Florence Humbert, Décembre 2016
Des avancées émancipatrices, une citoyenneté
nouvelle dans une Europe pacifiée, c‘était ce que promettaient les
fondateurs du parti écologiste des Verts lors de sa création en 1982 en
Allemagne.
Ce parti a en effet défendu toutes les causes qui ont
fait avancer la société depuis 30 ans, en particulier les libertés dans
le domaine de la vie intime : ils ont milité pour les droits des
homosexuels, le droit à l‘avortement (qui n‘est toujours pas autorisé en
Allemagne, juste dépénalisé), la liberté d’accès à la contraception.
Le parti des Verts a toujours été favorable aux
femmes voulant s‘engager dans la vie politique, proposant des gardes
d‘enfants pendant congrès et réunions.
Les Verts furent le 1er parti à introduire des quotas
de femmes à tous ses niveaux, validant ainsi tout au long de son
histoire démocratique interne un principe constamment contesté par
toutes les autres structures, au nom même de la démocratie.
Depuis leurs débuts, la pensée émancipatrice des
libertés individuelles dans tous les domaines a mené les Verts à se
fourvoyer sur certaines questions : dans les années 1980, un certain
nombre de pédocriminels noyautent l‘organisation, y font entendre leur
voix, donnent à leurs crimes un vernis de respectabilité en les
déguisant en orientation sexuelle. Ils pervertissent l‘idée de liberté
et légitiment l‘exploitation et la destruction des plus faibles : les
enfants.
Ces errements idéologiques portés par une aile très
puissante (et très masculine) du parti font fuir un certain nombre de
femmes, qui dès lors organisent la défense des victimes de violences
sexuelles en dehors du parti. Depuis les années 1990 la ligne officielle
du parti n‘est plus favorable à la pédocriminalité et la protection de
l‘enfance a retrouvé la priorité qu‘elle n‘aurait jamais du perdre,
forçant les dirigeants à se distancer de leurs positions passées et en
éloignant certains.
C‘est à cette époque également que de puissants et
riches propriétaires de maisons closes font légitimer leur modèle
économique, empêchant l‘Allemagne de ratifier la convention d‘Istanboul,
qui protège les femmes de violences sexuelles y compris de
l‘exploitation de proxénètes.
Ils obtiennent en 2002 que l‘aide à la prostitution
d‘une personne soit dépénalisée, laissant le champ libre à toutes les
formes de trafics et de proxénétisme. Ce faisant, certains hommes
politiques hauts-placés du parti des Verts font cause commune avec le
personnel politique des autres partis, également très majoritairement
masculin. Au SPD (parti social- démocrate) l‘un des dirigeants possède
plusieurs bordels dans le Land dont il devient président en 1985. A la
CDU (Chrétiens démocrates) et au FDP (parti libéral) la priorité à la
liberté d‘entreprendre sert à tout, y compris à créer des eros centers
dans toutes les zones industrielles et d‘y exploiter des femmes pauvres,
surtout à partir de 1989, des femmes venant en majorité de l‘autre côté
du rideau de fer qui vient de tomber.
Sans ces protecteurs hauts-placés, l‘industrie du
sexe aurait sans doute eu des difficultés à maintenir cette loi de 2002
inchangée jusqu‘en 2016, loi qui a fait de l‘Allemagne la plaque
tournante des trafics de femmes en Europe, où l‘entrée progressive de
pays de l‘ancien bloc de l‘Est dans l‘espace Schengen a mis à portée de
trottoir et à la disposition des acheteurs de sexe, des populations
appauvries et marginalisées. L‘achat de sexe ou plutôt la location
d‘orifices corporels de femmes pauvres est donc une activité de loisir
totalement banalisée dans l‘Allemagne d‘aujourd’hui.
Le parti des Verts n‘a pas renoncé à promouvoir
l‘émancipation des carcans du patriarcat. Il a reconnu dans les années
1990 que les enfants devaient être défendus contre les pédocriminels,
mais en 2016 il n‘a pas encore reconnu que les femmes et les filles
précaires et marginalisées devaient être défendues contre les acheteurs
de sexe. Le parti des Verts continue d‘offrir régulièrement une
plateforme au lobby de l‘industrie du sexe, à inviter des acheteurs de
sexe à faire valoir leurs droits à leur liberté sexuelle, à promouvoir
un proxénétisme soi-disant bienveillant, comme antidote à l‘exploitation
sexuelle et aux trafics et à donner la parole à des femmes qui se
disent travailleuses du sexe, et ne s‘en sortent que parce qu‘elles
profitent aussi de la prostitution d‘autrui.
