Par Yeun L-Y
Un grand rassemblement contre le système
prostitutionnel se tenait à Paris le 13 avril, afin de consolider la
perspective abolitionniste dans laquelle plus de 50 associations de
l’hexagone sont engagées. Le livre de la suédoise Kajsa Ekis Ekman,
publié chez M éditeur, s’inscrit parfaitement dans cette dynamique.
L’être et la marchandise – prostitution, maternité de
substitution et dissociation de soi, n’est pas un exercice de style
produit par quelque universitaire au cerveau postmoderne. Ce n’est pas
non plus une apologie libertarienne de la diversité sexuelle qui
finalement empêche tout questionnement sur la sexualité. C’est au
contraire le livre d’une journaliste anarcha-féministe, un réquisitoire
riche et perspicace contre l’exploitation présente dans les 2 métiers
les plus modernes offerts aux femmes : la prostitution et la maternité
de substitution ou Gestation Pour Autrui (GPA).
Pourquoi, en matière de prostitution, une partie de
la gauche en arrive-t-elle à s’aligner sur les propositions de
l’Organisation Internationale du Travail ou du lobby des proxénètes ?
Pourquoi en arrive-t-elle à vouloir étendre les possibilités du marché ?
Comment l’injonction faite aux femmes de se dissocier d’elles-mêmes et
de s’oublier serait-elle, selon certaines personnes, une attaque contre
l’ordre patriarcal et capitaliste ? C’est à ce type de questions que
Kajsa Ekis Ekman répond à travers une enquête menée à l’échelle
internationale. Elle nous propose une analyse qui permet d’éviter les
faux débats habituels comme « sujet » contre « victime » ou « activité
choisie » contre « activité subie ».
Mettre fin à l’évidence du corps à vendre
L’auteure déconstruit avec force les discours
pro-prostitution et pro-maternité de substitution. Elle traque les
contradictions, les procédés manipulatoires et les mythes. Et on
découvre chez certains chercheurs, bien évidemment neutres et objectifs,
des mesquineries méthodologiques assez effarantes. C’est le cas, par
exemple chez C. Ryan et M. C. Hall, avec le supposé « potentiel
révolutionnaire » qu’ils imaginent dans la rencontre entre la femme
thaïlandaise et le touriste occidental. Avec des vues pareilles, le
monde risque de changer, sûr !
Kajsa Ekis Ekman montre aussi par quels procédés la
parole des personnes prostituées est sélectionnée ou détournée, comment
les structures sociales pèsent sur les parcours de vie des « mères
porteuses ». Et surtout elle questionne la place respective des hommes
et des femmes dans la prostitution et la maternité de substitution : 98%
des victimes de la traite à des fin de prostitution sont des femmes,
89% des prostituées désirent quitter la prostitution, les femmes qui se
donnent lors d’une GPA n’appartiennent évidemment pas aux classes
supérieures et ce n’est pas le hasard qui pousse les couples occidentaux
vers l’Inde pour obtenir une GPA ; GPA qui n’est autre qu’une
marchandisation-exploitation des femmes et un « commerce de bébés ».
« Jamais jusque-là, le désir de dissocier la « pute »
de la « Madone » n’avait autant imprimé de son empreinte la géographie
physique même de la terre. La Thaïlande est devenue fournisseuse de
femmes et de filles pour l’industrie du sexe ; l’Inde est, quand à elle,
fournisseuse de femmes pour les enfants d’autrui. La civilisation est
façonnée, littéralement, à l’image de l’homme. »
Nous nous dirigeons vers la contre-utopie décrite par
Margaret Atwood dans son roman La servante écarlate ; véritable 1984
féministe dans lequel chaque femme est assignée à une fonction pour les
hommes. Le livre de Kajsa Ekis Ekman est important car il nous aide à
changer de cap.
Difficile d’entendre après un tel ouvrage que les
féministes n’articulent pas la critique du patriarcat avec celle du
capitalisme.
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