*Pour Chahla Chafiq,
l’extrémisme religieux ou politique s’engouffre dans un vide idéologique
et s’alimente de la domination masculine. Pour faire face, il ne faut
pas réitérer les erreurs des années 90, prévient l’écrivaine et
sociologue d’origine iranienne, auteure notamment de "Islam politique,
sexe et genre" et d’une étude sur la radicalisation des jeunes.
Entretien. *
*Les Nouvelles NEWS : /Après les tragiques tueries de
ce début d’année, la réaction politique semble être l’enseignement de
la laïcité et un travail sur les « quartiers ghettos ». Ce second point
rappelle les années 90 après les émeutes de Vaulx-en-Velin avec la
politique des « grands frères » pour endiguer la violence des garçons.
Tandis que les filles, souffrant pourtant de la ghettoïsation autant que
les garçons, ne répondraient pas par la violence. N’y-a-t-il pas avant
tout un problème culturel ? /*
*Chahla Chafiq : L’imaginaire des jeunes garçons est
peuplé de clichés pétris de virilité guerrière - qu’il s’agisse de
films, jeux vidéos, histoire du monde, pornographie ? Pour les jeunes en
quête d’idéologies, d’identité, d’images valorisantes pour eux-mêmes,
l’extrémisme religieux ou même politique est du pain bénit, si j’ose
dire. L’islamisme, mais aussi d’autres extrémismes, proposent une offre
idéologique qui permet aux garçons de se valoriser à travers la
domination masculine. *
*Quant aux filles, il leur est offert une
valorisation en tant qu’épouses et mères. Cette valorisation repose sur
une hiérarchisation des sexes, fidèle au schéma patriarcal de la famille
et opposée à l’autonomie et à la liberté sexuelle des femmes. Cette
hiérarchisation sexuée, elle-même construite sur la misogynie et
l’homophobie, est au centre du projet idéologico-politique de tous les
mouvements fondés sur l’exacerbation des identités religieuses
(islamisme, intégrisme catholique, fondamentalisme protestant et juif,
etc). *
*Les conservateurs d’extrême-droite nouent des
alliances avec ces mouvements pour faire obstacle à l’égalité en droit
et en liberté pour les femmes et les homosexuels - comme l’ont démontré
les tensions autour du ’mariage pour tous’. Il existe ainsi un front
culturel anti-démocratique dans lequel les islamistes occupent la place
la plus visible. Face à cela, nous avons à construire une alternative
fondée sur une éducation démocratique et non-sexiste.*
/*LNN : Cette idée n’est pas vraiement au coeur de la politique*/
/*LNN : Cette idée n’est pas vraiement au coeur de la politique*/
*Chahla Chafiq : Dans les années 1990 les politiques
publiques dans les quartiers défavorisés se sont concentrées sur les
garçons pour endiguer leur violence réelle ou supposée. Mais les filles,
qui subissaient autant, voire plus qu’eux, la relégation ne
s’exprimaient pas par la violence. En parlant des filles, on soulignait
leur réussite scolaire, sans réfléchir aux moyens à mettre en oeuvre
pour que cette réussite ouvre sur une insertion professionnelle à la
hauteur de leurs espoirs. *
*En fait, l’erreur méthodologique, systématiquement
reproduite, a consisté à ne pas analyser les questions sous l’angle des
rapports sociaux de sexe. On a préféré continuer à cibler les garçons
comme étant la source des problèmes et des solutions. Un regard rapide
sur l’action sportive comme voie éducative suffit à poser ce constat.
