La guerre de l’industrie du sexe contre les féministes
Affiché sur Truthdig le 3 juin 2015
Par Meghan Murphy
Original : http://www.truthdig.com/report/item/the_sex_industrys_attack_on_feminists_20150529
Traduction : TRADFEM
Copyright : Meghan Murphy, juin 2015
Source : https://ressourcesprostitution.wordpress.com/2015/06/09/la-guerre-de-lindustrie-du-sexe-contre-les-feministes/
Affiché sur Truthdig le 3 juin 2015
Par Meghan Murphy
Les pornographes ont toujours défendu les productions
et les pratiques de leur industrie extrêmement rentable comme de la
« liberté d’expression », même si celles-ci sexualisaient le pouvoir
masculin et la violence contre les femmes. De même, les défenseurs de la
prostitution, qu’ils qualifient stratégiquement de « travail du sexe »,
présentent comme libérateur le mouvement visant à la faire légaliser et
normaliser.
Mais ces groupes n’appuient la libre parole et la
liberté que dans la mesure où elles servent leurs intérêts. Les
personnes qui s’expriment contre l’industrie du sexe sont exclues de
leur version de la « liberté ».
Nous en avons vu la preuve au mois de mars, quand un
certain nombre de lobbies pro-prostitution ont menacé de boycotter une
conférence organisée à Vancouver, en Colombie-Britannique, qui avait
obtenu la présence du célèbre journaliste et chroniqueur de Truthdig
Chris Hedges comme conférencier principal. Parce que Hedges avait rédigé
un article appelant la prostitution « l’expression par excellence du
capitalisme mondial », ces groupes ont tenté de le faire retirer du
programme, et leurs efforts auraient réussi, n’eût été la réaction
passionnée de groupes féministes locaux.
Les campagnes de diffamation contre les féministes et
leurs alliés qui osent dire la vérité sur la violence et le pouvoir
masculins ne sont pas chose nouvelle. Dans les années 1990, les
pornographes ont lancé une campagne contre la professeure Catharine
Mackinnon et l’écrivaine féministe Andrea Dworkin, en les comparant à
des nazis et les accusant de d’attenter à la liberté d’expression. En
fait, l’ordonnance anti-pornographie qu’elles avaient rédigée à
Minneapolis en 1983 pour définir la pornographie comme une violation des
droits civils de femmes n’était pas une tentative de censure d’un
discours, mais un effort pour remédier aux torts fait aux femmes par
l’industrie pornographique.
Un mouvement dit des « droits des travailleurs du
sexe » a été inventé pour contrer, aux yeux d’un public progressiste
bien intentionné, les féministes qui voyaient la prostitution comme une
extension et une perpétuation du pouvoir et de la violence des hommes.
Le lobby de la prostitution a adopté le vocabulaire du mouvement
syndical afin de plaider pour les droits des hommes à ouvrir des bordels
et acheter le sexe des femmes. Il a également adopté le vocabulaire du
mouvement féministe pour présenter la prostitution comme un choix des
femmes.
Ces lobbyistes ont de leur côté les médias, les
proxénètes et les clients prostitueurs. Les intérêts capitalistes des
médias de masse les amènent à présenter la pornographie et la
prostitution comme de simples entreprises commerciales, et leurs bases
patriarcales signifient que l’idée des corps féminins comme objets à
consommer est acceptée comme la norme.
Au cours des dernières années, l’industrie du sexe a
travaillé aux côtés des médias à décontextualiser complètement notre
vision du système prostitutionnel. Cette approche néolibérale fait
partie d’un effort continu pour affaiblir les mouvements qui remettent
en question les systèmes de pouvoir : si nous ne sommes toutes et tous
que des individus, travaillant à notre émancipation personnelle et donc
seul.e.s responsables de nos propres « succès » et « échecs », alors il
est inutile de s’organiser collectivement. C’est ce que voulait dire
Margaret Thatcher quand elle a affirmé qu’il n’existait rien de tel que
la société, mais seulement des personnes qui devaient veiller avant tout
à leurs intérêts personnels.
