par Simone Watson, 16 janvier 2016
Source : https://tradfem.wordpress.com/2016/09/25/le-libre-choix-en-matiere-de-prostitution-ce-serait-bien-de-lavoir/
Les choix se produisent rarement dans le vide. La
façon postmoderne de penser que tout est relatif et valable,
dépendamment du point de vue de chacun.e me préoccupe beaucoup. Comme
tout le monde, je vis avec des contradictions et des paradoxes dans ce
que je pense et ce que je ressens. Mais je ne voudrais pas laisser les
lois être ambivalentes, et surtout, je n’abandonnerais la loi aux mains
de ceux qu’elle affecte le moins. Mes expériences des systèmes de
prostitution totalement dépénalisée, légale et illégale, sont
constamment citées comme autant d’éléments anecdotiques et rejetés sans
plus. Si mes expériences n’étaient que celles d’une minorité de femmes,
ce serait compréhensible, mais elles ne le sont pas. Mes expériences
reflètent, à divers degrés de cruauté, de torture et de circonstances
coercitives, le vécu de la majorité des femmes actuellement et
anciennement prostituées.
Étant donné l’omniprésence médiatique du slogan « les
droits des travailleurs du sexe sont des droits humains », il est
compréhensible que beaucoup de personnes extérieures à l’industrie du
sexe se retrouvent piégées à défendre la prostitution comme un travail
aussi viable qu’un autre. Des expressions biaisées comme « le travail du
sexe » ont bénéficié d’une diffusion massive. Une campagne très
efficace, menée par des proxénètes et des prostitueurs (acheteurs) et
nourrie par la vague « solidarité » d’un grand public non informé, prête
une dignité inexistante à un commerce d’êtres humains qui demeure,
intrinsèquement, une cruelle exploitation. Pour chaque cri d’un ou d’une
« travailleuse du sexe » affirmant que c’est la « stigmatisation
sociale » qui la menace, il existe au moins 89 femmes qui crient pour
échapper à cette industrie.
Le cri de la « travailleuse du sexe » est jugé
crédible : on la dit courageuse, hardie, audacieuse, « autonomisée » et
débordant d’« agencéité », même si, paradoxalement, elle est aussi
présentée comme une travailleuse qui a besoin d’un soutien syndical pour
la protéger contre les fanatiques religieux, les prudes et, détail
révélateur, les prostitueurs dangereux. Elle est soit une héroïne de la
classe ouvrière, soit une escorte à 600 $ l’heure. Elle est soit une
victime brisée ou fière aux yeux des féministes, ou des antiféministes,
soit une militante ouvrière qui combat le déni social d’un droit
fondamental de gagner sa vie, soit tellement au-dessus de quiconque
qu’elle fait partie de l’élite entrepreneuriale.
Dans un autre étrange renversement de perspective, on
décrit les règlements de santé et de sécurité au travail comme
oppressifs à son égard. Les contrôles obligatoires d’infections
sexuellement transmises (IST) seraient « stigmatisants », sous prétexte
que les « travailleuses du sexe » sont dites bien informées au sujet des
IST, mieux que la population générale, en fait. Pourtant, les
directives de santé diffusées par l’industrie elle-même nous enjoignent
d’inspecter chaque pénis pour des IST, comme si le VIH était visible à
l’œil nu, et comme si exiger cela d’un prostitueur n’était pas
dangereux. Les directives adressées aux « travailleuses du sexe »
comprennent également des conseils utiles comme « si un client est ivre
ou dangereux, essayez de vous échapper par la fenêtre ». Le burnout
(aussi connu sous le nom de SSPT, ou syndrome de stress
post-traumatique) peut être traité, nous dit-on, en « mangeant du gâteau
au chocolat, ou prenant un bain et une pause ». Si une attaque se
produit dans un véhicule, il faudrait y laisser des traces comme
éléments de preuve, du vomi par exemple. Pourtant on continue à
prétendre que c’est la stigmatisation qui blesse les femmes dans
l’industrie du sexe, et non les hommes. Les femmes qui sont dans
l’industrie sont averties que celles d’entre nous qui tentons de faire
instaurer des stratégies de sortie du milieu, des ressources financières
et des services conseils, à l’instar du modèle suédois/nordique, sont
des empêcheuses de tourner en rond (« tu n’a pas besoin de ce genre de
négativité dans ta vie, chérie »). Les victimes de viol se font dire de
relever la tête (à moins que leur témoignage ne serve un objectif
politique) et les femmes qui contractent le VIH dans l’industrie du sexe
sont expulsées comme des parias, sans la moindre compensation. Joli
syndicat, hein ?
