l’attaque, ainsi qu’en cas de circonstances « atténuantes » (alcool,
« aguichage »).
Devant l’ampleur de la mobilisation, le gouvernement
renonce à ces mesures et reforme le groupe d’expert, cette fois avec une
majorité féminine (qui évidemment ne propose plus l’allègement des
peines…) C’est dans ce contexte que l’interdiction d’achats sexuels est
débattue.
D’autre part, une enquête d’un genre nouveau est
lancée dans le monde de la prostitution en 1977. Pendant trois ans, des
chercheur.e.s vivent côte à côte avec des femmes prostituées et
partagent leurs problématiques au quotidien. A l’issue de cette
expérience unique, un rapport de 800 pages, comportant 219 récits de
femmes dans la prostitution est prêt à être publié. Mais la députée et
responsable du rapport, Inger Linqvist (droite), licencie l’équipe de
recherche et refuse de rendre publique l’intégralité du texte (en
particulier les témoignages). Proche du propriétaire du bordel Le Chat
Noir, elle voulait en effet éviter que le public ait accès à ce document
explosif[5]. Il a fallu encore une fois l’action coordonnée des
féministes suédoises pour que l’enquête soit finalement publiée sous la
forme d’un rapport alternatif, puis d’un livre – qui a l’effet d’une
bombe dans l’opinion. Loin d’être un sujet honteux dont on rit sous
cape, la prostitution, devient alors, comme le viol, une question
éminemment politique. Et sans l’affaire Geijer, la Suède aurait eu son
modèle dès le début des années 80.
Lennar Geijer, à l’époque ministre de la justice, est
impliqué dans un cercle de prostitution/pédophilie par une note
gouvernemental confidentielle. Thorbjön Fälldin (leader de centre
droite, lui-même dénoncé comme client du réseau pédophile) vient à son
secours en interdisant l’assemblée de discuter de ces « calomnies ».
Pire encore, le premier ministre Olof Palme dément l’existence de cette
note, et contraint le quotidien Dagens Nyheter (équivalent du « Monde »
suédois) à des excuses publiques.[6] Comme dans l’affaire DSK,
politiciens, policiers et juges font bloc : la prostitution et la
pédophilie sont des affaires dans lesquelles les hommes se protègent
mutuellement. Quand le dossier est déclassifié en 1991, il s’avère que
les deux hommes politiques –ainsi que d’autres !- étaient réellement
clients du réseau pédophile. Ces révélations ont probablement accéléré
l’adoption du modèle suédois en 1998.
1.3 Victoires sur fond d’un monde changeant
La prostitution revient au premier plan dans la décennie 1990 en Suède pour deux raisons.
D’une part, la chute de l’Union Soviétique qui
entraîne l’arrivée de femmes de l’Est importées par la mafia (un
phénomène comparable à l’arrivée massive de femmes Nigérianes trafiquées
en Norvège de 2004 à 2007, qui a également accéléré le débat sur la
criminalisation des clients). La procureure Lise Tamm voit des
proxénètes lithuaniens d’une violence inhabituelle en Suède, qu’elle
arrive à faire condamner en combinant lois sur le viol et le kidnapping à
des peines d’emprisonnement de 12 ans. D’autre part, l’arrivée
d’internet qui facilite l’accès à la prostitution.
L’avocate Catharine MacKinnon, Andrea Dworkin et les
ROKS argumentent que l’inégalité des sexes et la subordination sexuelle
ne pourront être combattues tant que l’on permettra aux hommes d’acheter
des femmes. Les ROKS mettent plusieurs fois la criminalisation à
l’agenda du Parlement, en 1992, 1994 et 1995.
En 1978, il n’y avait que 22% de femmes au Parlement
contre 43% en 1998. C’est une des raisons pour lesquelles quand la loi
est proposée au vote en 1998, elle ne rencontre plus de résistances.
