En instaurant un premier « quartier rouge » au Royaume-Uni, le conseil municipal de Leeds traite avec cruauté la prostitution et la violence
En
instaurant un premier « quartier rouge » au Royaume-Uni, le conseil
municipal de Leeds traite avec cruauté la prostitution et la violence
Par Taina Bien-Aimé, directrice générale de la Coalition contre la traite des femmes
(CATW), le 8 février 2016
Version originale : http://www.huffingtonpost.co.uk/taina-bienaime/leeds-cruel-solution-to-p_b_9172088.html
Par Taina Bien-Aimé, directrice générale de la Coalition contre la traite des femmes
(CATW), le 8 février 2016
Par une journée d’hiver ordinaire de 2014,
l’eurodéputée Mary Honeyball a amené ses collègues du Parlement européen
à adopter une résolution innovatrice appelant les États membres à
revoir leurs politiques sur l’exploitation sexuelle, la prostitution et
son impact sur l’égalité des sexes. Cette mesure avait pour objectif,
décrit en détail dans le rapport Honeyball, de contrer la traite à des
fin sexuelles et son objectif final, le commerce du sexe, en ciblant les
acheteurs d’actes sexuels, tout en décriminalisant uniquement les
personnes qui vendent leur corps.
Mais certains élus britanniques étaient soit endormis
soit sourds à l’appel de leur compatriote. Cas d’espèce : le conseil
municipal de Leeds vient de rendre permanent un projet pilote de douze
mois qui avait créé une « zone contrôlée » de prostitution de rue,
créant de ce fait le premier « quartier rouge » du Royaume-Uni. La
décision du conseil municipal est particulièrement troublante
puisqu’elle a été finalisée juste après qu’un « client » ait battu à
mort une femme de 21 ans, Daria Pianko. Cet assassinat brutal a eu lieu
précisément dans la nouvelle zone dévolue à l’industrie du sexe,
soigneusement limitée au quartier défavorisé de Holbeck.
Mark Dobson, membre de l’exécutif du conseil
municipal siégeant à la coalition Safer Leeds, reconnaît que la
prostitution (ou le « travail du sexe », comme il l’appelle) demeure
« une occupation extrêmement dangereuse et problématique ». Malgré cet
énoncé, lui et ses collègues n’ont pas trouvé de meilleur outil pour
protéger les femmes prostituées de cette violence que de légaliser
l’industrie du sexe. Le conseil municipal préfère donner le feu vert aux
proxénètes, tenanciers de bordels et acheteurs d’actes sexuels, une
solution cruelle que l’on a, hélas, vu proposée par des organisations de
défense des droits de la personne telle Amnesty International, comme
façon perverse de protéger les personnes exploitées.
M. Dobson a débité les contre-vérités d’usage pour
tenter de justifier sa décision : la prétendue inévitabilité de la
prostitution, l’accusation de moralisme à l’endroit des voix
dissidentes, et la promesse de protection policière pour les femmes
confinées à la zone en question. Aucun de ces arguments n’est fondé en
réalité.
« Leeds a rendu permanente la ‘zone contrôlée’ trois
semaines après un assassinat dans Holbeck et malgré plusieurs
signalements de viols et d’agressions », rappelle Janie Davies, attachée
de presse à l’organisation Feminism in London. « En outre, une enquête
de presse récente a indiqué qu’aucun véhicule de police n’avait été vu
dans ce quartier durant plusieurs heures de deux nuits consécutives en
janvier, ce qui fait craindre que cette politique a créé une zone où les
proxénètes et les prostitueurs sont libres de violer les femmes, ou
même de les tuer. »
Ce que le conseil municipal de Leeds devrait savoir
est que l’industrie du sexe a été intentionnellement conçue pour
commercialiser la violence sexuelle et légitimer le contrôle d’êtres
humains vulnérables dans un but lucratif. Même si la prostitution
remontait à la nuit des temps, comme se l’imagine notre culture
occidentale, il en est de même de l’assassinat, du viol et de la
violence conjugale, des crimes que nos élus n’assigneraient sans doute
jamais à des quartiers réservés à cette fin. Alors pourquoi
devrions-nous permettre à nos gouvernements de fournir des femmes
privées de leurs droits ou victimes de la traite à des acheteurs
d’« accès sexuel », selon l’expression de l’autrice et survivante Rachel
Moran, des hommes particulièrement attirés par le harcèlement sexuel,
la déshumanisation, ou pire ?
