Le 30 novembre 2015, à l’occasion de la commémoration du massacre à
l’Ecole Polytechnique de Montréal, le centre de femmes victimes de
féminicides de Vancouver – le Vancouver Rape relief and women’s shelter
-organisait une conférence consacrée à la question de la prostitution.
Janice Raymond, philosophe et ancienne directrice de la Coalition contre
le Traite des Femmes (Coalition Against Trafficking in Women)
intervenait pour discuter les mythes autour de la prostitution et les
conséquences des approches réglementariste et abolitionniste- à la suite
de la publication de son dernier ouvrage Not a Choice, Not a Job :
Exposing the Myths about Prostitution and the Global Sex Trade (2013).
Feminist Current a retransmis l’intervention, et en voici la traduction
française.
Janice Raymond, 30/11/2013.
* C.O.Y.O.T.E cf http://beyourownwomon.wordpress.com/a-propos/
© Women’s liberation without borders 2014
http://beyourownwomon.wordpress.com/2013/09/10/feminicide-rachel-moran-denonce-le-calvaire-prostitutionnel/
http://beyourownwomon.wordpress.com/2013/11/30/le-29-novembre-2013-la-france-vote-labolition1/
‘Amicale proxène et féminicides’- Christine Gamita.
Proposition de loi renforçant la lute contre le système prostitutionnel.
Source : http://beyourownwomon.wordpress.com/2014/07/26/la-prostitution-ni-un-metier-ni-un-choix/
Mon intervention consistera à discuter les mythes autour de la prostitution et de l’abolition.
La première raison pour laquelle ces mythes existent
est certainement parce que les médias ont une tendance indéniable à
glamouriser la prostitution. Ils idéalisent la prostitution comme une
forme de sexualité extravertie-ce qui fait que nous avons une culture
proxénète prégnante et une industrie du sexe massive et mondialisée,
notamment en raison des campagnes menées par les organisations
pro-prostitution à l’échelle internationale. Les prostitueurs pensent
dès lors avoir le droit légitime et attitré à l’accès tarifé au corps
des femmes. Ils ne le remettent pas du tout en question.
Malheureusement, beaucoup de groupes dits
progressistes souscrivent à cette idée selon laquelle la légalisation de
la prostitution protège les femmes prostituées, et suggèrent que la
prostitution devrait être traitée comme un emploi à part entière, un
service.
Puis, s’ensuivent les clichés habituels pourrait-on
dire : la prostitution est inévitable, c’est le plus « vieux métier du
monde », la légalisation régulerait le marché sexuel. Ou encore : la
prostitution ne serait qu’un un travail du sexe, lela traite, la simple
migration de ce travail et relèverait de la libre circulation des
travailleuses. A ce titre, la prostitution est soit forcée, soit
choisie.
En tant que militante féministe, j’ai rencontré des
centaines de femmes dans le système prostitutionnel. Des femmes dont la
vie a été détruite par la prostitution. Des femmes qui ont fuient leur
pays pour avoir un travail décent, pour finalement finir dans la
prostitution. Des femmes dans mon propre pays, les Etats-Unis, qui ont
dû quitter leur foyer pour fuir l’inceste et sont tombées sous la
tutelle d’un proxénète.
J’ai été dans les bordels au Bangladesh, and j’ai
parlé à plusieurs prostitueurs qui ne remettent absolument pas en cause
ce qu’ils pensent être leur droit légitime à l’achat des femmes et des
filles, pour soi-disant satisfaire leurs ‘besoins sexuels’. Et, par les
conférences que j’ai pu donner, j’ai remarqué que beaucoup d’auditeurs
et d’auditrices compatissent avec les victimes de la traite, mais
beaucoup de gens bien-intentionnés ne conçoivent pas le lien intrinsèque
entre la prostitution et la traite des femmes. C’est-à-dire ce
qu’organise précisément la légalisation de la prostitution.
Ils souscrivent à ce qui semble être un simple
truisme : la légalisation contrôle le crime organisé, le trafic, et
protège les femmes prostituées, car elle régule justement le système et
ses excès. Toutefois, bien que ces personnes ont été pour ainsi dire,
nourries par ces spéculations, elles ne sont pas capables de démontrer
la véracité de ces propositions et se contentent d’un a priori réaliste.
