A l’occasion des 70 ans de la libération du
camp d’Auschwitz-Birkenau, le 27 janvier 1945, revenons sur la double
violence du système prostitueur forcé à l’intérieur des camps nazis. Les
femmes qui sont « choisies » sont des prisonnières non-juives, dites
« asociales » (dont des homosexuelles). Les nazis promettent, pour
encourager certaines à se prostituer, d’être libérées au bout de 6 mois,
ce qui ne sera évidement pas le cas. Elles sont destinées aux
prisonniers non racisés, non juifs, les plus méritants, de manière à ne
pas créer de solidarité entre ces derniers et d’augmenter le rythme de
productivité. Des bordels sont spécialement destinés aux SS, d’autres
pour les ouvriers des camps.
Encore une dimension de l’histoire
concernant les femmes, qui est trop souvent tue, « dont la violence est
minimisée pour rester concentrer sur l’horreur ».
Dans le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, à
peine franchi le tristement célèbre portail « Arbeit Macht Frei », on
trouvait, sur la gauche, un bordel. Ce « Block 24 A » fut une maison de
prostitution forcée à l’usage de prisonniers « méritants » de 1943
jusqu’en janvier 1945, quelques jours avant l’évacuation. Un bordel dans
les camps de concentration nazis ? Ce grand tabou pèse toujours sur
l’histoire du système concentrationnaire nazi. En Allemagne, une
exposition itinérante et un livre, Das KZ-Bordell (1), éclairent une
dimension de la terreur nazie : l’exploitation de quelque 200 femmes
mises au service sexuel de prisonniers. Des travailleuses forcées,
humiliées et qui n’ont jamais été réhabilitées.
« Même après la guerre, elles ont continué à être
stigmatisées et traitées d’asociales ; l’opinion laissait entendre
qu’elles avaient été volontaires », s’insurge l’auteur de l’étude, le
jeune historien allemand Robert Sommer. Pour augmenter la productivité
des forçats dans les usines d’armement, les SS avaient, dès 1940,
imaginé un système de primes pour ceux qui dépassaient les normes avec, à
la clé, du tabac, des rations supplémentaires ou une amélioration des
conditions de détention. Ce faisant, les SS copiaient le système mis en
place par Staline dans le goulag. Après sa visite aux carrières de
Mauthausen et Gusen, en 1941, le Reichsführer-SS Heinrich Himmler y
ajoutera une dimension supplémentaire : le sexe.
En 1943, les SS ouvrirent ainsi des bordels dans les
dix plus grands camps : Auschwitz et Auschwitz-Monowitz, Dachau,
Buchenwald, Mauthausen, Flossenburg, Sachsenhausen, Mittelbau-Dora,
Gusen, Neuengamme. « Aussi absurde que cela puisse nous paraître
aujourd’hui, les bordels des camps de concentration sont une des
conséquences radicales d’une canalisation de la sexualité surveillée par
l’Etat. L’idéologie raciste et hygiéniste était étroitement liée au
contrôle rigoureux de la sexualité, organisée de manière ethnique et
institutionnelle », rappelle le professeur Hartmut Böhme de l’université
Humboldt de Berlin. Avec des bordels séparés pour les SS allemands,
pour les SS ukrainiens, pour les ouvriers étrangers du STO, le sexe
organisé obéissait aux mêmes critères racistes sous la surveillance de
l’Etat.
Environ 200 femmes ont travaillé dans les 14
Sonderbau (« bâtiments spéciaux ») des dix grands camps, estime Robert
Sommer. Agées pour la plupart de 20 à 30 ans, elles avaient été
« recrutées dans les camps de concentration pour femmes de Ravensbrück
ou d’Auschwitz-Birkenau. Pour l’essentiel polonaises et allemandes,
qualifiées d’asociales. Quelques prostituées, des employées de bureau,
des vendeuses, des politiques, des Tziganes, l’accusation d’asociale
était une notion large. Recrutées avec la promesse fallacieuse d’une
libération, mais le plus souvent contraintes. De toute manière,
confrontées à une mort certaine aux travaux forcés, avaient-elle le
choix ? », interroge Sommer.
Leurs « clients » ? Ni juifs ni russes, bien sûr,
uniquement des « Aryens ». Quelques« privilégiés », ceux qui disposaient
des fameuses primes. A Auschwitz, 100 à 200, ceux qui avaient des
fonctions essentielles dans le camp, avaient droit à une visite au
bordel. A Flossenburg, 3 515 inscrits sur les listes, à peine 3,5 % de
l’ensemble des prisonniers. Sur les dix derniers mois d’activité du
« KZ-Bordell » de Buchenwald, Robert Sommer a compté une moyenne de 96
visites par jour. Car tout, le « rythme de travail », l’intimité entre
« clients » et « travailleuses », était recensé sur des fiches.
