De la pornographie comme viol : L’affaire Rehtaeh Parsons

Emily Monaghan, Colombie-Britannique

Si vous êtes une femme ou une fille en quête de justice, le système juridique canadien est un échec lamentable.
Que la cause soit entendue à l’échelon provincial ou fédéral ; les décisions judiciaires reflètent les valeurs de la société, sans égard à l’impartialité présumée du ou de la juge. Ce n’est pas le seul acteur qui joue un rôle essentiel dans le maintien du statu quo ; la police (et en particulier la GRC) est complice dans la reproduction de la violence contre les femmes et les filles. Rehtaeh Parsons n’est qu’une des femmes à ne pas avoir bénéficié d’une réponse adéquate de la police ; elle a été violée alors que des garçons (qui sont aujourd’hui des hommes) produisaient d’elle des images pornographiques, à un moment où elle était ivre au point de vomir abondamment. Les garçons ont diffusé les images pornographiques de son viol, mais la police et le tribunal ont décidé que la preuve était « insuffisante » pour porter des accusations d’agression sexuelle. Pourtant, une femme ne peut pas consentir quand elle est ivre. Une femme ne peut pas consentir quand elle vomit par une fenêtre. Une femme ne peut pas consentir quand elle ne sait même pas qui est en train de la violer.
Comme avec les images de femmes dans la pornographie, il existe une croyance que la nature sexuelle des femmes (et des filles) est perverse. C’est la fillette pré-pubère qui attire l’homme plus âgé avec ses charmes de nymphe ou l’écolière extraordinairement sensuelle dont le corps tourmente tous les garçons de la classe. Le système masculin de valeurs sexuelles classifie les femmes comme des vierges ou des putains : Rehtaeh Parsons a été étiquetée comme putain et il est impossible de violer une putain. La décision rendue au sujet du viol de Rehtaeh est emblématique de la nature présumée de la sexualité des femmes. On nous apprend à croire qu’elle s’est attiré cette agression parce qu’elle a un comportement de prostituée. Sa sexualité était son péché et elle en a payé le prix dans la vie et la mort. Elle a enduré la violence insidieuse de ses pairs et sa communauté parce qu’elle est une femme et parce que la nature sexuelle des femmes est d’avoir un comportement de prostituée. Le soupçon entourant sa personne est de nature moraliste - elle a expérimenté avec la fête et le sexe. S’il s’agissait de la réalité d’un garçon du même âge, on ne verrait pas d’attitude moralisante ; dans le paradigme patriarcal, la nature masculine est définie en opposition polaire à la nature féminine. La sexualité masculine est en soi domination, la sexualité féminine, soumission. La pornographie produite par le violeur est un acte de domination. Le geste symbolique des pouces dressés signifie sa conquête, son succès à dominer l’autre. Le viol est l’exercice du droit sexuel masculin ; il voulait le faire, savait qu’il pouvait le faire et l’a fait. La distribution de ces images pornographiques était un choix conscient ; elle méritait d’être humiliée pour s’être comportée comme une prostituée.
La pornographie sert d’outil pour humilier les femmes. Notre humiliation est ce qui excite les hommes. La pornographie a pour sens profond de dépeindre les femmes comme des putes qui méritent tourments et punitions. On a fait porter le procès sur la question de savoir si Rehtaeh avait ou non consenti à ce qui est arrivé, plutôt que de savoir si les garçons l’avaient ou non violée. Pendant ce temps, l’intention de la harceler et de l’humilier par la production et la distribution de pornographie est passée sous silence. Le tribunal fait une distinction entre la pornographie adulte et celle impliquant des enfants ; ce qui n’est pas une distinction arbitraire, si l’on prend pour acquis que ce n’est pas TOUTE pornographie qui est de la violence faite aux femmes. La pornographie représente le viol des femmes et des filles de différentes manières, dans différents styles ; les femmes sont brutalisées et pénétrées de force, les femmes sont agressées verbalement et physiquement. La subordination des femmes est présentée comme érotique, leur humiliation est normalisée. Rehtaeh Parsons est apparu dans ces images pornographiques, tout comme de nombreuses femmes le sont dans la pornographie ; elle a été pénétrée de force par derrière, il n’y a aucune indication de consentement ou de jouissance. Comment peut-on distinguer entre le viol qui est fantasme » et le viol qui est réalité ? Le viol arrive à des femmes réelles, que ce soit dans la pornographie ou à l’extérieur de celle-ci.