Quand j’ai commencé à travailler dans les années 1980
sur le sujet, durant la campagne pour abolir la traite et la
prostitution, il n’y avait presque aucune ONG, ni aucun gouvernement qui
s’attaquaient à la demande. Il était impensable d’évoquer la
responsabilité du prostitueur. Cela a pris 20 ans pour que certains
Etats commencent à prendre en compte et condamner la demande- parmi
eux : la Suède, la Corée du Sud, la Norvège et l’Islande. Depuis lors,
ces dispositions ont fait l’objet de virulentes oppositions. Par exemple
en Norvège, les conservateurs viennent d’être élus grâce à l’une de
leurs propositions électorales visant à faire abroger la loi
abolitionniste, contre la pénalisation des acheteurs. Nous verrons ce
qui cela donnera.
Mais j’aimerais m’attacher très précisément aux
arguments concernant la pénalisation des prostitueurs. Je suis
philosophe de formation, donc il est très important pour moi d’analyser
les arguments invoqués.
Selon la vision règlementariste, les gouvernements
devraient considérer les prostitueurs comme des partenaires de lutte
contre le trafic sexuel. Ces prostitueurs sont appelés ‘acheteurs
responsables’ ou ‘acheteurs éthiques’. Et donc en 2006, lors de la coupe
du monde en Allemagne, des organisations féministes et de droits
humains ont fait une campagne en ce sens.
Ces associations ont mené une campagne en faveur d’un
tourisme sexuel dit ‘éthique’. Elles ont distribué des tracts
conseillant aux prostitueurs potentiels de s’abstenir d’acheter les
femmes dans les bordels, si celles-ci leur disaient clairement qu’elles
avaient des dettes envers leur maquereau ou qu’elles avaient été forcées
de se prostituer.
Or, pourquoi une femme dirait-elle à un prostitueur
qu’elle a été forcée de se prostituer ? Et surtout, pourquoi le
prostitueur demanderait-il cela à la femme ? Cela a pourtant été le fil
conducteur des lobbies pro-prostition : selon eux, il serait possible de
faire en sorte que les prostitueurs se comportent de manière éthique et
responsable. Concrètement, est-ce que ces campagnes ont eu des effets
sur le comportement des acheteurs ? Il n’y a pas d’études sur le sujet,
et aucune enquête ne montre les effets positifs de la campagne de 2006.
Mais en 2010, le conseil municipal d’Amsterdam a fait
un sondage sur internet qui regroupait les avis des acheteurs allant
sur des sites prostitutionnels. Une des questions était : lorsque vous
tombez sur des femmes prostituées que vous pensez avoir été forcées,
est-ce que vous réagissez ? Eh bien, la réponse était clairement : non –
et cela à l’échelle internationale, pas seulement locale ou nationale.
Aux Etats-Unis, une autre étude similaire a été
menée, dans mon Etat, le Massachussetts – deux milles hommes sondés et
le même résultat. Ainsi, lorsque des hommes savent les femmes
prostituées forcées, exploitées par des proxénètes, cela n’affecte
nullement leur comportement. Ils continuent d’acheter le corps des
femmes, même s’ils sont au courant de la situation et constatent les
marques de violences physiques : bleus etc …. De même, le gouvernement
néerlandais a mis en place une ligne téléphonique à disposition des
acheteurs pour signaler un abus. Cette ligne téléphonique n’a jamais
été utilisée. Pareil au Danemark.
Un autre argument invoqué, surtout dans le milieu
universitaire, soutient que la prostitution est une question trop
compliquée pour uniquement l’aborder sous l’angle de la demande.