L‘une des caractéristiques du Parti des Verts
allemands est l‘organisation bisannuelle d‘un congrès des femmes. Lors
de ces congrès sont abordées les questions sur lesquelles le parti est
amené à se prononcer, dans le but de formuler des réponses féminines sur
les sujets de politique générale, en particulier sur les problèmes de
société, sur lesquels en vertu d‘une répartition patriarcale des
thématiques on s’attend traditionnellement à ce que les femmes aient un
avis. En ce sens le Parti des Verts ne s‘émancipe pas vraiment du
patriarcat, cependant il crée un espace dans lequel un discours
émancipateur féministe pourrait émerger.
Il n‘en est rien : les femmes du parti des Verts
accréditent le pouvoir des hommes riches à disposer des orifices
corporels des femmes pauvres. Elles réaffirment et reconnaissent ce
privilège par la voix des quelques activistes du travail du sexe qui
leur sont acquises. Toujours invitées, ces représentantes du lobby de
l‘industrie du sexe répètent depuis les années 1990 les mêmes discours
de liberté sexuelle incluant la liberté de se prostituer. Elles
convainquent une grande partie des membres, peu informées des réalités
de la prostitution.
Quelques militantes des Verts, sensibles à la
détresse des femmes, à 80 % étrangères et ne comprenant pas l‘Allemand
dans les centaines de bordels et sur des kilomètres de trottoirs
allemands font entendre une autre voix, et s‘intéressent à des positions
abolitionnistes qui ont cours ailleurs en Europe : en Suède depuis
1999, en France depuis 2016, le client prostitueur est considéré comme
pénalement responsable de l‘exploitation de la détresse d‘autrui et peut
être poursuivi. En France, le parti Europe Ecologie les Verts a milité
contre l‘adoption de cette loi. En Allemagne le Parti des Verts continue
de trouver aberrant de pénaliser le client d‘un échange commercial
parfaitement légal où les deux parties seraient adultes et consentantes.
Et fait taire les quelques voix discordantes.
La présidente actuelle du parti des Verts au
Bundestag (Assemblée Nationale), Katrin Göring-Eckardt, est une
théologienne protestante, qui a été co-présidente de l‘Eglise fédérale
protestante allemande et a renoncé à son poste pour se consacrer à la
direction du parti des Verts en 2013. Originaire de l‘Allemagne de l‘Est
elle a milité lors de la réunification pour la fusion des deux partis
écologistes.
L‘abolitionnisme allemand, qui a pris son essor
depuis 2014 et tente d‘imposer le „modèle nordique“ de la pénalisation
des clients en Allemagne, ne peut compter sur l‘appui d‘aucun des partis
politiques allemands, ni d‘aucune église. De nombreuses associations
d‘aide aux prostituées, présentes dans la plupart des villes allemandes,
sont complètement hostiles elles aussi à l‘abolitionnisme et ne
comprennent leur mission que comme une aide à supporter la prostitution,
à y rester, ou plutôt à y survivre en donnant l‘impression d‘une
réussite.
Or la plupart de ces organisations sont liées aux
églises : l‘église protestante par son service social, la Diaconie,
l‘Eglise catholique par son organisme d‘aide, Caritas.
Elles sont de puissants soutiens de l‘industrie du
sexe toutes les deux, puisqu‘en aidant les femmes à y rester elles
légitiment l‘exploitation de leur misère et leur destruction physique et
psychique par les hommes qui en achètent l‘accès.
Il y a deux exceptions, côté catholique, c‘est
l‘organisation de Soeur Léa Ackermann, une religieuse catholique qui
aide les femmes à s‘affranchir de la prostitution en leur procurant
soutien et logement, qui se fait l‘avocate inlassable depuis 40 ans de
la cause des femmes opprimées dans la prostitution. Elle a monté son
organisation SOLWODI dans l‘indifférence des institutions catholiques
officielles et en contredisant sa hiérarchie. Côté protestant, Neustart,
une organisation proche de l‘église pentecôtiste travaille auprès des
femmes étrangères exploitées sur le trottoir à Berlin.
