Nous observons aujourd’hui l’enthousiasme général à l’égard de ‘féminismes’ « exotiques », « décolonisés » non pas parce qu’ils sont en rupture avec la phallocratie, mais au contraire, parce qu’ils défendent l’ordre dominant sous prétexte d’ »exception culturelle » et de rupture avec l’Occident. Comme l’a dit Catharine Mackinnon, il s’agit en fait « d’une défense multiculturelle de la domination masculine », qui a l’intérêt tout particulier de diviser les femmes, et de les faire « adhérer aux ficitons des hommes », selon les mots d’Ana Pak ; rendant ainsi la lutte féministe inutile, si ce n’est lorsqu’il s’agit l’instrumentaliser.
Je vous laisse découvrir l’interview d’Ana Pak,
féministe, exilée politique iranienne et membre du collectif
lesbiennes-feministes-ba-ham (CLFBH) qui nous livre son point de vue sur
ce phénomène relativiste faisant courir un grand danger aux femmes du
monde entier.
WLWB : Vous êtes une exilée politique
iranienne, une féministe radicale, pensez-vous que votre expérience
iranienne a eu une répercussion sur votre vision du féminisme ?
En effet. Lorsque la révolution iranienne éclata en
1979, je sentais déjà dans mon très jeune cœur le cri des millions de
personnes qui souhaitaient trouver la liberté.
Mais cette révolution a été instrumentalisée par des
islamistes (qui constituaient une infime minorité). Comme ce que nous
voyons aujourd’hui en Égypte, en Tunisie, au Libye et dans d’autres pays
sous les lois islamiques. Ils ont en premier attaqué les femmes,
Khomeiny leur a ainsi demandé de se voiler.
J’étais très jeune à l’époque mais à ce moment -là,
mon corps d’enfant de sexe féminin ressentait profondément l’effroi de
ces milliers de femmes iraniennes qui protestaient contre le voile, et
il s’alarmait à l’unisson de leur indignation.
Je ressentais cette révolte des femmes, même si je ne pouvais pas encore tout comprendre.
Il faut savoir que Khomeiny a tout d’abord été
contraint de revenir sur certaines de ses positions au regard des
colères, des révoltes et des manifestations quotidiennes des femmes !
Il déclara d’ailleurs que « Non, l’Etat islamique n’obligerait pas les femmes à se voiler, [il] leur en laisser[ait] le choix. »
Mais quelques jours après cette déclaration de
capitulation de Khomeiny, j’entendis, médusée, au journal télévisé,
Banisadr, le premier président du régime islamiste, déclarer que « si
l’islam voilait les femmes, c’était parce que la science avait prouvé
que des ondes capables d’exciter les hommes se cachaient dans les
cheveux des femmes. Et qu’afin de s’assurer qu’hommes et femmes puissent
vivre en paix dans la société et sans excitation, l’islam exigeait que
des femmes qu’elles soient voilées. » !!!
Ces paroles m’ont laissée bouche bée. Tous les moyens
étaient bons pour imposer le voile aux femmes. Quand le régime
n’arrivait pas à le faire au nom de la religion, il essayait de
l’imposer en utilisant cette fois des arguments soi-disant
scientifiques.
Et en fin de compte, ce fût bien par des violences et
par des humiliations inouïes, permanentes et constantes, que le régime
islamiste réussit à contraindre les Iraniennes au voile.
Au début, par des coups, des brutalités, des insultes
et des menaces, par les licenciements en masse des femmes dans les
entreprises et dans les fonctions d’Etat, la retraite imposée. Puis par
le viol, des violences physiques répétées, des contraventions, des
arrestations et des emprisonnements. Le voile était de la même manière
imposée aux femmes qui restaient embauchées, ou réembauchées.
Le voilement du corps des femmes dévoile en lui-même
la violence du patriarcat sur notre corps. Comme pour la prostitution,
la violence lui est inhérente. Cette violence, psychologique et
corporelle, est dans la sexualisation des femmes.
Donc oui, cette expérience d’un régime
facho-islamiste m’a donné une certaine grille de lecture du monde, qui
forge mon féminisme et qui me procure, comme à beaucoup d’autres femmes,
les antennes nécessaires pour détecter les stratégies d’intimidation
des islamistes et pour cerner l’aberration qui consisterait à devoir
tout accepter au nom de la tolérance culturelle.
D’autre part, je pense que nous n’avons pas besoin de
subir une mutilation sexuelle féminine pour lutter contre. De
nombreuses femmes luttent contre les extrémismes religieux et en
particulier l’islamisme, sans l’avoir subi personnellement.