Pourquoi disais-je que cela est une discussion proprement
universitaire ? Parce qu’en fait, cela fait de la demande une
abstraction. Bien sûr que la prostitution n’est pas seulement liée à la
demande. Elle est aussi le fait des politiques économiques nationales et
internationales en matière de globalisation et donc aux crises
politiques et financières. Ou même des catastrophes naturelles, comme
aux Philippines, où la traite bat son plein en ce moment- ou encore
l’occupation militaire, dont les Etats-Unis sont grandement
responsables. Les stéréotypes et pratiques racistes et bien sûr,
l’inégalité structurelle entre les femmes et les hommes sont également
des facteurs. Mais le fait est qu’un système prostitutionnel sans
demande perdrait des millions et se casserait le nez.
Toujours est-il que dans la littérature académique –
dans le domaine des women’s studies particulièrement, avec lequel je
suis familière- peu de chercheur-e-s veulent conduire leurs études en
considérant la demande, à partir d’enquêtes réalisées auprès d’hommes
réels – et non d’après quelques supputations- qui ont accès au corps de
femmes tout aussi réelles.
Considérons à présent une autre raison avancée,
consistant à dire que pénaliser la demande conduit les femmes dans des
lieux clos inaccessibles et à la clandestinité. Et c’est un argument qui
fait son effet- en particulier dans certains cercles, puisqu’on a
tendance à penser que si l’on pénalise la demande, les prostitueurs ne
vont plus oser aller voir les femmes prostituées sur le trottoir. Mais
l’on doit se demander, concrètement, ce qu’est la clandestinité. Et
c’est un débat qui a largement été mené en Suède. Eh bien, cela signifie
que la prostitution a lieu dans des lieux clos, isolés ou sur internet.
Cela dit, le fait est que ces lieux supposément moins accessibles, ne
le sont pas plus que d’autres. Les acheteurs n’ont aucune difficulté
pour s’y rendre et la police pour les localiser, surtout sur internet.
On pourrait même aller jusqu’à dire que les publicités sur internet
rendent la prostitution d’autant plus visible.
Dans un rapport datant de 2010 initié par le conseil
national suédois évaluant les effets de la loi, il a été souligné que la
publicité sur internet en matière de prostitution facilitait le travail
de la police pour localiser les victimes et engager des poursuites
contre les trafiquants.
Aucune preuve non plus ne montre que le modèle
suédois a conduit à la migration de l’activité ; de même, selon les
associations de terrain, la très forte diminution de la prostitution de
rue n’a pas entrainé le déplacement de l’activité dans des lieux isolés
depuis l’application de la loi.
Notons, que la prostitution de rue ait prétendument
basculé dans des lieux clos est un argument largement utilisé par les
lobbies pro-prostitution. Mais il y a là une contradiction plus que
frappante. Il est intéressant que les opposants utilisent cet argument-
là contre le modèle suédois, lorsque ces mêmes groupes font la promotion
de la légalisation de la prostitution et de la décriminalisation de la
demande. Ils disent au contraire que les bordels assurent la sécurité
des femmes prostituées. Qu’est-ce que cela veut dire ? Il faut être
cohérent : soit les bordels rendent la prostitution plus dangereuse pour
les femmes prostituées, soit ils assurent leur sûreté. Et pourtant, ils
tiennent le double discours. Sans autre forme de procès. L’inclination
est très claire, l’objectif est justement de préserver l’impunité de la
demande et des acheteurs, d’agir dans leur intérêt en somme.
Dans le même esprit, l’on entend souvent qu’avant la
loi, les femmes prostituées avaient plus de temps avant de « conclure la
transaction » et voir s’il y avait un danger lorsqu’une voiture
s’arrêtait. Mais j’aime beaucoup citer Trisha Baptie ici, survivante de
la prostitution et journaliste, qui en réponse affirme que lorsqu’elle
était dans l’engrenage : « Je pouvais avoir cinq minutes. Deux minutes.
Dix minutes. Cela n’avait aucune sorte d’importance, c’était à la grâce
de Dieu. Aucune d’entre nous n’avait les moyens de savoir si cela allait
se passer comme d’habitude ou pire. » . Je pense que ce que les gens ne
savent pas, c’est que la possibilité pour les femmes dans les bordels
légaux des Pays-Bas, de l’Allemagne ou de l’Australie, et d’autres pays
où la prostitution est légalisée, d’être abusées et subir des dommages
est beaucoup plus élevée que là où la demande est pénalisée. C’est très
précisément la raison pour laquelle dans les pays où la prostitution est
organisée, les lobbies pro-prostitution ne cessent de publier des
manuels d’auto-défense qui indiquent aux femmes au sein même des bordels
légaux, comment éviter la violence des acheteurs.
