par Rebecca Mott
Discours de Rebecca Mott à la Feminism in London’s Conference 2015
« C’est vraiment formidable de prendre la parole ici. Je suis épatée par le travail acharné et le dévouement qui ont rendu possible cet événement.
Version originale : https://ressourcesprostitution.wordpress.com/2015/10/26/i-survived-prostitution-by-killing-all-my-emotions-painted-on-the-happy-hooker-smile-learned-to-fake-orgasms/
Version française : TRADFEM (tous droits réservés à Rebecca Mott)
https://ressourcesprostitution.wordpress.com/2015/11/23/jai-survecu-a-la-prostitution-en-tuant-toutes-mes-emotions/
Discours de Rebecca Mott à la Feminism in London’s Conference 2015
« C’est vraiment formidable de prendre la parole ici. Je suis épatée par le travail acharné et le dévouement qui ont rendu possible cet événement.
J’ai hésité à l’idée de venir. C’est que je trouve le
féminisme moderne bien neo libéral, et bien confortable avec le langage
antiabolitionniste. Mais je suis fière d’être ici – parce que cette
conférence a pris une position forte en appui au modèle nordique, et
qu’elle a affirmé clairement qu’il n’était pas question de débattre avec
le lobby de l’industrie du sexe.
Je parle en tant que femme radicale qui est sortie de
ce milieu, et qui ne peut pas débattre quand je vois et je sais qu’un
génocide constant de la classe prostituée est normalisé. C’est un
génocide qui est rendu invisible par les profiteurs de l’industrie du
sexe, qui veulent remplacer les prostituées mortes ou mises au rebut par
des femmes et des filles encore plus vulnérables.
Si je me bats avec autant d’acharnement, c’est pour
affronter la source de ce génocide – pour interpeller les créateurs de
ce génocide, et ceux qui s’enrichissent à occulter cette horreur.
Dans tous les cas, il faut savoir que la
source de cette haine et de violence envers les personnes mises en
prostitution est la demande masculine ; ses créateurs sont ceux qui
alimentent cette demande et qui en tirent profit. Voilà
pourquoi moi et d’autres femmes qui y ont échappé endossons totalement
l’approche nordique comme une première étape visant à obtenir des droits
complets et la dignité pour toutes les personnes prostituées.
Nous devons continuer à braquer nos feux sur
cette demande masculine, et à construire une culture où il devient
normal qu’aucun homme n’ait le droit de consommer d’autres personnes
pour sa simple cupidité sexuelle et ses fantasmes pornographiques.
Nous devons comprendre que notre objectif est
combattu par le lobby de l’industrie du sexe qui insiste que tout se
ramène aux choix individuels des femmes prostituées, ou qu’on devrait en
parler en termes d’agentivité ou d’empowerment.
Si nous voulons de véritables changements, nous
devons savoir que les droits que s’arrogent les hommes sont au cœur du
problème. Mais aucun orgasme masculin n’est plus important que les
droits humains fondamentaux des personnes prostituées.
Le micheton fait le choix de consommer celles-ci en
sachant très bien qu’il a la permission complète d’être aussi violent
qu’il peut l’imaginer. La plupart des prostitueurs consomment de la
pornographie, et utilisent la prostituée comme leur joujou porno
personnel. Cela signifie qu’ils vont la torturer, ils vont la violer,
seuls ou en bande, ils vont la menacer – et ils iront même parfois
jusqu’à l’assassiner.
Pour le prostitueur, toute forme de violence qu’il
exerce n’est pas de la vraie violence – car il considère la prostituée
comme sous-humaine, comme une marchandise sexuelle.
Ainsi, il n’arrive rien à personne.
Les prostitueurs sont autorisés à vivre dans cette bulle, parce
que nous permettons au lobbyistes pro-prostitution de contrôler la
langue, l’imaginaire et la culture quant à ce qu’il est permis de dire
de la prostitution.
Je déteste le terme « travail du sexe ». C’est un
mensonge. C’est une violence mentale pour celles d’entre nous dont la
réalité d’avoir été prostituée est inscrite dans chaque cellule de notre
corps. C’est une formule qui gomme la violence masculine, qui gomme la
structure du commerce du sexe, et gomme tout accès aux droits humains
pour les personnes mises en prostitution. Il existe d’autres formules
mensongères pour qualifier la prostitution : l’empowerment, le libre
choix et la libération féminine. Ces termes sont utilisés pour occulter
le commerce du sexe, en le faisant apparaître comme de gauche ou même
féministe. Ils cachent le fait que la prostitution est la forme la plus
dépravée du capitalisme que l’homme n’ait jamais inventée.
