Outil de construction de pensée,
le langage confère à l’individu qui l’utilise un pouvoir sur le monde
tout en lui permettant de se construire psychologiquement et
socialement. C’est en nommant les choses que l’on peut leur donner
réalité. “ Miroir culturel, il fixe les représentations symboliques, les
préjugés, les stéréotypes en même temps qu’il les alimente et les
entretient” (Marina Yaguello). En tant qu’outil, c’est l’usage qui en
est fait qui lui donne un sens. En aucun cas le langage ne peut être
neutre et c’est sa subjectivité qui le rend instrumentalisable à loisir.
En plus il couvre tous les domaines de la vie : privée, sociale,
économique et politique et il y a donc un enjeu considérable à le
maîtriser.
C’est ce que montre l’histoire de la langue française
dont la grammaire a été codifiée par des hommes et construite sur
l’idée que “le masculin l’emporte sur le féminin”, le féminin étant vu
comme passif et le masculin comme actif. Au 17ème siècle, Vaugelas puis
au 18ème son continuateur Bouhours, grammairiens de leur état, clament
que le genre masculin est le plus noble et prévaut tout seul contre
plusieurs féminins. Avec Bescherelle au 19ème siècle le masculin est la
référence par excellence à partir de laquelle on apprend à former le
féminin. Ainsi depuis toujours, dans les grammaires et les
dictionnaires, le masculin passe pour l’absolu existant et le féminin
pour un ajout artificiel qui dépend du premier et lui est soumis. Ce
présupposé du masculin premier est aujourd’hui complètement et
entièrement intériorisé, la norme basée sur cette règle étant devenue
une évidence.
Le langage pose donc la toute puissance du masculin
comme postulat et son usage renouvelle cette idée à chaque instant
légitimant ainsi la domination et l’oppression d’une catégorie par
l’autre. Dans l’expression Madame le ministre par exemple, on
sous-entend que la normalité de cette fonction implique d’être un homme.
De plus de nombreux noms de métiers deviennent
péjoratifs une fois mis au féminin, alors qu’il sont plutôt gratifiants
au masculin : docteur/ doctoresse, cuisinier/ cuisinière.... On peut
aussi constater la persistance de formulations, présentes notamment dans
les formulaires administratifs, qui indiquent un lien direct entre
l’identité d’une femme (infantilisée) et sa situation maritale
(mademoiselle, nom de jeune fille...)
En ce qui concerne la désignation des humains, le
genre est la seule catégorie qui renseigne sur un caractère abstrait de
celui ou celle dont il est question : son sexe, son aspect de femme ou
d’homme (contrairement au nombre par exemple qui lui renvoie à du
concret). Ce caractère est tellement présent et pesant qu’il influence
même la connotation des noms de référents non humains et/ou inanimés. Un
nom d’objet de genre féminin peut être détourné de sa signification
première pour donner une valeur moindre que son équivalent de genre
masculin (ex. : camion, camionnette).
Le masculin l’emporte donc sur le féminin parce qu’il
est de genre masculin et non parce qu’il est de sexe masculin, la
symbolique permettant que se perpétue la domination. L’idée du masculin
qui possède (historiquement la possession de la terre est liée au
privilège de masculinité) continue à fonctionner (bien qu’abolie
juridiquement en ce qui concerne la terre) même quand le masculin n’est
pas relié à une caractéristique anatomique. A travers le langage, se
transmet chaque jour, l’idée de la toute puissance du masculin
possesseur des biens, parmi lesquels les femmes et les enfants, donnant
l’impression d’un ordre naturel du langage comme de la société.
