La pudeur nous est présentée
comme étant liée au corps, à la sexualité et à l’éducation. En effet si
on consulte différentes définitions qui ont été données de la pudeur, on
y retrouve invariablement la référence à la sexualité :
– Larousse 1923 – Sentiment de crainte ou de timidité que font éprouver les choses relatives au sexe : pudeur virginale.
– Robert 1967 – Sentiment de honte, de gêne qu’une
personne éprouve à faire, à envisager des choses de nature sexuelle…Gêne
qu’éprouve une personne délicate devant ce que sa dignité semble lui
interdire. Par ailleurs l’accès à la notion de pudeur fait partie de
l’éducation donnée aux enfants, dans leur éveil à leur future vie
d’adultes.
En pratique, la notion de pudeur est aussi liée à
celle de liberté. Elargi à tous les domaines de l’image qu’on souhaite
donner de soi-même, y compris celui des idées, le droit à la pudeur fait
plus ou moins consensus : chacun-e s’accorde à reconnaître à tous-tes
le droit intangible à un « jardin secret » qu’il-elle souhaite
préserver.
Le déni de ce droit humain élémentaire, inscrit au plus profond de chacun-e, est un outil privilégié des régimes totalitaires comme de l’armée, dans une logique d’oppression sur l’individu au travers de son corps. Obsédés de panoptisme, dans le but de dominer leurs « sujets » si possible jusqu’à l’esprit même, ces régimes s’attaquent à l’intégrité corporelle, directement, mais aussi au travers de l’image sociale de soi. Les populations s’y trouvent réduites à des masses indifférenciées.
Les déporté-e-s des camps d’extermination nazis étaient mis à l’extrême bas de l’échelle d’une hiérarchie sociale visant à exclure certaines catégories de la population du droit à l’humanité. La nudité imposée à ces files de déporté-e-s en marche vers la mort avait entre autres objectifs celui de présenter d’eux une image collective, et infantile (dans le sens de non adulte), de soumission absolue à la force implacable du système concentrationnaire.
Le déni de ce droit humain élémentaire, inscrit au plus profond de chacun-e, est un outil privilégié des régimes totalitaires comme de l’armée, dans une logique d’oppression sur l’individu au travers de son corps. Obsédés de panoptisme, dans le but de dominer leurs « sujets » si possible jusqu’à l’esprit même, ces régimes s’attaquent à l’intégrité corporelle, directement, mais aussi au travers de l’image sociale de soi. Les populations s’y trouvent réduites à des masses indifférenciées.
Les déporté-e-s des camps d’extermination nazis étaient mis à l’extrême bas de l’échelle d’une hiérarchie sociale visant à exclure certaines catégories de la population du droit à l’humanité. La nudité imposée à ces files de déporté-e-s en marche vers la mort avait entre autres objectifs celui de présenter d’eux une image collective, et infantile (dans le sens de non adulte), de soumission absolue à la force implacable du système concentrationnaire.
La réduction du corps à ses fonctions « mécaniques »
est l’une des marques d’un état totalitaire. Dans cette conception, la
déconsidération de l’individu doit être instillée dans les esprits. La
pudeur, le refus de la nudité, deviennent alors suspects et à combattre
en tant qu’ils révèlent la réticence de l’individu à faire totalement
don de sa personne au système. L’écrivain tchèque Milan Kundera
(L’insoutenable légèreté de l’être – 1984), évoque, notamment au travers
des relations d’un de ses personnages avec sa mère, comment le système
de pensée de type totalitaire soviétique stigmatise toute velléité de
pudeur, en l’entachant de suspicion et en insistant sur une soi-disant
uniformité de tous les êtres humains. Dans ces régimes, l’humain est
réduit à un objet dont les sentiments, entre - autres la pudeur, sont
piétinés.
La pudeur est en effet également définie comme un
sentiment, donc par nature personnelle, subjective et fluctuante.Elle
est néanmoins instrumentalisée à des fins d’oppression, et transformée
en concept moral uniforme, niant l’individualité de ce sentiment.
La plupart du temps présentée comme un accord diffus
entre tous les individus, la notion de pudeur varie cependant selon les
époques et les sociétés. Celles qui n’en ont pas la même conception que
les sociétés fortes sont considérées comme « décadentes » ou
« sauvages », et la nudité collective, totale ou partielle, réelle ou
fantasmée, constitue alors l’un des indices sociaux de « sous-humanité »
qui alimentent l’auto-justification morale du colonialisme.
De même que la religion crée l’impie, c’est la pudeur
qui crée l’impudeur (voire l’exhibitionnisme…). La pudeur est présentée
comme neutre, l’impudeur étant alors forcément négative. La pudeur est
la norme ultime.
A la notion de pudeur normative s’est toujours opposé
historiquement et culturellement un courant de résistance. Dans notre
société où cette pudeur normative vise traditionnellement le corps, ce
courant de résistance s’est exprimé et s’exprime encore à travers une
réflexion théorique donnant lieu à de nouvelles pratiques sociales, dont
le naturisme. Comme la non mixité, le naturisme peut être une étape
vers une libre fédération des désirs de chacun-e, par la déconstruction
de la norme existante, mais il ne constitue pas en soi une finalité
suffisante.
S’il permet une reconstruction de l’individu-e par la
réconciliation avec son corps, la fin de sa division entre parties
« montrables » et « honteuses », on peut déplorer que sa pratique
actuelle soit en deçà de ce qu’on pourrait en espérer, et tende à rester
normative vis à vis des personnes et des structures sociales dans
lesquelles elles s’inscrivent (famille…). Vis à vis des « habillés », le
corps reste « suspect » de sexualité, et chacun-e doit donc en quelque
sorte se justifier, plutôt que de construire de nouvelles relations
sociales. Les représentations du naturisme restent proches de certaines
références tolérables par la société dominante : l’humain en accord avec
« la Nature », davantage « bon » que libre.
