Lors d’un « féminaire » organisé
à l’intention des membres du London Feminist Network (Réseau féministe
de Londres) en mai 2010, Debbie Cameron et Joan Scanlon, éditrices de la
revue britannique Trouble & Strife, ont animé un atelier au sujet
du concept de genre et de sa signification pour le féminisme radical. On
trouvera ci-dessous une transcription révisée de leurs propos
informels.
Debbie Cameron : Le but de la discussion
d’aujourd’hui est de tenter de déblayer une partie de la confusion
théorique et politique qui entoure présentement le concept de genre. Il
est probablement utile de commencer par se demander d’où vient cette
confusion.
De nos jours, les conversations au sujet du « genre »
achoppent souvent sur des problèmes parce que les personnes qui en
parlent emploient le même mot en lui donnant en gros la même
signification, alors qu’en y regardant de plus près, elles ne parlent
pas des mêmes questions à partir de la même approche. Par exemple, quand
nous avons lancé l’anthologie The Trouble & Strife Reader1 à la
Foire du livre radical d’Edimbourg, des étudiantes sont venues nous dire
leur satisfaction de voir ce livre publié, mais aussi leur surprise
qu’il y soit si peu question du genre. Pourtant, ce livre ne parle que
de cela, du genre, au sens féministe radical du mot, soit les relations
de pouvoir entre femmes et hommes, de sorte qu’à nos yeux, cette
réaction était assez surprenante. Joan ne la comprenait tout simplement
pas au départ. Pour ma part, j’ai compris ce qu’elles voulaient sans
doute dire car je suis toujours universitaire, et à l’université on
entend beaucoup le mot « genre » utilisé de cette manière.
Voici la clé de l’énigme : pendant les années 90, les
théoricien.ne.s et activistes queer ont élaboré une nouvelle façon de
parler du genre. Leur approche présentait bien sûr des points communs
avec le vocabulaire féministe plus établi, mais elle présentait un
accent différent ; elle était sous-tendue par une théorie différente. Il
s’agissait au fond de la théorie postmoderniste de l’identité associée à
la philosophe Judith Butler, bien que je doute que Butler elle-même
dirait que les féministes n’avaient pas d’analyse critique du genre. Il
découla de cette nouvelle approche des choix de politiques très
différents. Pour les gens qui ont alors tiré leur formation soit en
côtoyant la théorie féministe universitaire, soit en s’impliquant dans
le système de pensée et l’activisme queer, c’est le sens que prit le
concept de « genre ». Ces personnes crurent ce qu’on leur avait dit, à
savoir que les féministes des années 70 et 80 n’avaient pas d’analyse
critique du genre, ou qu’elles n’avaient pas la bonne analyse, dans la
mesure où leurs idées sur le genre relevaient de « l’essentialisme »
plutôt que de « la construction sociale » de l’identité.
Ce n’est pas notre appréciation des choses, et nous
verrons tantôt pourquoi. Mais commençons plutôt par comparer
l’« ancienne » approche féministe du genre et la version plus nouvelle
qui a émergé de la théorie et de l’activisme queer des années 90.
« ancien » concept | « nouveau » concept | |
Qu’est-ce que le genre ? | Un système de relations sociales/de pouvoir structuré par une division binaire entre « les hommes » et « les femmes ». Le partage en catégories se fait habituellement sur la base du sexe biologique. Mais le genre tel que nous le connaissons est une réalité sociale plutôt que biologique (par exemple, la masculinité et la féminité ont des définitions différentes à différents lieux et différentes époques.) | Un aspect de l’identité personnelle /sociale, habituellement attribué à la naissance sur la base du sexe biologique (mais cette correspondance « naturelle » est une illusion – de même que l’idée qu’il doit exister deux genres puisqu’il y a deux sexes.) |
En quoi ce système constitue-t-il une oppression ? | Parce qu’il est fondé sur la subordination d’un genre (les femmes) par l’autre (les hommes). | Parce que c’est un système binaire rigide. Il oblige chaque personne à s’identifier soit comme un homme, soit comme une femme (pas ni l’un-e ni l’autre, pas les deux à la fois, pas entre les deux, pas comme complètement autre) et punit quiconque ne se conforme pas à cette règle. (Cela opprime les hommes et les femmes, et surtout les personnes qui ne s’identifient pas complètement au modèle prescrit pour leur genre). |
Que serait une politique radicale de genre ? | Le féminisme : Les femmes s’organisent pour renverser le pouvoir masculin et ainsi le système du genre dans son ensemble. (Pour les féministes radicales, le nombre idéal de genres serait... aucun.) | « Le queer » : Femmes et hommes rejettent le système binaire, s’identifient comme des « hors-la-loi du genre » (c’est à dire, des queer ou des trans) et exigent la reconnaissance d’une palette d’identités de genre. (Dans cette perspective, le nombre idéal de genres serait... infini ?) |
Il existe à la fois des similitudes et des
différences entre ces deux versions. Dans les deux, le genre est relié
au sexe, mais ce n’est pas la même chose ; dans les deux, le genre tel
que nous le connaissons est un système binaire (il y a,
fondamentalement, deux genres) ; et les deux approches conviendraient
sans doute que le genre parle de pouvoir ET d’identité ; mais elles
différent dans l’importance accordée à l’un ou l’autre facteur. Ces deux
versions diffèrent également parce que les adeptes de la version queer
ne pensent pas en termes d’oppression des femmes par les hommes, ils et
elles considèrent que les normes de genre sont plus oppressives que le
pouvoir hiérarchisé et veulent plus de genre plutôt que moins ou pas du
tout.