Au nom de la tolérance et du « relativisme
culturel », au nom de la « lutte contre l’islamophobie », on nous impose
même ici dans des sociétés plutôt démocratiques et plutôt libres, la
peur des extrémistes religieux et l’interdiction de critiquer les
religions, surtout l’islam, et nous condamne au silence au nom de
blasphème.
Les islamistes et leurs alliés veulent nous faire taire en nous désignant comme « islamophobes ».
Mais en fait, j’ai peur de l’islamisme comme j’ai peur de tous les fascismes, et je ne vois pas pourquoi je devrais le cacher.
A vrai dire, plusieurs raisons m’ont conduite à cette
intransigeance à l’égard de l’islamisme. La première par mon expérience
iranienne, et l’influence du gourou Khomeiny à cause duquel les
iraniennes refusant le voile étaient targuées « d’islamophobie ». Et
c’est ce que l’on retrouve dans les pays démocratiques, au sein desquels
on ne peut critiquer librement l’islamisme.
Être radicale, c’est pour moi être radicalement
contre toutes les formes du patriarcat qui invente tant d’institutions
(religion, mariage,…) pour piéger et opprimer les femmes. C’est être
radicalement opposée à toutes les religions, et l’islam aussi.
Les religions ont la particularité d’être fondées sur
la misogynie, avec comme principale obsession le monopole du contrôle
sur le corps des femmes.
Alors, si être féministe radicale, cela veut dire
vouloir changer le monde, vouloir nous libérer de toutes les
institutions patriarcales (religion, culture, mariage, Etat…),
effectivement je suis une féministe radicale. Et je me demande même
comment il serait possible d’être féministe, sans être en conséquence,
radicale.
WLWB : Vous avez mentionné dans cette
interview que « tant que les femmes et féministes adhérent à n’importe
quelle fiction inventée par des mâles : race, religion, nation, culture,
couleur politique… nous ne pouvons pas nous libérer ». Pourquoi cela ?
Effectivement, en tant que femme, adhérer aux
inventions des hommes, à leurs religions, à leurs cultures, à leurs
concepts, revient à ne pas comprendre, nier ou oublier notre
appartenance à la classe des femmes. Et donc à ne pas entamer une lutte
nécessaire contre ces oppressions, ou pire se détourner de notre lutte
commune. L’adhésion consciente ou inconsciente des femmes aux inventions
des hommes nous coûte très cher.
Ce qui différencie l’oppression des femmes d’autres
oppressions, c’est qu’elles sont non seulement liées par la force, mais
aussi par la ruse, par la culture ou les religions, affectivement,
économiquement et corporellement aux individus de la classe des
oppresseurs.
Les femmes sont d’ailleurs les seules opprimées qui
majoritairement subissent leurs oppresseurs constamment, jusque dans
leur lit.
En effet, les hommes esclaves et prolétaires ont au
moins la chance de ne pas avoir l’obligation de supporter corporellement
et sexuellement ceux qui les exploitent et les dominent.
C’est pourquoi l’oppression des femmes -la plus
ancienne des oppressions-, peut bien changer de visage, de forme ou de
nom, elle continuera à enchainer les femmes, si ces dernières n’adoptent
pas les mesures requises pour se libérer.
Pour ne donner qu’un exemple bien connu dans
l’histoire de la lutte des femmes : le droit de vote. Pendant que les
femmes suffragistes luttaient pour obtenir le droit de vote, certaines
femmes s’opposaient, en répétant le discours des hommes qui disaient que
les femmes seraient incapables de voter !
Comme je l’ai déjà soutenu dans un autre écrit, il
est parfois difficile et il peut être douloureux pour les femmes de
prendre conscience qu’elles appartiennent à une classe opprimée et
méprisée incessamment.
Cela dit, nous les femmes, devons apprendre à nous
débarrasser des réflexes misogynes que nous avons intériorisés. Car nous
sommes tellement imprégnées par l’apartheid sexiste, que ce soit dans
la famille, dans toutes les cultures et pays que, nous faisons usage de
cette misogynie contre nous-même et les autres femmes en défendant les
arguments des dominants ! Peut-être est-ce parce que certaines se
sentent découragées, et prennent des chemins apparemment moins
périlleux.
Beaucoup de femmes préfèrent alors s’accrocher à ce
qui nous divise et nous sépare,au lieu de mettre en œuvre des moyens de
lutte et de créer nos propres concepts pour un monde différent.