Ils expliquent comment utiliser du matériel
spécifique contre les prostitueurs ou conseillent de garder un couteau
sous le lit au cas où. Je vous invite même à lire ces suggestions
d’auto-défense également présentes sur internet. Ces manuels ressemblent
à ce qu’une amie appelle « la gestion de crise en cas de prise
d’otage ». Tout cela pour dire que les risques sont inhérents à la
prostitution. Et les prostitueurs sont parties intégrantes de ces
risques. Ces manuels sont des preuves, ils témoignent des risques
constitutifs du système prostitutionnel, même dans les pays affirmant
que la légalisation rend la prostitution moins dangereuse. C’est faux.
Un tiers des bordels aux Pays-Bas ont dû être fermés à cause des crimes
organisés, et cela peu après l’adoption de la loi. En Australie, la
légalisation de la prostitution a justement conduit à une très forte
augmentation de la prostitution illégale. Si bien qu’aujourd’hui dans
l’Etat de Victoria, il y a trois fois plus de bordels illégaux que de
bordels légaux.
Les Pays-Bas ont mis en place des « zones de
tolérance », nous appelons cela plutôt des « zones sacrificielles » dans
les villes les plus importantes comme Amsterdam et Eindhoven. Celles-ci
ont aussi dû être fermées presqu’aussitôt qu’elles ont été ouvertes.
Les voitures se garaient dans ces zones de prostitution plus
‘informelles’ censées être sécurisées puisque surveillées par la police.
Et pourtant elles étaient des hauts lieux du crime organisé. C’est la
raison pour laquelle elles ont été fermés, mais également parce que les
femmes y subissaient couramment des viols. Et cela sous le regard même
de la police. C’est simple, plus la prostitution est organisée,
règlementée, légalisée, plus les femmes prostituées subissent des
violences.
Enfin, une autre rhétorique affirme que les femmes
prostituées ne veulent pas la pénalisation des acheteurs. Mais il faut
faire preuve de rigueur ici. Cela dépend clairement à qui la question
est posée : aux femmes se définissant comme « travailleuses du sexe »,
ou aux survivantes de la prostitution ? Et donc je pense que l’on
devrait débattre de cela, du fait que deux positions conflictuelles
s’affirment dans le débat et que toutes deux affirment avoir la
légitimité de l’expérience.
Les survivantes conçoivent la prostitution comme une
violation des droits humains des femmes, comme une forme de violence
contre les femmes. Elles maintiennent ainsi que la protection des femmes
prostituées passe par la criminalisation de la demande et des
prostitueurs, ainsi que par l’accompagnement des victimes grâce à des
programmes de sortie de la prostitution. Cela signifie mettre en place
des alternatives.
La seconde position, beaucoup plus relayée, est celle
desdites « travailleuses du sexe » et leurs alliés, qui ‘glamourisent’
la prostitution, la rendent ‘sexy’ et par conséquent, sont d’autant plus
présent-e-s dans les médias- et dont les lobbies bénéficient de
financements importants comparés aux associations abolitionnistes.
Pour donner un exemple, aux Etats-Unis il y avait un
groupe nommé « Les Coyotes »* , que vous connaissez probablement – l’un
des groupes les plus influents prétendant agir dans l’intérêt des femmes
prostituées. Mais « Les Coyotes » faisaient de la communication et ne
pourvoyaient aucun service, ni même du thé ou du café aux femmes
prostituées, rien du tout. Au lieu de cela, ils faisaient de la
prostitution une activité ‘sexy’ pour attirer les médias. Et pendant des
années et des années, l’on entendait plus que « Les Coyotes » en
matière de prostitution. Ce lobbie a fait campagne en faveur de
l’industrie pornographique, ils sont même allés devant les tribunaux en
soutien aux pornographes. Mais ils se sont pourtant auto-proclamés
défenseur de la prostitution et donc –selon eux- des femmes prostituées.