Cette « travailleuse du sexe stigmatisée » s’affiche
publiquement comme « pute » et « salope » sous son parapluie rouge et
elle fait la gueule à celles d’entre nous qui refusons de nous rallier à
ces étiquettes colonisatrices. On nous traite de « putophobes ». Les
victimes et les survivantes de la prostitution sont qualifiées de femmes
haineuses. Des personnes souffrant de stress post-traumatique, avec des
blessures physiques et presque aucune possibilité d’emploi en raison
d’un handicap, sont dénoncées comme « égoïstes, coincées, méprisables et
non féministes ». Les victimes sont dépeintes comme des monstres qui
veulent gâcher la fête pour le reste des femmes. Au mieux, nous sommes
informées que nous nous y prenons mal, que nous manquons simplement
d’« empowerment ». Je ne peux pas compter le nombre de fois où l’on m’a
lancé l’accusation quelque peu narcissique « Vous essayez de me sauver !
Je n’ai pas besoin d’être sauvée ! », comme si d’une certaine manière
je me préoccupais plus, fascinée, de la vie personnelle d’une personne
particulière, plutôt que des millions de femmes qui ne veulent pas être
soumises à l’horreur absolue.
Mon message à ces personnes est : Non, je ne pense
pas à vous à ce point ; par contre, je pense beaucoup à l’impact d’une
dépénalisation complète de la prostitution sur la majorité des femmes,
celles qui ne souhaitent pas être là. Il est certain que si vous aviez
besoin de nourriture et d’un abri, je vous aiderais, mais pour ce qui
est de réclamer une réforme légale dont il est prouvé – au-delà de toute
spéculation, mensonge ou vision biaisée : ce sont des faits – qu’elle
va multiplier l’esclavage sexuel de la majorité des femmes, non, je ne
vais pas vous soutenir dans ce projet.
De toute façon, pourquoi m’évertuer à contrer cette
minorité de « travailleuses du sexe » ? Ce sont les hommes qui nous font
tout cela, et les hommes qui achètent des femmes pour les baiser
haïssent les femmes. Ne soyez pas dupes, ce droit qu’ils s’accordent est
l’indice d’une réalité implicite : les hommes considèrent qu’ils ont le
droit d’utiliser notre corps. Leur mépris est implicite dans cette
conviction et dans la loi. Ils n’ont pas à nous agresser physiquement
pour le prouver – même s’ils le font souvent. Les hommes qui s’échangent
des blagues ricaneuses à notre sujet ne sont pas de « chic types » :
ils se vantent ou ils se plaignent. Ils mentent aussi beaucoup, et
disent des choses comme « Je n’ai pas besoin d’aller aux putes. Je peux
me trouver une femme, je n’ai pas besoin de payer ! » (Charmant…). Ils
nous évaluent sur les sites de médias sociaux en nous cotant sur une
échelle de 1 à 10. Ils se plaignent de nos seins et célèbrent nos
fesses. Ils étalent leur fureur s’ils ont le sentiment d’avoir été
dupés : « Elle n’était pas aussi jeune qu’elle le prétendait ! Je l’ai
baisée quand même mais je n’en ai pas eu pour mon argent. Acheteurs,
méfiez-vous. » « Elle n’a pas eu l’air de prendre son pied, et je lui ai
fourgué trop d’argent. » Et on parle de respect…
Dans cette mesure, la stigmatisation est bel et bien une réalité, mais regardez qui en sont les auteurs…
Et puis il y a les hommes handicapés – oh, la
magnanimité de celles qui sont payées pour donner du sexe à ces hommes…
Même leurs parents semblent désespérés de s’assurer que leurs garçons ne
soienr pas privés de l’occasion d’exploiter sexuellement des femmes,
tout comme le font les hommes valides. Aucune considération cependant
pour le handicap créé chez les femmes qui sont achetées pour le sexe par
des hommes, valides ou non. Devinez quoi, les hommes handicapés peuvent
être des trouducs aussi égocentriques et misogynes que les hommes
valides. Arrêtez cette putain de discrimination ! Tout ce dont nous
avons besoin est d’un film de propagande comme « Scarlet Road », avec
Rachel Wotton (« assistante sexuelle » pour personnes handicapées, dieu
la bénisse), pour croire que son choix est digne et pour fermer les yeux
sur ce que la décriminalisation complète impose au reste d’entre nous.