En dehors des églises il existe deux organisations
abolitionistes d‘aide à la sortie de la prostitution : Karo, qui
travaille à la frontière avec la Tchéquie, et Sisters fondée en 2014 à
Stuttgart. Elles sont très isolées idéologiquement et politiquement,
soutenues uniquement par la poignée d‘abolitionistes qui ont eu
l‘énergie d‘organiser chaque année depuis 2014 un congrès contre l‘achat
de sexe qui se tient à Münich en Décembre. De plus en plus d‘élu.e.s
locales qui se rendent compte de l‘affreuse et inhumaine réalité que
recouvre la liberté de se prostituer, participent à ces congrès et
veulent que la législation change.
Elles se sont donc montrées favorables a la
proposition de la ministre des droits des femmes Manuela Schwesig de
modifier la loi de 2002 dans le sens d‘une plus grande protection des
prostituées. Cette nouvelle loi est en discussion depuis 2013 et vient
d‘être votée. Dans les consultations préalables, le choix des expert.e.s
donnait la parole essentiellement au lobby de l‘industrie du sexe et au
syndicat des propriétaires de bordels. Ils ont été invités plusieurs
fois au Bundestag, et ont réussi à faire passer la plupart de leurs
exigences. Devant les protestations de plusieurs élu.e.s, y compris de
son propre parti, (SPD, Social-démocrate) Manuela Schwesig a été obligée
de revoir sa proposition de loi et d‘inviter, lors d‘une deuxième série
de consultations, des expertes d‘organisations d‘aide à la sortie de la
prostitution, et surtout des survivantes. Le lobby de l‘industrie du
sexe dénonce désormais une loi rétrograde et pudibonde, qui empiète sur
les “libertés individuelles”.
Qu‘en est-il ?
La loi qui entre en vigueur en Juin 2017 comprend
deux volets. Le premier a pour but de garantir la santé publique, contre
une recrudescence d‘infections sexuellement transmissibles graves.
Protéger la population est la motivation première de toute l‘activité
législative dans ce domaine. Perpétuant ainsi le mythe rétrograde des
prostituées propagatrices de maladies honteuses, le législateur allemand
occulte les dangers auxquels ces femmes s‘exposent pour mettre l‘accent
sur les dangers auxquels elles exposent le reste de la population.
La loi prévoit l‘obligation du port du préservatif
pour tout acte prostitutionnel. Les publicités pour la prostitution ne
pourront donc plus se servir du slogan “tout sans“, actuellement très
utilisé et qui signifie „toutes les pratiques sans préservatif“. Elle
permettra aux femmes à qui leurs clients auront imposé des actes sans
préservatif de porter plainte contre eux. Peut-être sera-t-elle un peu
dissuasive. De plus les femmes pratiquant la prostitution en Allemagne
doivent se rendre tous les deux ans à une consultation pycho-sociale.
C‘est ce qui reste de la consultation médicale obligatoire tous les six
mois que prévoyait la loi au départ : l‘industrie du sexe a négocié la
suppression de presque toutes les dispositions les unes après les
autres.
Le deuxième volet tend à encadrer l‘activité des
tenanciers de bordels, véritable profession soumise désormais à une
autorisation d‘exercer. Les établissements seront contrôlés et sommés de
se conformer à des normes de sécurité et d‘hygiène. Actuellement il est
fréquent que le propriétaire loue ses chambres à des femmes pour 100 à
180 € la nuit selon la localité et la réputation de l‘endroit, et
prétend ne pas s‘immiscer dans leurs pratiques ni dans leurs horaires de
travail. En réalité il leur impose des horaires, se préoccupe de la
satisfaction de ses clients, formule la publicité et oblige par là même
les femmes à se conformer à ce qui est décrit dans la publicité : „Pack
de trois pénétrations“ par exemple, obligeant les femmes à accepter la
pénétration orale, vaginale et anale. Les femmes vivent dans la chambre
où elles reçoivent leurs clients et il n‘y a pas de sanitaires attenants
à chaque chambre. Des dispositions de la loi visent à les rendre
obligatoires.