2 - A quoi ressemble la loi en théorie et en pratique ?* Une volonté d’égalité
La loi d’interdiction d’achat des services sexuels, entrée en vigueur le 1er janvier 1999, prévoit les mesures suivantes :
- Une amende et un an de prison depuis 2011 (initialement 6 mois)
- Des moyens financiers et matériels pour lutter
contre le système prostitutionnel (environ 25 million d’euros pour la
période 2008-2010 ainsi que d’autres contributions d’associations
civiles[7])
- Une aide à la sortie de la prostitution mais aussi un soutien aux hommes qui veulent arrêter d’acheter des services sexuels
Les militaires suédois à l’étranger y sont soumis
également. En Norvège (2009) et en Islande (2009), la loi va encore plus
loin car elle interdit respectivement l’achat de sexe à l’étranger et
les clubs de strip-tease. En Finlande, la Loi sur le droit et l’ordre
public (2006) – prévoit l’interdiction d’achat de services sexuels pour
les victimes de trafic, et interdit la vente ou l’achat dans lieux
publics. Malheureusement, les chercheurs ont constaté que cette mesure
était appliquée aux femmes, dans l’esprit de la loi sur le racolage
passif français. La ministre de la justice, Anna-Maja Henriksson,
travaille pour importer la loi suédoise.
La loi suédoise est basée sur un principe
égalitariste fort : celui de ne pas considérer femmes et enfants comme
des marchandises que l’on peut acquérir et dominer par l’argent. Le
modèle nordique prévoit aussi une assistance renforcée contre la
prostitution des enfants (aides, foyers, investissement de la famille).
Nous rappellerons en comparaison que la prostitution infantile était
autorisée en Suisse jusqu’en 2013 à cause d’un flou juridique sur l’âge
de consentement.[8] En 1999, la lutte contre le trafic d’êtres humains
n’a pas été prise en compte, mais cette loi s’est révélée
particulièrement efficace contre celui-ci – le Danemark, dont la
population est de moitié inférieure à la Suède a quatre fois plus de
victimes de trafic d’êtres humains. Le pays n’est pas attractif pour les
proxénètes, car leurs « coûts de fonctionnement » y sont trop élevés.
* Présence de trafic d’êtres humains en Suède
En Suède comme ailleurs, la prostitution est
inséparable du mal qui l’accompagne, à savoir la traite. Le Comté de
Stockholm a estimé que 77% des femmes prostituées dans la rue ou sur
internet étaient étrangères. Beaucoup sont illettrées, et la plupart
sont non-informées du contenu des annonces et des « services » qu’elles
sont censées proposer. 11% des annonces sont en suédois, dont de très
nombreuse en « google translate » incompréhensible. Aujourd’hui, c’est
une majorité de Nigérianes et Roumaines qui sont exploitées en Suède,
même si ces nationalités ne sont pas mentionnées en ligne. Il faut
croire que « Roumaine » ou « Nigériane » ne sont pas des marchandises
assez intéressantes pour le client[9] !
D’après le même rapport, on apprend que les six sites
internet majeurs proposant des services sexuels sont localisés en
Hollande ou en Russie, où la loi suédoise ne peut les atteindre. Quant
aux femmes prostituées dans la rue, 31 sur 37 rencontrées par la
travailleuse sociale Malin Andersson étaient nouvelles en Suède, sans
permis de séjour, avec un proxénète.[10]
* Autres mesures d’assistance
La loi ne prévoit aucune obligation de quitter la prostitution pour les femmes qui veulent bénéficier d’une aide[11].
D’autres outils existent, tels qu’une hotline gouvernementale invisible
sur les factures à l’attention de la victime, parents, amis, passants…
Le Centre Crise et Trauma propose physiothérapie, psychothérapie,
ateliers d’estime de soi. Pour les mineur.e.s, les parents sont
informés, si les services sociaux établissent qu’elle/il n’encourt pas
de violences physique ou psychologique au domicile. A signaler, une
coopération nationale entre taxis, hôtels, restaurants qui contactent la
police si un acheteur est repéré. Enfin, une aide au retour volontaire,
dans l’esprit de la Convention de 1949 (incluant une aide à la
réintégration sociale et une formation pour les victimes de trafic) est
également proposée aux personnes en faisant la demande.
Les « consommateurs de sexe » ne sont pas oubliés
dans le modèle nordique : les services sociaux (KAST, avec docteur.e.s,
infirmièr.e.s, psychothérapeutes, conseiller.e.s) et le Karolinska
University Hospital, ont aidé à ce jour de 800 à 1000 hommes. D’après
Malin Andersson, 50% acceptent de consulter lors de leur arrestation, et
le tiers arrêtent d’acheter du sexe définitivement.