Les droits des hommes pèsent-ils plus lourd que ceux des femmes ?
Évidemment que oui. Est-ce que le choix de Rachel Wotton pèse plus lourd
que les intérêts de la majorité des femmes, qui veulent quitter
l’industrie ?
Évidemment que oui. Vous pouvez trouver ce
documentaire en ligne ; vérifiez vous-même s’il ne vous tire pas une
larme. Si Wotton ne vous semble pas être une des personnes les plus
aimables et les plus intelligentes que vous ayez jamais vues, je
mangerai mon chapeau. Et alors ?! On s’en fout ! Une fois que vous aurez
rangé votre mouchoir baigné de larmes douces-amères, réchauffées par
votre bon coeur, prenez un moment pour considérer que la pleine
décriminalisation ne sert toujours pas la majorité des femmes
prostituées. Vous pouvez également consulter des articles écrits par des
femmes handicapées qui s’objectent à être traitées et décrites comme
des parias sexuelles, et qui ont été victimes des violences sexuelles de
prédateurs, aussi bien handicapés que valides.
Et que dire des militaires qui achètent des femmes
dans les pays qu’ils occupent, les femmes de pays déchirés par la
guerre, qui s’accrochent du mieux qu’elles peuvent à la vie pour
soutenir leurs enfants pendant que des fusils tonnent et que des
missiles explosent autour d’elles ? Ou des soldats qui reviennent de ces
pays, avec ou sans SSPT, et qui se sentent en droit à un peu de
soulagement des horreurs qu’ils ont vues ou infligées eux-mêmes ? Le
fait que les prostituées souffrent de SSPT aussi souvent que les anciens
combattants et les survivant.e.s de la torture n’est pas impensable :
c’est la vérité.
Et puis, il y a les prétextes que se donnent tous les
hommes qui achètent des femmes : « Ben quoi, elle est là non ? Elle a
souri ! Elle m’a encouragé ! » Petite nouvelle pour vous : c’est dans sa
définition de tâche !
En réponse aux objections à la politique d’Amnesty
International sur le « travail du sexe », qui recommande que soient
dépénalisés le proxénétisme et l’achat de sexe, Ken Roth, directeur
général de Human Rights Watch, a tweeté « Pourquoi refuser aux femmes
pauvres le droit de gagner leur vie ? » Il est difficile de mettre en
mots à quel point cette déclaration est nocive. Il aurait pu aussi bien
lancer « Pourquoi nier aux hommes le droit d’acheter sexuellement des
femmes appauvries ? ».
On connaît maintenant les faits sur qui achète et sur
qui est vendu. Les acheteurs sont très majoritairement dans la
quarantaine, mariés avec enfants et bénéficiant d’un revenu assuré. Les
personnes prostituées sont majoritairement jeunes, souvent entrées dans
le commerce du sexe avant l’âge légal du consentement sexuel,
majoritairement indigènes, et pauvres. Oui, on nous présente des femmes
plus âgées pour nous raconter leurs anecdotes d’autonomisation – mais ne
perdez jamais de vue qu’au moins 89 autres femmes sont réduites au
silence derrière chacune d’elles. Il n’y a pas de sécurité dans une
prostitution totalement dépénalisée, mais il existe des preuves
accablantes que cette politique multiplie le commerce du sexe jusqu’au
quadruple lorsqu’elle est mise en œuvre.