Tout ce qui compte pour le commerce du sexe est de
faire des profits énormes – ces gens-là se foutent de la sécurité, des
droits humains ou de la dignité des personnes mises en prostitution.
Pour comprendre la prostitution, vous devez voir de
l’intérieur ce que c’est que d’être prostituée. Pour cela, je vais
parler de ma personne – sans perdre de vue que ce que j’ai cru être de
ma faute est pratique courante dans la prostitution vécue derrière des
portes closes.
J’étais incapable de réaliser ma propre réalité.
Comme tant de femmes aujourd’hui prostituées, je tenais le discours de
l’empowerment, je prétendais contrôler les clients, et être satisfaite.
Je ne pouvais admettre ma réalité – une réalité de violence constante,
une réalité de viol après viol après viol, une réalité de suffocation
mentale. Comme un enfant, je pensais qu’en fermant les yeux assez fort,
toutes les mauvaises choses disparaîtraient.
Mais si vous m’aviez vu avec un regard clair, sans
vous contenter d’écouter mon discours, vous auriez vu que mes yeux
étaient morts ou vu dans ces yeux tant de douleur et de chagrin que des
mots ne pouvaient les contenir. Vous auriez aussi remarqué l’immobilité
de mon corps, comme celle d’un lapin mis en joue. Vous auriez vu que mon
discours résultait d’un gavage de violence masculine.
J’étais tombée dans la prostitution.
Mais j’avais 14 ans, et j’avais vécu avec la violence
mentale et sexuelle avant même de savoir parler. Les seules émotions où
je pouvais me reconnaître étaient la haine de soi et une fureur sans
mots.
Si vous voyez ça comme un libre choix, vous vivez sur une autre planète que la mienne.
J’ai survécu à la prostitution en tuant toutes mes
émotions. J’ai assassiné toutes les expressions de douleur, de détresse
ou de confusion. Je ne pouvais laisser pénétrer en moi la réalité de
comment on me rendait sous-humaine, de comment on m’achetait et on me
vendait aussi facilement qu’une miche de pain. J’ai fait de moi-même un
robot. Je me suis peint sur le visage un sourire à la Pretty Woman, j’ai
appris à simuler des orgasmes – et j’ai espéré finir assassinée. Ça me
semblait être la seule voie de sortie possible.
C’est ça la prostitution d’intérieur mise à nu – mais vraiment, c’est juste un petit aperçu de cet enfer.
La plupart des femmes qui en sont sorties vivent des
traumatismes complexes extrêmes. Elles ont habituellement besoin
d’environ 3-7 ans pour faire face à la réalité d’avoir été prostituées,
et de comment on les a rendues sous-humaines. Le traumatisme peut durer à
vie pour beaucoup de femmes qui en sont sorties : c’est une ombre qui
les suit.
Et c’est là que l’on peut constater le cynisme absolu
de l’industrie du sexe. Ils utilisent ces traumatismes pour attaquer
les femmes qui en sont sorties. Ils diront que nous sommes trop
endommagées ou trop malades psychologiquement pour connaître nos propres
réalités. Ils utilisent le fait que beaucoup de femmes qui en sont
sorties souffrent de souvenirs fragmentés pour dire que nous sommes
confuses ou des menteuses.
Ces attaques personnelles montrent la faiblesse de
leur point de vue – il est démontré que leurs « faits » ne tiennent pas
la route, quand ce ne sont pas de purs mensonges éhontés.
Essayez de garder l’esprit critique quand vous lisez ou écoutez le discours des lobbyistes pro-prostitution.
Pour terminer, je dirais : lisez et écoutez davantage
les femmes qui en sont sorties. Nous sommes porteuses de vérités
dangereuses – des vérités qui vont ébranler le socle de l’industrie du
sexe jusqu’à le réduire en poussière. Nos mots, nos vécus et notre
capacité à voir et à reconnaître certains liens – voilà l’explosif qui
instituera justice et droits humains pour l’ensemble des personnes
prostituées.
Version française : TRADFEM (tous droits réservés à Rebecca Mott)
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