Pourtant, en intégrant l’approche en termes de rapports de sexes on
pourrait mieux cibler l’invisibilité des filles dans l’espace public
(notamment dans les aires de loisirs), phénomène qui renseignerait sur
les ségrégations sexistes en cours. Et cette réflexion sur les
ségrégations nourrirait les constats sur les processus de relégation qui
favorisent l’adhésion des jeunes à l’extrémisme religieux. Cela dit, il
est important de souligner que cette adhésion n’est pas que l’affaire
des personnes en
difficulté sociale. *
difficulté sociale. *
*On se trompe de diagnostic quand on dit que la
pauvreté ou l’exclusion conduisent à l’islamisme, c’est insulter les
pauvres. L’islamisme est un phénomène politique et idéologique qui
traverse toutes les catégories sociales. Il existe des Etats islamistes
très riches. *
*/Comment faire face, alors ? /*
*Sans un travail éducatif capable d’apporter des
réponses appropriées face à l’offre idéologico-identitaire des
extrémismes religieux, les réponses sécuritaires, nécessaires,
trouveront vite leurs limites. Et un travail éducatif pertinent ne peut
se faire sans l’élaboration et le développement d’une pédagogie
non-sexiste. Une telle pédagogie permet de toucher la société tout
entière et d’explorer les différentes dimensions sociales, culturelles
et politiques. *
*L’idée d’enseigner plus fortement le fait laïque est
une bonne chose, mais si on ne parvient pas en même temps à valoriser
l’égalité des sexes et à en faire un idéal capable de répondre au besoin
d’idéologie des jeunes, ce sera peine perdue. Il faut retrouver des
idéologies humanistes. Il faut remplir le vide laissé par
l’affaiblissement de l’éducation populaire et des actions humanistes qui
répondent aux besoins de convivialité, de sens dans l’altérité. *
*J’ai eu l’occasion d’expérimenter ce type d’actions,
en contribuant au sein de l’ADRIC, depuis 2011, au projet « Jeunes pour
l’égalité », initié par Henriette Zoughebi, vice-présidente de la
Région Ile-de-France en charge des lycées , en partenariat avec
l’Education Nationale. La région a mis les moyens pour donner à ce
projet une constance et impliquer les jeunes dans une réflexion-action
sur l ?égalité filles-garçons. Les équipes éducatives et pédagogiques,
ainsi que les élèves, ont participé et participent activement à ce
projet. Les sujets liés à l’orientation professionnelle, à la liberté
sexuelle, aux violences sexistes et à la laïcité sont débattus avec les
jeunes et fontl’objet d’une mise en expression artistique. Plus de 9 000
jeunes ont participé à cette action. On a pu constater leur besoin
d’espace pour s’exprimer, en tant qu’acteurs et actrices sociales, sur
ces sujets. Lesinterventions sont conçues pour permettre le débat, sans
interdits ni tabous, et soutenir les réflexions et les actions en faveur
d’une posture égalitaire. L’implication des jeunes dans le projet est
très positive. Quand on leur donne les moyens de réfléchir à la laïcité à
travers cette question de l’égalité des sexes, sans interdits,
simplement en éveillant les consciences, on donne une autre orientation à
cette quête d’identité. Donc, l’enjeu n’est pas de proposer une offre
idéologique alternative à l’islamisme mais de travailler sur
l’environnement culturel pour qu’il cesse de valoriser la domination
masculine. *
/*Comment est-ce possible ? */
*Il faut que la laïcité propose des perspectives
valorisantes pour tout individu. Lutter contre le racisme, contre
l’antisémitisme et contre le sexisme. Le problème est que les actions
autour de la laïcité ne sont que rarement pensées sous l’angle de
l’égalité des sexes. Le lien entre la laïcité, l’égalité de sexes et les
droits sexuels reste opaque. Il n’est pas pensé, dans les politiques
publiques, de manière claire et volontariste. *
*Pourtant, des exemples significatifs prouvent ce
lien. Les manifestations contre le ’mariage pour tous’ qui étaient aussi
contre la dé-hiérarchisation des sexes ont été fortement soutenues par
des courants idéologico-religieux ; l’avortement n ?aurait jamais pu
être voté si les lois ne s’étaient pas laïcisées. Par ailleurs, on a
encore du mal à percevoir et à identifier le sexisme. On cerne un peu
mieux le racisme mais beaucoup moins le sexisme qui est fortement
banalisé. Les immigrées qui subissent cette double peine identifient
souvent le racisme mais, à l’instar de la majorité des femmes,
considèrent comme normales des situations sexistes. Elles ont
intériorisé les normes sexistes. Difficile de lutter contre quelque
chose qui n’est pas perçu
comme un fléau. *
comme un fléau. *
*Côté démarche volontariste, on est très en dessous
de ce qu’il faudrait faire. On n’enseigne pas l’histoire du féminisme à
l’école. Les conquêtes des libertés des femmes sont passées sous
silence. L’histoire des transformations sociales liées à la l’évolution
des rapports sociaux de sexe est pourtant un des fondements des sociétés
et de la laïcité. Partout dans le monde, quand les droits des femmes
progressent, la société dans son ensemble progresse. Il est temps de
s’approprier cette histoire pour reconstruire une société laïque fondée
sur l’égalité des sexes. *
*Il faut aussi travailler sur les productions
culturelles. Celles qui font l’éloge d’une masculinité violente sont
beaucoup trop visibles, diffusées, érigées en modèles. Celles qui se
fondent sur d’autres valeurs sont moins visibles, moins nombreuses.
C’est, je crois, le principal enjeu. L’offre islamiste répond à un idéal
patriarcal qui passe par la sacralisation de la domination. Il ne faut
pas la concurrencer par une autre offre, mais proposer un autre idéal. *
*© Tous droits réservés **Les Nouvelles NEWS Site de l ?ADRIC : www.adric.eu
*A regarder également l’intervention de Chafaq Chafig sur le thème "féminisme et islamisme en Iran" :
http://www.dailymotion.com/video/xhbz0v_feminisme-et-islamisme-en-iran-chahla-chafiq_news
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