Dépénaliser les personnes prostituées supprime à
juste titre le fardeau de la criminalité qui pèse actuellement sur les
personnes les plus marginalisées. Mais criminaliser les acheteurs et les
proxénètes place la stigmatisation et le fardeau de la loi exactement
où ils devraient être. Sur ceux qui cherchent à exploiter sexuellement
et à tirer profit de l’assujettissement des femmes, des enfants et de
certains hommes, dans le monde entier. Ce principe est la facette clé du
modèle nordique / suédois.
Les lobbyistes du parapluie rouge, qui revendiquent à
hauts cris des droits pour les « travailleurs du sexe », occupent
souvent des postes de direction et ont donc un intérêt direct dans le
maintien et l’expansion de l’industrie du sexe. La minorité d’opposantes
au modèle nordique qui vendent réellement des actes sexuels ont beau
être très minoritaires, elles se font entendre par-dessus et au
détriment de presque toutes les autres femmes prostituées. Il existe
actuellement des femmes vivant sous des régimes de prostitution
totalement dépénalisée (la Nouvelle-Zélande en est un exemple) qui
veulent le modèle nordique mais leurs voix ne sont pas entendues.
J’ai déjà été une de ces avocates du « choix
personnel », tentant désespérément d’assigner le blâme des cicatrices
psychiques avec lesquelles je vis sur une quelconque stigmatisation
extérieure au milieu, tentant désespérément de blâmer n’importe qui sauf
les hommes qui exigent des êtres humains pour leur satisfaction
sexuelle. J’étais inconsciente du fait que chaque fois que je me servais
du mantra « C’est mon choix », j’appuyais un système de tolérance de la
torture sexuelle. Ce refus de remettre en question le droit des hommes
de m’acheter et celui des proxénètes d’agir en entremetteurs avait pour
effet de trahir des millions de femmes.
Si je l’avais su, je me serais battue à l’époque pour
le modèle nordique. J’aurais profité de son soutien pour quitter
l’industrie, mais je ne savais pas qu’il existait une solution de
rechange – et il n’y en avait pas à l’époque. Quel choix avais-je quand
il n’existait pas d’autre option ? Je ne brandissais pas de parapluies
rouges, je n’avais pas la grossièreté de prétendre que mes droits
étaient plus importants que ceux de la majorité, mais j’acceptais le
statu quo – l’idée que la prostitution était le plus vieux métier et
inévitable. Je me dispense de cette critique parce que j’ai été la
victime, mais comment pourrais-je excuser les dirigeants de Human Rights
Watch ou d’Amnesty International, ou les innombrables organisations et
médias qui claironnent la cause des clients et des proxénètes ? J’en
suis incapable. J’ai eu de la chance, je m’en suis tirée, j’ai regardé
ce concept flou de « choix » et j’en ai compris les limites.
Quand je me suis échappée, je me suis littéralement
échappée, sans le moindre soutien du lobby du parapluie rouge (seulement
des sifflements, des huées et des exclamations sur la perte de « mes
droits »). Pas de soutien du gouvernement, non plus. Pourquoi un
gouvernement offrirait-il des services d’aide pour quitter un
« travail » légal et légitime ? Demandez aux propagandistes de
l’industrie du sexe : ce sont elles et eux qui n’en démordent pas de
leur défense d’un « métier comme un autre ».
C’est très simple : si l’entière dépénalisation
rendait la prostitution plus sûre, je serais tout à fait pour. Mais elle
ne le fait pas. Elle perpétue, sans la moindre excuse, un cycle sans
cesse croissant de violence et d’encore plus de violence. Je réclame
mieux que cela pour toutes les femmes. Et je ne suis pas la seule.
Simone WatsonSource : https://tradfem.wordpress.com/2016/09/25/le-libre-choix-en-matiere-de-prostitution-ce-serait-bien-de-lavoir/
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