François Hollande vient de
gracier Jacqueline Sauvage. Enfin ! Elle va bientôt pouvoir sortir de
prison. Nous sommes heureuses ! Soyons lucide : il était difficile de
faire autrement tant la mobilisation citoyenne, venant de tous bords,
était importante. Merci à elle.
Mais maintenant, beaucoup de choses restent à faire.
Espérons que le « cas » de Jacqueline Sauvage sera un réel révélateur de
la situation des femmes victimes de violences en France.
D’abord de la difficulté à porter plainte.
Effectivement Jacqueline Sauvage n’a pas porté plainte comme environ 84%
des femmes victimes de violences. Et cela lui a été reproché. Mais pour
pouvoir porter plainte il faut un minimum avoir confiance en la
justice. Visiblement ça n’est pas le cas des femmes victimes de
violences. Mais la justice, qui devrait être le recours des plus
vulnérables et des plus démuni-e-s, est-elle capable de s’interroger sur
cet état de fait ?
Et si elle avait déposé plainte, et si elle avait
demandé à bénéficier d’une ordonnance de protection, quelle aurait été
la réponse ? Les ordonnances de protection sont-elles attribuées
vraiment en urgence ? Y a -t-il suffisamment de places d’hébergement
pour les femmes qui partent avec leurs enfants ? A ces deux questions
nous savons bien que la réponse est non. Cette réponse est d’autant plus
négative que les associations féministes qui gèrent l’hébergement et
qui sont par définition à but non lucratif, voient leurs subventions
rognées. Bien plus, elles qui ont acquis une véritable compétence se
voient mises en concurrence lors d’appels d’offres avec des structures
privées non spécialisées à but tout à fait lucratif.
Et puis l’hébergement ne fait pas tout. Les femmes
sont amenées à revoir le bourreau qu’elles viennent de fuir dans le
cadre du droit de visite pour les enfants. A ce moment là le chantage
peut s’exercer de nouveau. La protection des victimes doit se concevoir
sur le long terme.
On voit qu ’en amont les choses ne sont pas toujours
aussi simples que de bons esprits le prétendent : « elle n’avait qu’à
porter plainte ». Sans s’étendre trop sur le phénomène d’emprise qui
vous glace le sang, anesthésie la pensée, vous plonge dans la sidération
et vous empêche d’agir sans aide, tendue que vous êtes à voir d’où vont
venir les coups la prochaine fois.
Et c’est ça aussi la question : tout le monde savait
et n’a rien dit ou personne n’a rien vu. Ce qui du point de ce que la
victime endure revient strictement au même. Mais c’est la société qui
est coupable et non point elle.
Est ce que la solution est d’instaurer une « légitime défense différée » comme le préconise la députée Valérie Boyer ?
Stricto sensu Jacqueline Sauvage n’a pas pu
bénéficier de la légitime défense puisqu’elle n’a pas tué son mari de
façon concomitante aux derniers coups. Et que sa réaction a été
disproportionnée. Mais cette Cour d’Assises, particulièrement hermétique
aux violences conjugales, n’a absolument pas tenu compte du contexte
global de ce que vivait Jacqueline Sauvage. Elle a jugé sans
individualiser la peine. Plutôt que la « légitime défense différée » qui
pourrait être utilisé n’importe comment, dans n’importe quelle
circonstance, par n’importe qui et constituerait là pour le coup un
véritable « permis de tuer » ne serait-il pas plus judicieux d’instaurer
un « délit spécifique de violences conjugales » qui permettrait de
regrouper tous les « types » de violences conjugales ( physiques,
psychologiques, économiques, administratives) et permettrait
d’historiciser au moins sur 3 ans, délai de prescription des délits, les
violences subies. Le viol en tant que crime serait traité à part.
Ou bien de reprendre ce que les Canadien-ne-s
appellent « syndrome de la femme battue », que nous renommerions
« syndrome de la victime de violences conjugales ». Ce syndrome a été
décrit par la professeure de droit d’Ottawa Elizabeth Sheehy. Elle dit
que même si la menace n’est pas imminente, lorsque quelqu’un vit dans un
régime de terreur, en l’occurrence de la violence conjugale qui dure
depuis longtemps, l’ état d’esprit au moment du meurtre doit être pris
en compte. Une décision de la Cour suprême du Canada en 1990 a confirmé
l’utilisation du syndrome de la femme battue comme étant légitime.
Les pistes de réflexion ne manquent pas mais celle ci doit s’engager sans tarder.
Les pistes de réflexion ne manquent pas mais celle ci doit s’engager sans tarder.
La situation de Jacqueline Sauvage nous a toutes et tous ému-e-s. Mais notre émotion doit continuer à alimenter notre combat.
Les féministes savent bien que les lois sont
incomplètes, qu’elles sont très mal appliquées, que les mauvaises
pratiques procédurales minent à petits feux les victimes. Nous avons
déjà analysé tout cela en détail.
En 2006 le Collectif National pour les Droits des
Femmes a publié une loi proposition de loi-cadre qui a servi de base,
mais grandement édulcoré, à la loi du 9 juillet 2010. C’est dans ces
moments là d’ailleurs que l’on voit de près les immenses résistances de
la société française. Cette proposition de loi-cadre, actualisée, est
d’ailleurs toujours déposée sur le bureau du Sénat.
Aujourd’hui, 12 structures féministes, spécialisées
sur les violences, ont mutualisé leurs revendications et ont élaboré une
brochure intitulée « Mettre fin aux violences, ce que nous voulons » où
elles font des propositions concrètes.
Les solutions sont donc identifiées pour mettre fin à
ce qui constitue une vraie carence de la société française : la prise
en compte des violences faites aux femmes. Il ne manque plus qu’un ferme
volonté politique !!!
Source : http://www.collectifdroitsdesfemmes.org/spip.php?article452
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