Après quelques recherches, nous avons découvert que
contrairement à ce qu’ils affirmaient, les « Coyotes » n’avaient jamais
reçu de cotisation de la part des femmes prostituées. Cela a été
publiquement dénoncé, et ils ont dû le reconnaître.
En conséquence, je pense sincèrement que ce que nous
devons faire, c’est de diffuser la parole des survivantes de la
prostitution, et cela massivement. Car elles sont la voix de
« l’expérience », elles sont celles qui savent de quoi elles parlent.
Elles n’essaient pas de rendre la prostitution ‘sexy’ pour attirer les
médias.
C’est ce que nous avons essayé de faire quelques
années plus tôt. Nous avons organisé une conférence où intervenaient les
survivantes de la prostitution au Parlement Européen. Vous pouvez
trouver le document intitulé « Le manifeste des survivantes » construit
sur le même modèle que celui des Philippines, rédigé par 75 femmes dans
la prostitution. Ce manifeste affirmait que la prostitution n’est pas un
travail du sexe. la traite ne relève pas de la libre circulation des
travailleuses. Le manifeste encourageait les gouvernements à arrêter la
légalisation de la prostitution, soit d’accorder aux proxénètes et
prostitueurs la permission légale de vendre et d’acheter des femmes. Et
depuis, au Canada par exemple, les blogs se sont multipliés, accueillant
la parole des survivantes. Récemment, les survivantes de la
prostitution ont été auditionnées pendant l’affaire Bedford.
C’est à cela que nous devons porter notre attention,
précisément à cause de la perversion de la réalité par ces groupes
auto-proclamés « travailleuses du sexe ». Et beaucoup de femmes
utilisent ce terme, ce n’est pas seulement cela qui est déplorable. Ce
qui est condamnable en revanche, c’est lorsque ces groupes apportent
clairement leur soutien à l’industrie du sexe. C’est monnaie-courante et
nous devons en parler et le souligner très sérieusement.
Pour ce faire, j’insiste une fois encore, il faut diffuser et rendre audible le plus possible la parole des survivantes.
Un dernier aspect que j’aimerais aborder, c’est
l’argument selon lequel la pénalisation des prostitueurs porte préjudice
à leurs épouses et enfants, lorsque cela est rendu public à la famille
par l’arrestation et les sanctions. Moi je pose la question,
sincèrement, en quoi faire en sorte que l’achat du corps des femmes par
les prostitueurs reste secret protège-t-il leurs épouses et leurs
enfants ? Enfin, c’est une question de bon sens. Les femmes ont bien le
droit de savoir ce que font leurs époux ou conjoints, qui se trouvent
être également leurs partenaires sexuels et sont donc exposées aux
risques de contamination par une MST. Cet argument ne tient pas une
minute la route. Et c’est un paradoxe assez frappant de la part des
groupes dits « pro-sexe », de faire usage sans arrêt de ce prétexte
suggérant qu’en pénalisant les hommes, on pénaliserait d’une manière ou
d’une autre les femmes.
Enfin, je voudrais m’arrêter quelques minutes sur le
modèle sud-coréen, car l’on a toujours tendance à prendre les pays
occidentaux comme exemples- mais celui-ci présente des aspects
intéressants. Vous avez certainement entendu parler du modèle nordique,
mais peu ou moins du modèle sud-coréen. En fait, en 2004, la République
sud-coréenne a adopté une loi intitulée « la loi tolérance-zéro » dont
l’un des objectifs était de pénaliser l’achat prostitutionnel. Une des
mesures clés fut de consacrer un budget important pour l’assistance des
femmes prostituées. Lorsque j’ai rencontré le personnel des services
d’accompagnent, celui-ci m’a fait savoir qu’une de ses plus grande
satisfaction était de constater l’efficacité du programme d’assistance,
puisque le nombre de femmes dans la prostitution avait diminué de 56%
quelques années après l’adoption de la loi-selon l’étude menée par le
ministère de l’égalité femme-homme en Corée du sud. De même qu’à
l’échelle régionale, la prostitution avait largement été endiguée.