Honte, embarras sur la manière d’aborder les
questions sexuelles, idéologie politique et marginalisation sociale des
femmes exploitées expliquent en partie le silence qui a longtemps
entouré cette question, aussi bien en République fédérale allemande
qu’en ex-RDA. « Il y avait des directives pour que l’on n’aborde pas ce
sujet avec les visiteurs, admet Insa Eschebach, directrice du Mémorial
de Ravensbrück. On voulait éviter les malentendus, empêcher que la
présence de bordels fausse la vision et relativise l’horreur des
camps. »
(1) De Robert Sommer, éd. Ferdinand Schöningh, août 2009. L’exposition est visible à Ravensbrück (www.ravensbrueck.de).
Après des décennies, les secrets des bordels des camps nazis émergent, par Alexandra Hudson
Pendant des décennies, personne ne voulait se
souvenir du camp de concentration appelé « blocs spéciaux » où les Nazis
contraignaient des détenues à accueillir leurs pairs masculins.
Le commandant nazi, Heinrich Himmler, avait ordonné
la création de bordels de camp en 1941. Sa logique donne froid dans le
dos : les prisonniers masculins travailleraient plus dur si on leur
offrait l’incitation du sexe, et si on n’accordait ce privilège qu’à
quelques-uns, cela briserait la solidarité.
Quand les horreurs des camps de la mort furent
connues, le bordel est rapidement devenu tabou. Les femmes,
principalement allemandes, qui les avaient remplis étaient trop marquées
par l’expérience pour en parler, tandis que les détenus mâles qui les
avaient utilisés sont restés silencieux parce que honteux.
En juillet se tenait une exposition au camp de
concentration pour femmes à Ravensbrueck, au nord de Berlin, et elle a
pour but de jeter la lumière sur ces bordels et de mettre à nu la
sinistre tentative des Nazis de manipuler la sexualité des prisonniers.
Un homme a essayé de briser ce silence persistant :
Albert van Dijk, un ancien prisonnier de Buchenwald, Hollandais de la
ville de Kampen, proche de la frontière allemande. « Souvent, j’ai
soulevé le sujet des « blocs spéciaux » à des réunions d’anciens détenus
de Buchenwald, mais personne ne voulait même en discuter ou ils
disaient que je me trompais », a déclaré Van Dijk.
Le vieillard de 83 ans se souvient encore très
nettement, comment, à 18 ans, dans le désespoir et la dégradation du
camp, il était tombé amoureux d’une prostituée blonde du nom de Frieda
et comment, avec elle, il a perdu sa virginité dans les « blocs
spéciaux ».
Bien que la prostitution ait été officiellement
interdite par les nazis, les gardes d’élite SS ont mis sur pied un
réseau de bordels à l’intention de soldats allemands, de travailleurs
forcés et de prisonniers, qu’ils voulaient notamment détourner de
l’homosexualité.
À partir de 1942, 200 à 300 prisonnières non juives
des camps déconcentration ont été forcées de travailler dans dix bordels
de camp en Allemagne, en Autriche et en Pologne. Presque toutes avaient
été emprisonnées comme « anti-sociales ».
Au départ, certaines femmes se portèrent
« volontaires » pour la prostitution, à la suite de fausses informations
selon lesquelles elles seraient libérées après six mois. Plus tard,
elles ont été forcées pendant l’appel ou même dans l’infirmerie du camp.
Bien que les femmes aient reçu des rations un peu
meilleures et pouvaient porter des vêtements civils, la prostitution a
réduit physiquement la plupart d’entre elles à des épaves.
Beaucoup ont contracté des maladies sexuellement
transmissibles, ont été soumises à des expériences médicales ou forcées à
avorter. Chaque femme avait l’usage d’une petite chambre où, après un
bref examen, le prisonnier masculin pouvait rester un quart d’heure. Les
gardes vérifiaient par un trou si l’acte sexuel se déroulait uniquement
en position couchée, comme cela était stipulé dans le règlement.
Après une journée entière de travail dans le camp,
les femmes passaient deux heures chaque nuit à distraire des prisonniers
masculins qui payaient deux reichsmarks. Ceux qui les fréquentaient
occupaient les plus hautes positions dans la hiérarchie des prisonniers
et recevaient les meilleures rations. La grande majorité des prisonniers
masculins étaient trop faibles pour avoir des rapports sexuels.
Frieda
Frieda
Frieda fut la première femme que Van Dijk ait vu en
six mois. C’était un adolescent envoyé à Buchenwald parce qu’il avait
fui le travail forcé et passé en fraude des rations aux Juifs de Kampen,
et Frieda l’intimidait. Elle avait apprécié sa réserve juvénile.