L‘exercice du proxénétisme est autorisé, ce que le
législateur distingue subtilement du „proxénétisme exploiteur“ qui lui,
est interdit. Cette distinction est tellement difficile à faire dans la
réalité que lors de certains procès les juges s‘en remettent à la
jurisprudence qui définit un pourcentage de bénéfices que le proxénète
peut légitimement encaisser, au delà duquel il y aurait exploitation. La
nouvelle loi veut renforcer les droits des employées (les prostituées)
par rapport à leur employeur (les proxénètes, les propriétaires de
bordels), ignorant que dans la majorité des cas ces catégories ne sont
pas valables. Le législateur prétend lutter contre le travail au noir en
important dans ce milieu des normes valables ailleurs. Le congé de
maternité par exemple. Ainsi une consultation d‘expert a statué sur le
nombre de semaines de grossesse à partir duquel il était souhaitable
pour la santé du foetus, que la femme cesse de se prostituer. Et les
représentants de l‘industrie du sexe de se récrier : mais il y a une
clientèle qui recherche justement des femmes enceintes, on ne peut pas
se passer de cette catégorie !
Dans cette branche où le crime organisé côtoie la
finance et la politique au plus haut niveau, le législateur ne perd pas
de vue les intérêts de l‘Etat : il y a une ressource fiscale importante
dans l‘industrie du sexe, et au delà des protections que l‘on prétend
mettre en place pour les populations précaires et les victimes des
réseaux, le souci cynique des rentrées fiscales est très présent.
Légiférer dans ce domaine consiste donc tout simplement à légaliser la
plus grande part possible de cette branche d‘activités pour éviter
qu‘elle reste dans l‘économie occulte et n‘échappe à l‘impôt. La
protection des 400 000 femmes (selon les estimations, soit 10 fois plus
qu‘en France), presque toutes étrangères, est secondaire. La population
allemande moyenne ne voit pas d‘inconvénients à cette activité du moment
qu‘elle ne la côtoie pas. Et c‘est ce qui se passe puisque chaque ville
de plus de 80 000 habitants a une zone de tolérance où la prostitution
et le racolage sont autorisés et des zones de résidence où elle est
normalement interdite. Les clients s‘y retrouvent très bien. Comme les
lieux de prostitution se situent dans les zones industrielles à
proximité des magasins de bricolage, des concessions automobiles et des
stations service, ils n‘ont que l‘embarras du choix d‘alibis à servir à
leurs compagnes (la moitié d‘entre eux est en couple) pour fréquenter
des prostituées.
Les niveaux de vie des pays de l‘Est de l‘Europe
étant encore loin d‘égaler ceux de l‘Ouest, le flot de jeunes filles
précarisées et chargées de faire vivre toute leur famille restée au pays
avec les revenus de la location de leurs orifices corporels ne se
tarira pas de sitôt. L‘industrie du sexe a donc de beaux jours devant
elle. L‘abolitionnisme allemand quant à lui est dans une impasse : après
avoir soutenu une proposition de loi qui devait améliorer les
conditions de vie dans la prostitution il se trouve confronté à une loi
qui cautionne un système où les femmes sous emprise sont totalement
empêchées de développer des stratégies de sortie. Les militantes
abolitionnistes se raccrochent à l‘espoir de faire advenir le système
nordique : la pénalisation des acheteurs de sexe. Le chemin sera long…
Florence Humbert est historienne, elle a vécu 20 ans
en Allemagne où elle a travaillé sur les droits des femmes, notamment
sur la prostitution. Elle est membre active du réseau « Stop Sexkauf »
et de l’association TERRE DES FEMMES (www.frauenrechte.de)
depuis 2001. Depuis 2007 elle est membre de la commission « traite des
femmes » de l’association et régulièrement sollicitée comme experte et
conférencière sur ce sujet.
https://ressourcesprostitution.wordpress.com/2017/01/03/collusions-du-protestantisme-et-du-pseudo-feminisme-vert-dans-le-soutien-au-proxenetisme-allemand/
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