En présentant un système qui conduit à la
prostitution les femmes – et particulièrement les femmes marginalisées –
comme non seulement un choix des femmes, mais un choix potentiellement
libérateur, ces groupes arrivent à dissimuler la façon dont la
pornographie renforce le pouvoir masculin, en désignant les femmes comme
responsables de leur propre subordination. En présentant comme un
empowerment (autonomisation) les pressions sociales qui poussent les
femmes à l’auto-objectivation, la société se permet de faire l’impasse
sur ce pour quoi les femmes apprennent à chercher du pouvoir dans la
sexualisation et le regard masculin. En ne mettant l’accent que sur ce
que font les femmes, nous passons sous silence le comportement des
hommes.
Car ce que défendent réellement les groupes qui
prétendent militer pour les « droits des travailleuses du sexe » n’est
pas, en fait, les droits humains des femmes, mais les intérêts
financiers et sexuels de certains hommes. Voilà pourquoi leur discours
évite délibérément de parler des préjudices causés par ces hommes.
La campagne visant à présenter le lobby
pro-prostitution comme une militance communautaire de soutien à des
femmes marginalisées a connu un vif succès. En ignorant la dynamique de
pouvoir inhérente au fait pour un homme de payer une femme pour des
actes sexuels, et en limitant le débat à un prétendu choix des femmes,
celles qui pourraient se considérer comme féministes sont acculées à un
dilemme : « Est-ce que je soutiens le droit des femmes de choisir ? » La
réponse évidente est oui. Mais cette question est trompeuse. La
véritable question est, plutôt, « Est-ce que je soutiens le droit des
femmes pauvres et marginalisées à une meilleure vie que celle que leur
offrent des hommes exploiteurs ? »
Même si le discours manipulateur conçu pour séduire
les masses libérales forme une très grande part du plaidoyer visant à
faire dépénaliser proxénètes et clients prostitueurs, un autre élément
clé de ce langage est la diffamation des féministes qui contestent ce
discours.
Les partisans de l’industrie ne reculent devant rien
pour silencier les voix de celles qui contestent publiquement leurs
intérêts. En plus de les qualifier de prudes, d’intégristes, et de les
accuser d’intolérance et d’oppression, la guerre contre ces féministes a
récemment conduit à des efforts généralisés pour expulser les
dissidentes de la place publique.
Quand la journaliste d’enquête et autrice suédoise
Kajsa Ekis Ekman a été invitée à prendre la parole à Londres l’année
dernière à propos de son livre L’être et la marchandise : prostitution,
maternité de substitution et dissociation de soi, la librairie où s’est
tenu cet événement a été menacée de boycott.
Le climat actuel du féminisme anglo-saxon relève de
la chasse aux sorcières, m’a dit Ekman. Ce genre de chasse aux sorcières
débute par « des campagnes de diffamation présentées comme venant de
‘la base’ et traite les féministes connues d’’arrivistes’, ‘élitistes’,
‘cis-sexistes’, ‘racistes’ et ‘putophobes’, » précise-t-elle. « Cela
vire ensuite à des campagnes de censure tous azimuts, des menaces de
boycott, des pétitions, l’isolement de toute personne qui prend parti
pour la féministe attaquée et une culpabilisation par association. »
En 2003, Melissa Farley, psychologue clinicienne et
fondatrice de l’organisme sans but lucratif Prostitution Research &
Education, a mené une étude en Nouvelle-Zélande sur la violence et le
trouble de stress post-traumatique vécus par les personnes prostituées,
pour ensuite témoigner du contenu de ces entrevues devant la législature
néo-zélandaise. Un partisan local de la prostitution a contesté sa
recherche, allant jusqu’à déposer une plainte contre elle auprès de
l’American Psychological Association (APA). Cette plainte a été ignorée
par l’APA et rejetée comme dilatoire par les pairs de Mme Farley. Mais
elle est constamment présentée comme légitime par le lobby de la
prostitution, et utilisée comme excuse pour inciter d’autres personnes à
rejeter ces recherches approfondies et éclairantes.