« Un jour, on m’a envoyé nettoyer dans « le bloc » et
je me suis trouvé seul avec elle. Elle m’a donné un peu de schnaps, m’a
soufflé de la fumée de cigarette dans la bouche et nous avons atterri
sur le lit. Pour moi, c’était la première fois, et on n’oublie jamais. »
Plus tard, il a dû payer comme les autres pour voir
Frieda, un privilège dont il bénéficiait parce qu’il n’était emprisonné
sur une base ni raciale, ni politique.
« Il y avait moyen que votre famille vous envoie de
l’argent qui était inscrit sur un compte à dépenser dans le camp,
rappelle Van Dijk. Avec une efficacité grotesque, les administrateurs SS
du camp facturaient parfois à la famille des prisonniers les services
rendus au bordel. »
D’autres prisonniers lui disaient qu’il devrait être
honteux de dépenser l’argent de sa mère au bordel, mais dans un
environnement où l’exploitation sexuelle sévissait et où des jeunes gens
faisaient parfois du troc pour des faveurs sexuelles, Van Dijk n’y
voyait rien de mal.
« Certains jeunes dormaient avec des prisonniers plus
âgés pour un petit bout de pain supplémentaire. J’étais jeune et naïf
et je croyais que j’intéressais Frieda », se rappelle-t-il.
Après la libération, les travailleurs forcés ont
entrepris leur lutte pour des compensations. Mais les femmes qui avaient
travaillé dans les bordels ont découvert qu’elles ne pouvaient
revendiquer des dommages à cause de la nature supposée « volontaire » de
leur travail.
D’autres, craignant la stigmatisation et le mépris,
qu’elles s’étaient déjà attirés de la part des autres prisonniers, se
sont tues tout simplement.
L’exposition de Ravensbrueck, où des dizaines de
milliers de femmes ont été tuées ou sont mortes de faim ou de maladie,
montre des extraits de vidéo d’anciens prisonniers rappelant les bordels
et leurs victimes, ainsi que des bons donnés pour le sexe.
« Le thème invite au voyeurisme », a dit Insa
Eschebach, qui dirige le site du Mémorial de Ravensbrueck, et c’est
pourquoi l’exposition s’appuie principalement sur la parole écrite.
On a présenté des camps de concentration comme toile
de fond dans certains films érotiques et comme source de fantasme
sexuel, exploitant le gouffre extrême de pouvoir entre les gardiens SS
et les prisonniers, a-t-elle dit.
Exposées également les quelques photos qui restent
des « blocs spéciaux », où l’ameublement rustique allemand, les vases de
fleurs et les nappes donnent une fausse idée de l’horreur dont ces
camps furent le théâtre.
Source : Yahoo News, « Secrets of Nazi camp brothels emerge decades on », le 11 juillet 2007. Traduction d’Édith Rubinstein, Liste Femmes en noir, Vol 35, Issue 59, le 27 juillet 2007.
Mise à jour : Complément : 14/05/2015 :Source : Yahoo News, « Secrets of Nazi camp brothels emerge decades on », le 11 juillet 2007. Traduction d’Édith Rubinstein, Liste Femmes en noir, Vol 35, Issue 59, le 27 juillet 2007.
LESBIENNES SOUS LE IIIE REICH : DISPARAÎTRE OU MOURIR
« Un grand nombre de prisonnières sont forcées
d’entrer dans les bordels des camps. Les nazis aimaient tout
particulièrement faire « travailler » des lesbiennes dans les bordels.
Ils pensaient que ça les remettait dans le droit chemin. »
Après avoir passé plusieurs mois au bordel de
Flossenbürg, on pense qu’Else a ensuite été déportée dans un camp
d’extermination (Auschwitz) et qu’elle y est morte. C’était en effet le
sort réservé au bout de six mois à toutes celles qui étaient envoyées
dans les bordels. (… ) Combien de lesbiennes ont-elles été tuées comme
elles sous le IIIe Reich ? Combien ont été violées, combien ont dû se
cacher parce qu’elles étaient lesbiennes ? La lesbophobie, qui n’est pas
une prérogative du IIIe Reich, rend aujourd’hui toute évaluation
impossible. Pourtant, il serait dangereux de minimiser la persécution
des lesbiennes, sous prétexte qu’elle a été effacée par leurs
tortionnaires et par l’Histoire. A quand d’autres ouvrages aussi
intéressants que ceux de Claudia Schoppmann ?
Source : https://sanscompromisfeministeprogressiste.wordpress.com/2015/01/27/dans-les-bordels-des-camps-nazis/
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