* Mesures de succès
Alors que beaucoup de pays disent se préoccuper
sérieusement du trafic d’êtres humains et vouloir « agir contre les
réseaux », seul le modèle nordique en étudie véritablement toutes les facettes, en incluant la demande masculine dans son approche.
En chiffres : en 1970, il y avait près de 500 bordels
en Suède contre aucun à ce jour. Derrière les 6965 annonces sur
internet, il y a environ 400 personnes. En incluant la prostitution de
rue, le total de personnes dans la prostitution est de 650 environ[12].
Au Danemark, un pays de 5 millions d’habitants (9M en Suède), ce nombre
est de 5,500 à 7,800 femmes prostituées.
72% de la population soutient la loi, contre moins de
50% au moment du vote en 1998. Ce soutien est très fort chez les femmes
et chez les jeunes. De plus, les suédois adhérent à l’idée que se
vendre est dangereux et nocif pour les femmes (à
82,0 %), et qu’acheter du sexe l’est pour les hommes (à 63,0 %). Ils
comprennent aussi que la prostitution est causée par des problèmes socio-économiques (à 82,1 %) et que la prostitution aggrave les problèmes sociaux
(à 82,4 %).[13]. Même si l’opinion est de plus en plus favorable à
l’interdiction de la vente de services sexuels (59% des femmes), cela ne
signifie pas une volonté de sanctionner les femmes prostituées. Quand
la question est reformulée (« Les femmes prostituées doivent elle être
criminalisées ?) les Suédois répondent en majorité par la négative. Mais
ils sont de plus en plus nombreux à vouloir l’interdiction des clubs de
strip-tease et des sites internet proposant la vente en masse de
« services sexuels ».[14]
Enfin, le nombre de « clients » est passé en moyenne
de 13% à 7%. Ces hommes n’ont pas rapporté en majorité aller à
l’étranger pour acheter. Par contre, en Espagne, où l’achat de femmes
est normalisé, ils sont de 32% à 39% à s’acheter du sexe, contre 15,5%
au Danemark.
* Autres chiffres importants de comparaison
D’après l’Office International du Travail, il y
aurait aujourd’hui 4,5 millions de femmes exploitées sexuellement, dont 1
million en Europe[15]. Un chiffre à prendre avec beaucoup de
précautions ; l’OIT sépare « migrantes » et prostitution forcée dans les
pays réglementariste. On estime aujourd’hui de 400 000 à 700 000 le
nombre de femmes prostituées en Allemagne. Elles étaient moins de la
moitié avant la légalisation.[16] En Norvège, sur une période de 5 ans,
la prostitution de rue s’est réduite de 45 à 60%, et de 20% sur internet
d’après un rapport du gouvernement.[17] Sans la loi, la prostitution
serait aujourd’hui à 45% plus élevée.
En Hollande, les journalistes mentionnent des réseaux
de centaines de femmes battues à coups de battes de baseball, et
maintenues ensuite dans l’eau glacée pour éviter l’apparition de marques
(qui pourraient dégoûter le client !), ou obligées de subir des
chirurgies de la poitrine au point de les déformer[18]. Ceci est
inimaginable en Suède, où les victimes sont traitées avec moins de
violences par les proxénètes inquiets pour leur « business ». En automne
2014, une femme trafiquée a décidé de contacter la police quand son
proxénète a gardé ses revenus, contrairement à sa promesse initiale de
« redistribuer équitablement », ce qui a entraîné la fin du réseau.[19]
3 - Les hommes* Des points communs entre les acheteurs
La loi suédoise met l’accent sur les hommes
responsables de la prostitution et du trafic. Des études ont montré que
ces hommes sont le plus souvent mariés ou en concubinage. Ils
comprennent que la prostitution est destructrice et connaissent la
réalité derrière les mythes « glamour ». D’après le rapport
Deconstructing The Demand, la plupart adhèrent à tous les mythes sur le
viol. 66% comprennent que les femmes se prostituent par misère
économique, 57% pensent que la majorité ont été victimes d’abus graves.