La pornographie est la propagande de la haine des femmes, elle normalise la subordination des femmes et des filles comme une chose naturelle qui est méritée. La notion que les femmes sont responsables de leur humiliation dépend de leur nature que pose a priori le patriarcat – en affirmant que nous pourrions toutes être des putes : cela n’a pas d’importance si elle était trop ivre pour consentir, elle l’aurait fait de toute manière. Cela n’importe pas qu’elle a été harcelée insidieusement jusqu’au point où le suicide lui a semblé être la seule issue. Elle était en quelque sorte responsable et complice de la violence exercée par les garçons.
L’objectification routinière et universelle des femmes et des filles a contribué à la décision dans cette affaire teintée d’une misogynie généralisée. Les garçons qui ont violé Rehtaeh Parsons voyaient en elle un objet, et non une personne dotée d’une vie personnelle, qui subirait les conséquences des actions des autres sur son corps traité comme objet. Les images pornographiques d’elle qui ont circulé sur internet et parmi ses pairs montrent à quel point l’objectification des femmes et des filles sont normalisée. Indépendamment du contexte de ces images, les gens les ont consommé et ont partagé ce spectacle, qui documentait le plaisir de violer une jeune fille de 15 ans.
À cette étape, ces hommes n’ont toujours pas été accusés de viol. Lorsque les gants de la GRC se sont concertés avec les procureurs de la Couronne, ils et elles ont déterminé qu’il n’existait pas suffisamment de preuves pour porter des accusations. Par contre, un des hommes a été accusé de pornographie impliquant une mineure. [1] Comme la Loi canadienne sur le système de justice pénale pour les adolescents protège les mineurs, la seule conséquence qu’a subie cet homme (qui avait 17 ans au moment de l’agression) a été une libération conditionnelle ou une période de probation : la dernière sentence a été celle retenue, sur recommandation conjointe des procureurs de la Défense et de la Couronne (de la COURONNE !). Cet homme ne devrait pas être seulement accusé d’avoir produit de la pornographie juvénile, il devrait être accusé de viol. Le deuxième homme a plaidé coupable à une accusation de distribution de pornographie (sa sentence sera rendue au début de 2015).
Historiquement, les féministes ont été les seules à dire la vérité au sujet de la violence masculine à l’égard des femmes (merci à nos aïeules Andrea Dworkin, Catharine Mackinnon et Audre Lorde). Dans et autour de l’affaire Rehtaeh Parsons, les féministes radicales ont été les seules à dire une vérité qui ne se résumait pas à une version édulcorée, aveugle, mal informée de ce qui est « vrai ». Les féministes ont nommé sans équivoque le véritable problème : la violence masculine à l’égard des femmes. Le viol est de la violence masculine à l’égard des femmes. La pornographie est de la violence masculine à l’égard des femmes. Ces deux formes de violence ont servi à abattre Rehtaeh Parsons.
Rehtaeh n’est pas la seule adolescente qui a vécu ce type d’attaque misogyne. Malgré le caractère innovateur et utile de la nouvelle législation entourant la« cyberintimidation » et le « sextage » à caractère d’exploitation, les mots utilisés ont pour effet d’effacer la dimension genrée de ces actes. L’histoire de Rehtaeh présente de nombreuses similitudes avec celle d’une autre adolescente qui a succombé aux échecs abjects de notre système de justice pénale - Amanda Todd [2] ; on ne peut donc pas perdre de vue le fait que ce phénomène est genré et qu’affecte les filles au point de menacer leur vie. Ce type de harcèlement sinistre arrive principalement aux jeunes filles et aux femmes. Les jeunes filles sont la cible de prédateurs dans la vie et sur internet. Le climat du sexisme dans la société canadienne est responsable de ce qui est arrivé à ces filles. Le système d’éducation, l’appareil policier et le système judiciaire sont tous complices de leurs décès. Cette affaire avait le potentiel de créer un précédent pour les jeunes femmes et les jeunes filles en quête de justice. Au lieu de cela, on nous enseigne une fois de plus que la violence masculine à l’endroit des femmes n’est pas une priorité juridique, sociale ou politique ... mais cela, nous le savions déjà.
Nous devons exiger des comptes du système de justice canadien. Nous avons besoin que nos institutions patriarcales reconnaissent la réalité du viol, cessent de blâmer les victimes, assument la responsabilité pour sa grossière négligence et pour la violence inhérente d’un système qui multiplie les crimes envers les femmes et les filles qui osent survivre à l’agression sexuelle. ASSEZ.
Rejoignez-nous dans une action civique organisée le lundi 26 janvier à la Cour criminelle (2222, rue Main) à midi, à Vancouver (Colombie-Britannique) pour protester contre cette abomination.
Emily Monaghan est étudiante de deuxième année à l’Université de la Colombie-Britannique, membre de la Guerilla Feminist Collective et organisatrice au sein de TakeBackTheNight UBC. Elle est principalement découragée par le climat de culture pop-féministe qui nourrit le statu quo.

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