Après avoir légalisé l’industrie du sexe, l’Allemagne
a connu une augmentation de violence indicible contre les femmes
prostituées par des acheteurs d’actes sexuels. une hausse exponentielle
de la traite sexuelle, et la naissance du jour au lendemain de chaînes
de bordels à l’échelle du pays. Les Pays-Bas sont également aux prises
avec les effets désastreux de la légalisation, et le même scénario se
répète sous le régime décriminalisé de la Nouvelle-Zélande. En
contrepartie, depuis les seize ans que le gouvernement suédois a adopté
une loi connue sous le nom de « Modèle nordique », pas une femme
prostituée n’a été assassinée par un « client », alors qu’en Allemagne,
le nombre de cadavres ne cesse de croître depuis la légalisation, dans
une indifférence et un silence écrasants.
Oui, la grande majorité des femmes et des personnes
transgenres achetées et vendues dans l’industrie du sexe mènent cette
vie par absence de choix. Elles ont des enfants à nourrir, elles
cherchent un abri, ou elles souffrent de maux induits par des
traumatismes qui leur donnent l’impression que toute échappée est
impossible. Plutôt que de les condamner à l’industrie du sexe, le
conseil municipal de Leeds devrait investir dans la création de
solutions éducatives et économiques, leur fournir des formations
professionnelles et financer des organismes de services de première
ligne offrant aux personnes prostituées des stratégies de sortie
efficaces, sans égard à leur statut d’immigration.
« Il existe des moyens meilleurs et plus sécuritaires
de résoudre la prostitution que la création d’une zone à haut risque
déguisée en endroit ‘sûr’ où se livrer au ‘travail du sexe’ », a écrit
l’eurodéputée Honeyball sur son blog, The Honeyball Buzz.
Puisque l’expérience montre qu’il sera impossible
pour M. Dobson ou la police de Leeds de protéger les femmes comme Daria,
le conseil municipal a l’obligation absolue de documenter les effets de
la « zone contrôlée » de Holbeck et d’en rendre compte. Les électrices
et électeurs de Leeds doivent obliger leurs élu.e.s à répertorier les
bordels actuels, aussi bien illégaux que légaux ; les annonces
d’escorte, dans les journaux et sur internet ; les signalements
d’incidents liés à la prostitution, y compris le viol, la violence
conjugale et la traite ; et exiger des urgences hospitalières et des
centres de crise pour victimes de violence conjugale qu’ils documentent
l’impact du régime de légalisation instauré à Holbeck.
En créant un « quartier rouge » à Holbeck, le conseil
municipal de Leeds a clairement inscrit le Royaume-Uni parmi d’autres
pays qui dérogent au Protocole de Palerme et à la Convention pour
l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des
femmes (CEDAW). Ces instruments internationaux mandatent les
gouvernements de légiférer contre les abus de pouvoir sur les personnes
vulnérables, y compris l’exploitation de la prostitution. Et pour ce qui
est de la morale, la lutte pour mettre fin à l’exploitation sexuelle
commerciale est aussi morale que le respect des principes de la
Déclaration universelle des droits de l’homme, et aussi morale que nos
efforts collectifs pour mettre fin à la maladie, la faim et la
corruption.
Enfin, si le conseil municipal de Leeds approuve une
loi mandatant la compilation de statistiques impartiales et vérifiables
permettant de documenter l’augmentation prévisible de la criminalité
organisée et du proxénétisme, et la transformation de Holbeck en une
destination de tourisme sexuel, ils devraient lui donner le nom de « Loi
Daria ».
Source : https://ressourcesprostitution.wordpress.com/2016/02/15/en-instaurant-un-premier-quartier-rouge-au-royaume-uni-le-conseil-municipal-de-leeds-traite-avec-cruaute-la-prostitution-et-la-violence/Version originale : http://www.huffingtonpost.co.uk/taina-bienaime/leeds-cruel-solution-to-p_b_9172088.html
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