Au delà de la grammaire, la langue française recèle
énormément d’expressions sexistes, dont certaines sont d’usage courant
et socialement acceptées : les termes « sexe faible » et « sexe fort »,
« se refaire une virginité, garçon manqué,femme—lette, bonne à marier »,
... Tout comme les noms péjoratifs donnés au femmes : « rombière,
gonzesse, pépée.... » De plus, lamajorité des insultes ont une
signification sexiste. « Con », tout d’abord dont le sens littéral est
sexe féminin. « Salope, pétasse, marie-couche-toi-là », qui désignent
des femmes qui ont beaucoup de rapports sexuels, ou qui séduisent de
façon explicite et ne répondent pas à l’ordre moral établi. L’insulte
« pédé » bien que profondément homophobe est excessivement courante. Le
terme « enculé », utilisé comme insulte, sous-entend que se faire
sodomiser est honteux et place la personne en position de soumission,
tout comme les expressions se faire « baiser, niquer... »
Dans la vie quotidienne, pratiques langagières et
comportements sociaux se nourrissent les uns les autres. L’imprégnation
du sexisme dans la langue installe très tôt l’apprentissage des rôles
sociaux sexuellement différenciés et à l’inverse, l’assignation à un
rôle social conditionne aussi notre manière d’utiliser le langage.
Un espace de discussion est presque toujours une
sorte d’affrontement, plus ou moins violent, où rentrent en compte
énormément de rapports de domination : liés au sexe, comme à l’âge, à la
position sociale, à la nationalité, à la culture, etc... Le langage qui
permet de s’exprimer place celui ou celle qui s’en sert en position de
pouvoir. Or pour garder ce pouvoir il est nécessaire de contrôler la
parole des autres. Hommes et femmes réunie- s en un même lieu ont des
attitudes langagières différenciées. Les premiers dominent souvent les
dernières, domination qui se manifeste par exemple par le fait de couper
la parole, de monopoliser le discours, de ne pas écouter ou ne pas
prendre en considération les paroles des femmes... ou encore par
l’utilisation de gestes, d’intonations de voix, d’un débit
particulier... éléments qui asseyent la force virile des hommes. Ce
comportement est complémentaire de celui des femmes qui tendent
généralement à plus écouter lorsqu’un homme parle, à se laisser plus
facilement couper la parole, à moins s’imposer dans une discussion,
etc... Le langage et les attitudes sont extrêmement liés. Un individu
éduqué dans le genre masculin aura plus facilement tendance à parler
fort, à s’asseoir en écartant les jambes et en prenant plus de place que
celle qui lui est attribuée. Ainsi qu’à marcher de façon très assurée
voir agressive etc...
Toutes ces attitudes correspondent aux principes
fondateurs du genre masculin : la domination/appropriation et la
violence.Alors que ceux du genre féminin sont passivité et soumission.
Ce qui conduit la majorité des femmes à prendre le moins de place
possible que ce soit en volume sonore ou en espace physique.
Le langage est bien une construction sociale et
politique liée à un contexte et à une idéologie. Par là même et parce
qu’il est un outil, il est un vecteur des valeurs et constructions
dominantes de notre société (comme celles liées au genre) et par
conséquent de l’oppression qui en découle. Il s’agit donc de le
transformer pour en faire un outil d’émancipation qui ne figerait plus
les individu-e-s, les êtres et les choses dans des catégories
réductrices et destructrices des potentialités.
Une langue sans genre qui parle d’individus uniques
et tous différents et non d’hommes, de femmes et de valeurs féminines ou
masculines. Cette transformation ne peut pas se faire d’un coup et
nécessite une évolution des mentalités conséquente. Le premier pas peut
être de faire le choix lorsque l’on s’exprime, particulièrement à
l’écrit, de féminiser les termes qui sont exclusivement masculins, et
d’utiliser le plus souvent possible des termes épicènes (non genrés).
De façon à faire prendre conscience petit à petit que
le masculin n’est ni universel, ni dominant, et de s’adresser à
l’ensemble des personnes (politiquement, utiliser uniquement le masculin
signifie s’adresser à la moitié de la population seulement ). Plusieurs
façons de féminiser à l’écrit sont possibles, parenthèses, tiret, E
majuscule, etc... elles ont toutes des avantages et des inconvénients,
tant au niveau de la symbolique que de la lisibilité. Il s’agit donc de
faire un choix mais dans tous les cas la démarche est importante.
Pour ce manifeste nous avons donc décidé de
privilégier les termes épicènes, et si ce n’est pas possible, d’utiliser
le double mot (acteur/actrice) ou le tiret.
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