Au sein du féminisme, la « putophobie » n’est pas un problème, contrairement au déni de la violence faite aux femmes.
Par Julie BINDEL, The INDEPENDENT, 15 mars 2017
Pour la suivre sur Twitter : @bindelj
VERSION ORIGINALE : http://www.independent.co.uk/voices/whorephobia-queer-feminism-fourth-wave-sex-work-prostitution-a7631706.html
TRADUCTION : TRADFEM pour le CRP.
Par Julie BINDEL, The INDEPENDENT, 15 mars 2017
La première fois que j’ai entendu l’expression
péjorative de « putophobie » – qui est censée désigner une haine ou une
stigmatisation des femmes prostituées –, c’était lors d’une conférence
en 2005 où je parlais des violences infligées aux femmes dans
l’industrie du sexe. Au cours de la séance de questions, une jeune
féministe m’a avisée que ma « putophobie » était un gros problème. « Les
féministes de la deuxième vague détestent les travailleuses du sexe,
m’a-t-elle appris. Votre politique est dépassée. »
Les accusations de « putophobie » servent de
plus en plus à faire taire et discréditer toute critique de l’industrie
du sexe. Ce point de vue est enchâssé dans des politiques universitaires
d’« espace sûr », où des étudiant.e.s tentent souvent de définir la
prostitution comme une identité sexuelle, plutôt que comme un traitement
imposé aux femmes les plus pauvres et les plus privées de droits de la
planète, sauf pour quelques exceptions hautement médiatisées, du genre
« Happy Hooker ».
Mais la prostitution n’est pas une sexualité. Il y a
une nette différence entre une préférence ou une identité sexuelle et la
prostitution (une forme de violence exercée par des hommes). Les
féministes radicales reconnaissent cette différence, mais pour celles
qui se qualifient de féministes de la troisième vague, tout cela se
confond dans un vaste amalgame, souvent « queer ».
L’idée que je ou toute autre féministe qui critique
l’industrie du sexe souffre d’une « peur irrationnelle » des femmes
prostituées est stupéfiante. L’utilisation du terme « pute » comme une
sorte d’emblème honorifique tordu pour décrire une femme prostituée est
tout à fait grotesque. Ce sont les hommes qui définissent qui est une
« pute », et les femmes ne peuvent récupérer un mot qui ne nous a jamais
appartenu au départ.
La prostitution m’a été décrite maintes et maintes
fois par les femmes qui y survivent comme un viol tarifé. Les hommes qui
paient pour du sexe achètent une subordination sexuelle. Si le
« consentement » doit être acheté, ce n’en est pas un. Aucune des
centaines de survivantes que j’ai rencontrées n’a échappé à de graves
formes de violence, d’agression et d’avilissement durant son séjour dans
la prostitution. Les dizaines de prostitueurs que j’ai interrogés ont
tous affiché des attitudes de mépris envers les femmes, et pourquoi ne
le feraient-ils pas ? Pour traiter une femme comme une marchandise, il
faut d’abord la déshumaniser.
Quand des féministes ont-elles commencé à appuyer les
structures et les pratiques mêmes qui sont à la fois une cause et une
conséquence de l’oppression des femmes ? Les jeunes féministes de la
troisième vague sont aujourd’hui plus susceptibles de s’indigner des
abolitionnistes qui font campagne pour mettre fin à l’industrie du sexe
que du proxénétisme et de l’achat de sexe. D’innombrables
universitaires, qui se qualifieraient tous et toutes de progressistes,
insistent pour présenter le « travail du sexe » comme un « empowerment »
et rien d’autre qu’un choix.
Alors que les féministes radicales reconnaissent les
femmes comme une classe sexuelle et cherchent à démanteler l’oppression
structurelle exercée par la domination masculine, les féministes dites
de la « troisième vague » ou « libérales » considèrent les femmes comme
des individus isolés aux choix purement individuels. Ces néo libérales
ont aussi tendance à mettre l’accent sur les choix prêtés aux femmes
plutôt que sur ceux qui leur sont refusés. C’est un argument politique
raffiné… mais dépourvu de raffinement ou de politique. Par contre,
facteur intéressant, qu’ils le reconnaissent ou non, les hommes sont,
eux, autorisés à faire cause commune : peu de choses rapprochent autant
les hommes que la violence qu’ils commettent contre les femmes.
Il n’est pas étonnant que les féministes qui
acquièrent à l’université leur formation politique soient aujourd’hui
imprégnées d’une culture politique néolibérale axée sur le « choix ». On
observe une hostilité ouverte des universitaires pro-prostitution
envers quiconque se démarque de cette ligne de parti. Ces universitaires
qui se font les promoteurs et promotrices de l’industrie sont loin
d’être des individus inoffensifs et inefficaces publiant dans leur tour
d’ivoire des documents que personne ne lit. Ce sont plutôt de
puissant.e.s activistes qui se servent de leurs postes universitaires et
de leurs titres de compétences pour influencer les politiques sociales
sur la prostitution à titre de membres d’organismes de recherche
nationaux et internationaux. Il est préoccupant que la recherche vouée à
l’idéologie de l’industrie plutôt qu’à des données empiriques fiables
au plan académique en vienne souvent à informer toute discussion, avec
des conséquences préjudiciables pour les femmes et les jeunes filles,
mais des bénéfices indéniables pour les profiteurs de ce régime de
violence.
Je viens de passer deux ans à fouiller intensivement
l’industrie mondiale du sexe en préparation de mon prochain livre, et
j’ai parcouru le monde entier pour interviewer près de 250 personnes.
J’ai parlé à des survivantes du commerce du sexe, à des activistes des
« droits des ‘travailleurs du sexe’ », à des proxénètes, des acheteurs
de sexe, ainsi qu’à des femmes et des hommes qui en vendent. Le
mouvement abolitionniste impulsé par des survivantes prend de
l’envergure, et un certain nombre de pays répondent positivement aux
appels à une pénalisation de ceux qui créent la demande de prostitution
plutôt que de celles qui y sont piégées.
Dans un monde où le corps des femmes et des
fillettes est considéré comme une marchandise à acheter et à vendre, il
est plus important que jamais de résister à la croissance d’un tel
marché de la misère humaine et à tenir tête à ceux et celles qui luttent
pour le « droit » des femmes à être violentées.
Julie Bindel est journaliste, écrivaine, chercheure
et grand reporter. Elle enquête sur l’industrie du sexe depuis plus de
30 ans et travaille sur les violences faites aux femmes depuis 1979.
Son site internet : https://www.byline.com/journalist/juliebindel/biographyPour la suivre sur Twitter : @bindelj
VERSION ORIGINALE : http://www.independent.co.uk/voices/whorephobia-queer-feminism-fourth-wave-sex-work-prostitution-a7631706.html
TRADUCTION : TRADFEM pour le CRP.
Commentaires
Enregistrer un commentaire