Dans les sociétés de domination, le corps est en effet suspect en tant qu’il « échappe » à la volonté.
Il possède son évolution propre, grandit, change,
vieillit. Et en particulier le corps nu, car on naît et on meurt nu. La
nudité nous renvoie donc à notre condition d’être mortels et nous
éloigne du divin. Le puritanisme, morale patriarcale fondée sur la
« toute puissance » rejette la nudité et la sexualité en tant
qu’expression du corps parce qu’il rejette la mort. Afin d’ « être à
l’image de Dieu », il convient de nier le corps, de le mortifier. Dans
les sociétés puritaines, on cache le corps, surtout s’il apparaît « hors
norme » : faible, handicapé ou vieux (ce d’autant plus dans la culture
patriarcale, où la sexualité « acceptable » est liée à la
reproduction)... Il nous rattache également à notre part animale, poilu
–à épiler ! – puant – à désodoriser !- bref satanique. Sa présence
devient alors « obscène », c’est à dire « qui n’est pas sur la scène »
du socialement acceptable, et n’a pas à être mis en lumière.
Le corps n’est jugé acceptable que s’il est mis en scène dans un rapport de maîtrise, de pouvoir. La notion de pudeur, en tant que contrôle de l’individu au travers de son corps et de l’image de celui-ci, s’affirme comme outil d’oppression, en particulier sur la partie féminine de la population. A l’époque de la mode des corsets, le corps féminin, réduit à un stéréotype, était artificiellement exalté dans ce qui représente sa « féminité » (seins, fessier opulent, taille fine, fragilité) et maltraité, nié, caché.
Le corps n’est jugé acceptable que s’il est mis en scène dans un rapport de maîtrise, de pouvoir. La notion de pudeur, en tant que contrôle de l’individu au travers de son corps et de l’image de celui-ci, s’affirme comme outil d’oppression, en particulier sur la partie féminine de la population. A l’époque de la mode des corsets, le corps féminin, réduit à un stéréotype, était artificiellement exalté dans ce qui représente sa « féminité » (seins, fessier opulent, taille fine, fragilité) et maltraité, nié, caché.
La société occidentale actuelle est d’une certaine
façon de moins en moins pudique : essentiellement dans le domaine de la
vie privée qui s’étale, via les médias, volontairement ou non, à la vue
de tous. Dans le monde de la publicité, et dans les lieux où on se
montre comme les plages, le corps lui même est de plus en plus dénudé.
Mais il s’agit dans tous les cas d’une « impudeur » maîtrisée,
instrumentalisée, en particulier dans le « publisexisme », qui multiplie
la représentation des femmes en situation d’images commerciales,
d’objets qui « sexualisent » ce qu’elles touchent. L’objectif de la
publicité n’est pas de proposer un autre regard sur soi-même et les
autres, mais d’utiliser les images qui seront les plus propices à créer
l’envie de consommer. Parfois, la publicité inverse les relations de
pouvoir, mais ne les remet jamais en cause.
Présentées en situation de faiblesse, les femmes se
voient proposer la solution de la pudeur comme protection (dont
l’extrême est le voile dit « islamique » dans sa version la plus
aboutie, la burka qui dissimule tout le corps). Ce système fonctionne
selon le cercle vicieux de la peur de soi-même et de l’autre : la femme
se sentirait physiquement faible vis-à-vis de l’homme, l’homme vis-à-vis
de lui-même face à la tentation ; dans cette situation, la force de
séduction de la femme réside dans sa faiblesse au « malin », elle est
tentatrice. C’est une force viciée par essence ; il convient donc de la
cacher.
Alors que chez l’homme c’est sa faiblesse qui serait
mauvaise. Sous prétexte de protection des femmes, c’est un modèle de
domination qu’on perpétue : l’homme donne le meilleur de lui-même dans
le rôle du fort, la femme dans celui de la faible.
Les hommes se trouvent eux-mêmes enfermés dans cette
image. La virilité y apparaît comme violente, et le sexe masculin est
perçu comme systématiquement agressif.
La pudeur ne protège nullement contre la violence
sociale, mais est uniquement un symptôme des angoisses engendrées par le
système patriarcal, ainsi que l’expression d’une conception du
« désir » comme s’appliquant nécessairement à une personne objet.
Avec la pudeur physique, on assiste à une séparation
symbolique entre le corps d’une personne et la personne elle-même : le
corps est « inférieur » à l’ « esprit », comme la femme est
« inférieure » à l’homme. Le corps est caché, et traité en objet. De ce
fait, les sociétés puritaines ont toujours encouragé – et organisé – la
prostitution, et les maisons closes.
C’est le corps qui fait scandale, et non la violence
qui lui est infligée. Le sein de telle chanteuse entrevu en direct à la
télévision soulève davantage de protestations que les violences que nous
avons l’habitude de regarder au journal télévisé. Qu’il s’agisse des
relations sociales « hommes »-« femmes », adultes-enfants, ou plus
généralement entre personnes, la question qui reste centrale est celle
des rapports de pouvoir susceptibles de s’établir au sein de la société,
intime ou élargie, et de l’absence de respect que ces rapports de
pouvoir engendrent.
Historiquement, l’ordre moral, qui inclut la notion
d’obscénité du corps, sert d’exutoire à la violence économique et
sociale. Il détourne la colère de ses objectifs légitimes (le système
d’oppression et ses rouages), pour maintenir les individus dans une
agressivité tournée contre eux-mêmes et leurs semblables, qui leur donne
une illusion de puissance et de maîtrise.
S’émanciper de la notion de pudeur normative, participe d’une déconstruction sociale, créatrice d’une libération plus générale.
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