Julie Bindel, une journaliste féministe qui couvre
depuis des années l’industrie internationale du sexe, a révélé que
l’International Union of Sex Workers était à peine plus qu’une courroie
de transmission pour des proxénètes et des propriétaires de maisons
closes. Elle a également fait rapport des graves défaillances du système
prostitutionnel légalisé à Amsterdam. Mais en mars, à la suite de
plaintes de groupes associés au lobby de la prostitution, elle a été
écartée d’un forum de discussion d’un film américain sur la
prostitution.
Les survivantes de la prostitution font également
face à des tactiques de censure. La Canadienne Bridget Perrier,
formatrice issue des Premières nations et cofondatrice de Sextrade 101,
un groupe abolitionniste torontois composé de survivantes du commerce du
sexe, a déclaré que les efforts du lobby pro-prostitution visaient à
invalider le vécu des femmes ayant quitté l’industrie. Leurs témoignages
sont souvent remis en question.
Rachel Moran a survécu à sept ans dans le commerce du
sexe en Irlande et a publié un livre sur son vécu, où elle réfute
nombre des mythes et mensonges perpétués par le lobby du « travail du
sexe ». Pour ce crime – avoir écrit la vérité –, elle a dû vivre un
harcèlement constant, en étant accusée plus d’une fois d’avoir inventé
son histoire de toutes pièces.
« J’ai été diffamée, calomniée, menacée, agressée
physiquement et on m’a crié dessus », m’a dit Moran. « J’ai vu mon
adresse privée, mes coordonnées bancaires et mon courrier personnel
diffusés auprès de personnes manifestement déséquilibrées, qui m’ont
envoyé sur Twitter des éléments de mon adresse pour me laisser
clairement entendre qu’elles savent où me trouver. »
Elle ajoute : « Certains prétendent continuellement
que je n’ai jamais été dans la prostitution, même si des documents en
faisant preuve figurent dans les livres des services sociaux irlandais
et au Tribunal de la jeunesse de Dublin. »
Le déni des vérités susceptibles d’entraver les
efforts pour présenter une version aseptisée de l’industrie du sexe,
afin de vendre la prostitution comme « un simple métier comme un
autre », est un élément crucial de la campagne visant à la faire
légaliser.
Moran m’a dit être scandalisée par le manque de
compassion à son égard de la part des partisans de l’industrie du sexe
qui prétendent avoir à cœur la sécurité des femmes. « Ils se foutent
carrément du fait de bâtir une campagne d’intimidation délibérée et
organisée contre une femme qui a été rituellement agressée sexuellement
par des hommes adultes depuis l’âge de 15 ans », dit-elle. « Comme ma
vérité ne leur convient pas, ma vérité doit être réduite au silence. »
En désespoir de cause, parce qu’ils sont incapables
et indésireux de répondre à des arguments féministes et socialistes de
base contre l’industrie du sexe – à savoir qu’elle se fonde sur le
pouvoir des hommes et le capitalisme, qu’elle perpétue des notions
misogynes sur les « besoins » des hommes et les corps des femmes comme
objets existant pour satisfaire ces désirs socialisés –, ces groupes de
pression se rabattent sur des mensonges et des calomnies.
Ces groupes tentent de faire passer leurs campagnes
de diffamation comme de la « critique », mais c’est tout sauf cela.
Kajsa Ekman, la journaliste suédoise, a déclaré. « Ce qui se passe
actuellement n’est pas de la critique. Cela ressemble plutôt au
déchaînement de la révolution culturelle maoïste. »
« Si vous êtes une féministe de premier plan, vous
n’y échapperez pas », a-t-elle poursuivi. « Si vous n’avez pas encore
été ciblée, soit vous le serez, soit vous n’êtes pas suffisamment
dangereuse à leurs yeux. »
J’écris depuis plusieurs années à propos de
l’industrie du sexe et des lois sur la prostitution au Canada. Les
attaques portant sur mes valeurs personnelles et mon travail n’ont
jamais cessé. Ces dernières semaines, plusieurs groupes de pression
canadiens liés à l’industrie du sexe ont monté une grande campagne de
diffamation en ligne, en présentant mes arguments contre
l’objectivation, l’exploitation et la maltraitance des femmes comme du
« fanatisme » et en trafiquant délibérément mon travail et mes opinions
au-delà de toute reconnaissance.