WLWB : Pourtant, de nombreux courants
féministes : féminisme libéral, postmoderniste, « black feminism »,
transnational, etc… revendiquent la différence des femmes de couleur,
pour lesquelles le féminisme radical serait une invention des femmes
blanches, occidentales et des classes sociales aisées. Comment
expliquez-vous ce refus de se sentir « unies dans la classe des
femmes » ?
Ah, nous voici au cœur du problème ! Qui est justement de diviser les femmes pour pouvoir mieux les opprimer !
Et même encore aujourd’hui, certains qui se disent de
gauche, rejettent les constatations et les revendications féministes,
en prétendant qu’elles seraient l’émanation de pensées « bourgeoises »…
Or, que vous soyez bourgeoise ou pas, si vous êtes
une femme, il est certain que nulle part, vous ne marcherez seule et
sereinement dans les rues à une certaine heure !
Et que vous soyez bourgeoise ou non, en Iran, vous
serez toutes condamnées à vous voiler, c’est à dire à arborer le drapeau
de votre sexualisation et votre infériorité !
Autant le dire, la première fois que j’ai entendu les
médias parler contre les « valeurs occidentales », contre les
« féministes occidentales » et contre les femmes « occidentalisées »,
c’était en Iran, en 1979 au moment où les islamistes réprimaient les
manifestations des femmes contre le voile.
A l’époque, ils ont voulu faire taire les femmes en
les appelant d’abord des « prostituées ». Lorsque le nombre des
manifestantes a dépassé quelques milliers, ils les ont qualifiées de
« royalistes », puis « d’occidentalisées », puis de « pro-occidentales »
et enfin « d’islamophobes » !
Il faut savoir que pendant les années noires en Iran,
soit de 1983 à 1989, les instances internationales en charge de
vérifier les violations des droits humains, sous la pression de milliers
d’exilé-es qui pouvaient témoigner, voulaient visiter les prisons
iraniennes où étaient torturé-es et exécuté-es des milliers de femmes et
d’hommes, prisonnières/ers politiques…
Mais en riposte, à cette époque, le régime créa un
« droit de l’homme islamique », afin de fournir à qui veut l’illusion de
l’existence de « raisons culturelles et religieuse » pouvant s’opposer
aux contrôles internationaux et pouvant justifier les massacres et la
barbarie du régime de Téhéran !
Ceci en opposition totale aux droits humains
fondamentaux et universels, prétendument originaires des pays
occidentaux, si l’on en croit le régime iranien !
Alors s’il existe bien des droits de l’homme
islamiste revendiqués et un peu spéciaux -c’est le cas de le dire-,
pourquoi ne pas pousser plus loin dans ce raisonnement cher à Téhéran et
ne pas créer un concept de féminisme islamique, n’est-ce pas ?
En effet, tel ne fût pas le choc que je ressentis,
d’entendre ici et en 2009, les mots étranges de « féministe blanche », à
l’occasion de l’organisation d’une journée d’étude à l’université de
Paris VIII portant sur les lesbiennes exilées et immigrées.
Là, dans les réunions préparatoires, j’attendais que
l’on dénonce enfin la haine des communautés en exil envers les
lesbiennes et leur misogynie. Mais ce ne fût pas le cas. Au contraire,
je fus confrontée à des allégations aussi extraordinaires que celles de
la théorie de ces « féministes blanches occidentales » qui ne
comprendraient pas les « femmes racisées » !!!
Pourtant, il y a bien eu des luttes historiques et
mondiales pour la libération des femmes, menées par des féministes
solidaires du monde entier ; une lutte qui a quand même porté ses fruits
dans quelques domaines.
Pourquoi alors devrait-on rejeter des féministes sous
prétexte qu’elles soient « blanches » et revendiquer ce concept de
« féminisme islamique » pour soi-disant affirmer notre différence ?
Être une « féministe islamique », ne serait-ce pas
plutôt répéter et prendre à son compte les inventions et les doctrines
des islamistes, telles celles en provenance de Téhéran et des Frères
Musulmans ?!
Ma réponse à votre question est que l’oppression et
la domination des hommes sur les femmes sont universelles ! Par
conséquent, nos luttes doivent aussi l’être.
D’autant plus qu’aujourd’hui, c’est en grande partie
grâce aussi aux femmes vivant dans des sociétés sous les lois musulmanes
(où qu’elles soient dans le monde), que notre lutte féministe avance
encore.
Ces femmes dénoncent en effet de la façon la plus
virulente qui soit et la plus « radicale » les violences subie au nom de
la religion, et elles ne revendiquent pourtant que des droits
universels !