La moitié sait que les femmes souffrent physiquement et
psychologiquement de la prostitution, et beaucoup sont également
conscients que la femme qu’ils achètent a été victime de la traite.[20]
Ces hommes ont souvent 45 à 60 ans, plus âgés que les
clients des pays légalisateurs –dans ces pays, les hommes plus jeunes
ont recours à la prostitution comme un rite masculin. Ils ont un très
bon niveau social et professionnel. Un homme sur deux est marié ou dans
une relation hétérosexuelle. Ils réclament constamment des nouvelles
« filles », et veulent reproduire les actes violents de la pornographie
(70%)[21] que leur partenaire leur refuse.
Ces hommes sont paniqués par l’arrestation :
réactions extrêmes, évanouissements, fuites urinaires, panique pour leur
avenir et menaces de suicide. Beaucoup prétendent que c’est la première
fois, ce qui est contredit par les écoutes de la police. Aucun – selon
les observations des personnes contactées[22]– ne montre de compassion
ou de regret par rapport au fait d’avoir acheté une personne vulnérable
et lui avoir imposé un rapport sexuel. La Suède a compris que
l’homme qui achète du sexe est un homme ordinaire et n’ayant aucune
difficulté sociale – bien au contraire.
* A quoi servent les acheteurs
Les acheteurs sont indispensables pour remonter les
réseaux jusqu’aux proxénètes. Pour démanteler un réseau, les numéros de
téléphones des annonces sur internet sont mis sur écoute, les proxénètes
et acheteurs sont repérés et suivis. Ces écoutes et surveillances sont
ensuite documentées et servent comme preuves au tribunal. Les procès
peuvent aboutir, contrairement aux pays règlementaristes, où les
affaires reposent uniquement sur les témoignages personnes prostituées
et/ou trafiquées, les plus vulnérables de la chaîne, celles que les
proxénètes peuvent forcer à revenir sur leurs témoignages.
Enfin, non content de troubler l’ordre public (les
dealers de drogue ont tendance à se concentrer dans les zones où les
clients traînent pour acheter du « sexe »), il faut rappeler qu’ils sont
une source de revenus non négligeable pour les réseaux criminels. Les
réseaux démantelés en Suède ne sont limitaient pas à la prostitution,
mais s’occupaient aussi du blanchiment d’argent, de la contrebande
d’alcool et du trafic d’armes.[23]
4 - Conclusion
La loi a changé les mentalités et transformé la
Suède. Elle a rendu plus facile l’obtention de financements pour
restaurer la dignité et la vie des victimes de la prostitution.
Au cours de ces 15 dernières années, bon nombre de
résistances ont été vaincues – lors de l’implémentation de la loi, même
la police (en majorité composée d’hommes blancs hétérosexuels évoluant
un milieu conservateur) résistait à l’idée de punir un comportement
qu’ils considéraient comme normal.
Aujourd’hui, la police a intégré que l’achat d’êtres humains est crime sur lequel on ne tombe par hasard, mais qui se « recherche »
avec volonté et moyens matériels. Les tribunaux pour leur part ont
acquis une meilleure compréhension des mécanismes de contrôle (lover
boys…).
Un renforcement de la loi à l’image du modèle
norvégien, qui interdit l’achat de sexe à l’étranger est en discussion.
Egalement à l’étude, une loi pour lutter contre le viol virtuel et l’exploitation sexuelle via internet
– en effet, de plus en plus d’hommes utiliseraient internet pour
« commander » des viols de jeunes femmes et d’enfants (Cambodge,
Philippines).
La Suède veut aussi détecter au plus tôt les enfants
réfugiés importés pour être prostitués. Au Danemark, un projet pilote de
l’office des migrations a permis de découvrir que 15% des enfants
réfugiés ont été importés pour être exploités sexuellement.
Pour l’étude de la prostitution cachée, là encore, la Suède va adapter un autre projet pilote danois. A Copenhague, une travailleuse sociale de la même origine que les femmes exploitées
(Thai), a parcouru les salons de massage, a été rencontrée comme une
sœur par ses compatriotes, et a pu identifier les personnes trafiquées.
Etrangement, il n’y a pas de débat sur la
pornographie. Malgré une prise de conscience sur la prostitution, encore
très peu de suédois comprennent que les deux industries, loin d’être
cloisonnées, bénéficient des mêmes mécanismes et sont deux faces d’un
même billet pour l’industrie du sexe.