Qu’est-ce qui a conduit à de tels résultats ? Le
financement par le gouvernement des programmes de sorties de la
prostitution- consistant à conseiller les femmes, les former pour
qu’elles trouvent un emploi, leur permettre d’avoir accès à des soins
médicaux, ainsi qu’une indemnité mensuelle et une assistance juridique.
Pour avoir accès à cela, les femmes – grâce au suivi préalable des
services de réinsertion- devaient témoigner des violences subies,
manifester des signes d’addiction à la drogue et/ou être mineures. Des
milliers de femmes ont eu recours à ce programme. Mais bien sûr, son
succès est essentiellement lié au fait que la loi sanctionnait l’achat
du corps des femmes. Les prostitueurs pouvaient ainsi encourir jusqu’à
un an de prison et une amande de plus de 2000 dollars. Le ministère de
l’égalité femme-homme a également interrogé des prostitueurs, à la suite
de quoi ceux-ci ne l’étaient plus, puisqu’avaient arrêté l’achat de
services sexuels depuis la mise en application de la loi.
Plus important encore, les groupes de femmes et
survivantes m’ont également affirmé que – je cite – « les survivantes de
la prostitution considèrent qu’il s’agit là comme d’un miracle : les
femmes peuvent sortir de la prostitution grâce à la protection de la
loi. Celles qui croyaient être exclues socialement et politiquement,
bénéficient d’une protection législative telle, que la loi punit
conséquemment ceux qui l’enfreignent car pensent être au-dessus d’elle.
C’est cela qui constitue un réel pouvoir pour les femmes dans la
prostitution. ». Voilà le retour qu’ont eu les associations féministes
de la loi abolitionniste, de la part des femmes prostituées et
survivantes. Enfin, les hommes qui abusaient d’elles pouvaient encourir
des sanctions.
Je terminerai en vous informant qu’après de longs
débats-vous êtes peut-être déjà au courant-, les parlements français et
irlandais ont soumis une proposition de loi en faveur de la pénalisation
des prostitueurs. La semaine prochaine aura lieu à l’Assemblée
Nationale française le vote de la loi abolitionniste, prévoyant lé
pénalisation des acheteurs, la dépénalisation du délit de racolage, la
mise en place de services de protection et d’assistance. Cette
proposition de loi a été émise par la gauche -les groupes socialistes et
communistes- donc on ne peut pas dire qu’elle soit le fait de religieux
moralistes. Nous espérons ainsi que la loi sera votée et que cela
s’étendra à plusieurs pays en Europe, pour que les pays scandinaves ne
soit plus les seuls à bénéficier de cette loi.
Je ne dis pas pour autant que les lois pénalisant les
acheteurs soient parfaites. Je ne dis pas non plus que la loi est la
seule solution. Mais en même temps, la loi est plus que la loi. Elle
marque l’inclination de tout un pays au regard des préjudices que
peuvent subir les femmes. Elle indique clairement que dans tel ou tel
pays, les femmes ne sont pas à vendre, ni à acheter. La loi a une
fonction normative importante : elle montre que la prostitution n’est
pas inévitable, et institue la responsabilité juridique des acheteurs.
Ces lois sont certes modestes, elles font de l’achat prostitutionnel un
délit et non un crime. Mais elles envoient un message très puissant :
l’achat du corps des femmes et des enfants ne sera en aucun cas toléré.
Je vous remercie pour votre attention.Janice Raymond, 30/11/2013.
* C.O.Y.O.T.E cf http://beyourownwomon.wordpress.com/a-propos/
© Women’s liberation without borders 2014
http://beyourownwomon.wordpress.com/2013/11/30/le-29-novembre-2013-la-france-vote-labolition1/
‘Amicale proxène et féminicides’- Christine Gamita.
Proposition de loi renforçant la lute contre le système prostitutionnel.
Source : http://beyourownwomon.wordpress.com/2014/07/26/la-prostitution-ni-un-metier-ni-un-choix/
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