Malala, la jeune pakistanaise de 14 ans, qui a été attaqué mortellement par les islamistes en est un exemple.
Elles appellent régulièrement leurs sœurs des pays plus démocratiques
à les soutenir dans leur lutte contre l’islamisme, elles rejettent
cette fiction de « féministes blanches-occidentales différentes ».
Car elles savent bien que leurs luttes sont
semblables à celles que les féministes occidentales ont faites,
notamment la lutte contre l’oppression de la religion catholique.
WLWB : J’ai aussi remarqué que le féminisme
faisait l’objet d’une appropriation telle, qu’il devenait l’étendard de
revendications ni plus ni moins antiféministes et antifemmes.
L’émergence du féminisme dit islamique en est peut-être l’illustration.
Qu’en pensez-vous ?
Le féminisme ne peut en aucun cas être islamique. De
même que les régimes en Iran et Afghanistan prétendent être des
« républiques islamiques », ne peuvent pas être des républiques.
Dans la république les peuples votent et ont des
droits. Or dans l’islamisme, c’est Dieu qui choisit les hommes censés
gouverner la société !
Le féminisme est un mouvement, une lutte pour
l’émancipation des femmes. N’oublions pas que l’« Islam », lui, veut
dire « soumission », et qu’il implique la soumission des hommes à leur
dieu et dans tous les cas la soumission des femmes aux hommes.
Comme je vous l’ai dit plus haut, le « relativisme
culturel », le « relativisme des droits », la « différence des droits »,
ont été inventés par des islamistes et surtout par le régime islamiste
de Téhéran afin de lutter contre l’émancipation des femmes et pouvoir
ainsi saborder les droits humains.
Ceux qui en occident nous font taire, ou qui font
dangereusement dévier la lutte des femmes, ont la même idéologie et
jouent le même jeu que les islamistes.
Regardez en occident, les peuples ont lutté contre
des diktats intégristes de leurs religions. Pourquoi alors, certains
ici, au sein même des démocraties occidentales, pensent-ils que les
individu-es né-es dans des sociétés sous lois musulmanes ne peuvent pas
avoir les mêmes droits qu’eux-mêmes se sont arrogés et pour lesquels ils
se sont battus, à savoir la dignité et la liberté de ne pas subir
l’oppression d’une religion ?
Aujourd’hui, au nom de la « tolérance » et au nom du
« respect de la religion d’autrui », certaines personnes nous poussent
vers un autre un relativisme qui vise à empêcher toute critique de la
religion et de l’islam plus particulièrement.
Ces critiques de l’islam sont condamnées ici comme
blasphème et insulte ! Clairement, il y a bien des intérêts derrière
cette stratégie d’aliénation.
Certes, les islamistes ne veulent surtout pas que
l’on touche à l’islam, c’est bien connu, ni qu’on le « rénove », ni
qu’on lui pose des limites ; vous comprenez, ces hommes doivent pouvoir
continuer tranquillement à mutiler sexuellement les femmes, les brûler,
les voiler, les violer et les lapider !
Pour mettre à mal tout ceci, nous devons lutter pour la liberté de critiquer toutes les religions, islam compris.
Quelle sorte de monde veulent construire les
défenseurs du « relativisme culturel » ? Comment peuvent-ils légitimer
de tels actes barbares au sein des sociétés dites démocratiques ? Le
voile, les excisions, la lapidation pour adultère devraient passer à la
trappe sous prétexte d’ « exception culturelle » ?
Il ne faut en aucun cas négliger et prendre à la
légère ce qui se passe au sein des pays occidentaux enclins au
relativisme, car après la défense du port du voile pour les femmes, on
risque d’avoir tout le reste ! Comme ce qui s’est passé en Iran. C’est
cela que les islamistes cherchent à obtenir.
C’est pourquoi il ne faut pas céder aux
intimidations. C’est pourquoi seulement par la lutte féministe, la
pensée féministe, un féminisme constamment en mouvement, inlassablement
interrogatif de tout ce que la société androcentrique et misogyne
propose que nous pouvons nous libérer.
C’est en défendant l’universalité des droits des
femmes, d’où qu’elles viennent que nous nous libèreront ! Quelle que
soit la couleur de leur peau ! Quel que soit la croyance de leur père et
leur frère ! Quelle que soit leur provenance culturelle et
géographique.
© Women’s liberation without borders 2012
Source : https://beyourownwomon.wordpress.com/2012/10/26/le-feminisme-remede-au-relativisme-politique-et-culturel/
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