Enfin, sans une harmonisation des lois au niveau
Européen et mondial, « l’exportation » du trafic est inévitable dans les
pays voisins. Aujourd’hui, les conséquences combinées du non-respect
des conventions internationales pour la protection des droits des femmes
et des enfants, ainsi que l’existence de lois libérales sur le
proxénétisme sont évidentes. Le trafic d’être humain a augmenté
de 18% sur la période 2008 à 2010 en Europe, alors que les
condamnations des trafiquants ont baissé de 13%.[24] L’OIT estime que les profits de la « prostitution forcée » étaient de 99 milliards en 2008, ce qui représente 5 fois les profits de l’année 2005.
Et sans une réponse organisée et coordonnée à l’image du modèle
nordique –le seul qui a prouvé son efficacité dans les problématiques
développées ci-dessus- une amélioration au niveau mondial est
impossible.
[1] http://plus.lefigaro.fr/note/au-fil-du-temps1260-20131130-2802873[2] http://books.openedition.org/pucl/753
[3] http://www.endvawnow.org/fr/articles/536-traites-et-conventions-des-nations-unies-et-recommandations-generales-des-nations-unies.html
[4] http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/TrafficInPersons.aspx
[5] Kön till salu- om Europas vägval i prostitutions fråga. (Le sexe à vendre – sur les choix Européens dans la question de la prostitution), 2006, p 94
[6] http://sverigesradio.se/sida/artikel.aspx?programid=1602&artikel=5337923 et http://www.dn.se/nyheter/dns-stora-kris/
[7] http://exoduscry.com/wp-content/uploads/2010/07/swedish_model.pdf p. 49
[8] http://www.ecpat.net/news/switzerland-reinforcing-stronger-penalties-child-sex-offenders-and-child-sex-traffickers
[9] http://www.lansstyrelsen.se/stockholm/SiteCollectionDocuments/Sv/publikationer/2015/prostitution-kartlaggning-2014.pdf p.43
[10] Entretien avec Malin Andersson, travailleuse sociale dans le groupe prostitution de la ville de Stockholm.
[11] http://www.stockholm.se/prostitutionsenheten
[12] http://www.lansstyrelsen.se/stockholm/SiteCollectionDocuments/Sv/publikationer/2015/prostitution-kartlaggning-2014.pdf p. 52 et entretien personnel avec Amanda Netscher, auteure du rapport.
[13] http://liu.diva-portal.org/smash/get/diva2:506410/FULLTEXT01.pdf p. 14
[14] http://projectrespect.org.au/system/files/Sweden%27s+prohibition+of+sex.pdf p. 459
[15] http://www.ilo.org/global/topics/forced-labour/lang–en/index.htm
[16] http://www.salon.com/2013/11/28/germanys_legalized_sex_industry_is_booming_partner/
[17] https://www.regjeringen.no/contentassets/0823f01fb3d646328f20465a2afa9477/evaluering_sexkjoepsloven_2014.pdf p. 7 pour graphique
[18]https://books.google.se/books?id=zslQ54Z4ZzQC&pg=PA59&lpg=PA59&dq=netherlands+prostitution+cold+water+bruise&source=bl&ots=GjitNlqJ20&sig=uAqGYyATU66DJjq2CcAThMNKmQw&hl=sv&sa=X&ei=AMc7Vf2cMcyqsgHx-oDICw&ved=0CCkQ6AEwAQ#v=onepage&q=netherlands%20prostitution%20cold%20water%20bruise&f=false
[19] http://lt.se/nyheter/sodertalje/1.2865352-hogt-uppsatt-jurist-drev-bordell
[20] http://www.slaverynomore.org/wp-content/uploads/2011/07/Deconstructing-the-Demand-for-Prostitution.pdf
[21] Entretien avec Lise Tamm, avril 2014.
[22] Entretiens avec Malin Andersson, Lise Tamm, avril 2015
[23] Entretien avec Lise Tamm, Avril 2015
[24] raport couvrant les 28 états de l’Union, ainsi que l’Islande, le Monténégro, Norvège, Serbie, Suisse et Turquie, Conseil de l’Europe, Avril 2013 http://assembly.coe.int/ASP/Doc/XrefViewPDF.asp?FileID=20559& ;
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Source : https://ressourcesprostitution.wordpress.com/2015/05/18/le-long-combat-contre-lexploitation-sexuelle-perspectives-historiques-sur-le-modele-nor
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