Les accusations absurdes et sans fondement lancées
contre moi – on m’a traitée de « transphobe », de « putophobe » et de
raciste – reprennent celles utilisées contre toutes les femmes qui
remettent en question le statu quo de cette façon. Leur objectif n’est
pas d’établir la justice, mais de diffamer les féministes pour que leurs
arguments puissent être ignorés et rejetés et pour intimider d’autres
personnes à faire de même. La seule chose qu’ils ne mentionnent jamais
est la réalité concrète du système prostitutionnel.
Les femmes prostituées sont 18 fois plus susceptibles
d’être tuées que la population générale, et les hommes responsables de
ces agressions sont beaucoup moins susceptibles d’être condamnés lorsque
leur victime est une femme prostituée. Au Canada, les femmes
autochtones sont surreprésentées dans la prostitution et connaissent des
taux plus élevés de violence que les femmes non autochtones, en
général. La légalisation ne s’est pas avérée être une solution à
l’exploitation, la violence et les abus.
Les individus et les groupes du lobby
pro-prostitution tentent de récupérer les luttes des personnes
marginalisées pour défendre une industrie multimilliardaire qui s’empare
des vies et de l’humanité de milliers de femmes et de filles à travers
le monde chaque année. Plutôt que de laisser des dissidentes menacer
leurs intérêts avec des mots et des arguments, ils se livrent à des
tactiques sournoises pour faire taire les journalistes et autrices
féministes indépendantes. Ils présentent nos paroles comme de la
« violence », mais ne font rien pour lutter contre les auteurs de
violences réelles. Ces groupes n’ont jamais participé à une campagne
publique contre un homme violent, jamais signé une pétition pour faire
congédier un prostitueur violent, jamais traité d’« intolérants » les
gens qui poussent les filles dans des maisons closes ou sur les
trottoirs. Leurs cibles ne sont pas le grand capitalisme ou les
trafiquants sexuels. Ce ne sont pas les princes du porno ou les
propriétaires violents de bordels. Non, leurs cibles sont les
féministes.
Dans son essai « Le libéralisme et la mort du
féminisme »[i], Mackinnon écrit : « Il y a déjà existé un mouvement
féministe », un mouvement qui comprenait que de critiquer des pratiques
comme le viol, l’inceste, la prostitution et la violence n’équivalait
pas à critiquer les victimes de ces agressions. « C’était un mouvement
qui savait que lorsque des conditions matérielles empêchent 99 pour cent
de vos choix, il est insensé d’appeler le un pour cent qui reste – ce
que vous faites – votre choix. » Elle a écrit ces mots il y a 25 ans,
mais nous en sommes encore aux mêmes batailles. Aujourd’hui, le fait de
dénoncer les systèmes patriarcaux signifie que vos moyens de subsistance
seront menacés, ainsi que votre crédibilité et votre liberté de parole.
Vous ne pouvez pas prétendre être progressiste tout
en militant contre la démocratie. Vous ne pouvez pas prétendre être
féministe tout en appuyant la censure de femmes. Ce nouveau maccarthysme
ne nous libérera pas. Il nous met à la merci de ceux qui travaillent à
notre disparition.
Meghan Murphy est une autrice et journaliste canadienne de Vancouver, Colombie-Britannique. Son site Web est FeministCurrent.comOriginal : http://www.truthdig.com/report/item/the_sex_industrys_attack_on_feminists_20150529
Traduction : TRADFEM
Copyright : Meghan Murphy, juin 2015
Source : https://ressourcesprostitution.wordpress.com/2015/06/09/la-guerre-de-lindustrie-du-sexe-contre-les-feministes/
Commentaires
Enregistrer un commentaire