Pour bien comprendre ces concepts et décider ce que vous en penserez, il est utile de connaître un peu d’histoire, l’histoire des idées féministes radicales et sexuelles radicales. Il y a trois questions principales que nous croyons utile d’explorer de façon plus détaillée :
1- Est il vrai que le féminisme radical est ou était essentialiste dans sa conception du genre ?Pour bien comprendre ces concepts et décider ce que vous en penserez, il est utile de connaître un peu d’histoire, l’histoire des idées féministes radicales et sexuelles radicales. Il y a trois questions principales que nous croyons utile d’explorer de façon plus détaillée :
2- Quelle est et était la relation entre la politique du genre et la sexualité ?
3- Qu’ont en commun le féminisme radical et la politique queer (aussi appelée genderqueer), quelles sont leurs différences de base et quels sont leurs objectifs politiques respectifs ?
Le féminisme radical est/était-il essentialiste ?
Commençons par convenir d’une chose : Il existe bel
et bien des variétés essentialistes de féminisme, des courants de pensée
pour lesquels, par exemple, le corps des femmes se voient assignés des
pouvoirs mystiques ou les hommes sont perçus comme naturellement
mauvais ; certaines des femmes qui souscrivent à ces idées pourraient se
revendiquer ou être estampillées du label « féminisme radical ». Mais
si l’on considère plutôt le féminisme radical comme une tradition
politique qui a produit, entre autres, un corpus de textes féministes
qui en sont venus à être considérés comme des « classiques », on
constate à quel point leur conception du genre a toujours été
non-essentialiste, ce qui peut surprendre compte tenu de l’insistance
avec laquelle on accuse les féministes radicales d’être essentialistes.
Afin d’illustrer ce point, j’ai assemblé quelques
citations de femmes généralement reconnues comme les archétypes des
féministes radicales, dont Simone de Beauvoir, que l’on considère
souvent comme la fondatrice du féminisme moderne de « la seconde
vague », avec son livre Le Deuxième Sexe (publié pour la première fois
en 1949, soit vingt ans plus tôt que l’éclosion de cette vague. Beauvoir
n’avait rien d’essentialiste et, bien qu’elle n’utilise pas de terme
équivalent à « genre » (un mot qui n’est toujours pas courant en
français), nombre de ses commentaires sont axés sur la distinction entre
l’aspect biologique et l’aspect social de la féminité. L’une de mes
phrases favorites du Deuxième sexe, à cause son côté froidement
sarcastique, est la suivante : « Tout être humain femelle n’est donc pas
nécessairement une femme ; il lui faut participer à cette réalité
mystérieuse et menacée qu’est la féminité. »
Une féministe des débuts de la « seconde vague »,
Shulamith Firestone, auteure de La Dialectique du sexe (1970), a souvent
été taxée d’essentialisme (pour avoir émis l’hypothèse que la
subordination des femmes avait sans doute trouvé son origine dans leurs
fonctions reproductives et nourricières). Mais en réalité, Firestone ne
voyait ni comme naturelle ni inévitable l’existence d’une hiérarchie
sociale bâtie sur la différence des sexes. Au contraire, elle écrit dans
La Dialectique du sexe que :
« Et exactement comme le but final de la révolution
socialiste n’était pas l’élimination du privilège de l’économie de
classe, mais celle de la différentiation entre classes elle-même, ainsi
le but final de la révolution féministe doit être.... non seulement
l’élimination du privilège masculin, mais la distinction sexuelle
elle-même : les différences génitales entre humains ne compteront plus
culturellement. »
Dans les écrits légèrement postérieurs de la féministe radicale matérialiste Christine Delphy, le genre n’a de sens théorique qu’en tant qu’il est un effet de rapports hiérarchiques de pouvoir ; ce n’est pas une différence préexistante sur laquelle ces relations de pouvoir seraient ensuite superposées. La position de Delphy est considérée par des féministes moins radicales comme extrême, mais quoi qu’on en pense, elle ne pourrait guère être moins essentialiste : comme elle-même le dit,
« Nous ne savons pas ce que seraient les valeurs, les traits de personnalité individuels et la culture d’une société non hiérarchique, et nous avons grande peine à l’imaginer. Peut-être nous ne pourrons réellement penser le genre que le jour où nous pourrons imaginer le non-genre2. »
Dans les écrits légèrement postérieurs de la féministe radicale matérialiste Christine Delphy, le genre n’a de sens théorique qu’en tant qu’il est un effet de rapports hiérarchiques de pouvoir ; ce n’est pas une différence préexistante sur laquelle ces relations de pouvoir seraient ensuite superposées. La position de Delphy est considérée par des féministes moins radicales comme extrême, mais quoi qu’on en pense, elle ne pourrait guère être moins essentialiste : comme elle-même le dit,
« Nous ne savons pas ce que seraient les valeurs, les traits de personnalité individuels et la culture d’une société non hiérarchique, et nous avons grande peine à l’imaginer. Peut-être nous ne pourrons réellement penser le genre que le jour où nous pourrons imaginer le non-genre2. »
Les écrivaines que je viens de citer sont toutes des
femmes qui ‘peuvent imaginer le non-genre’... et qui le font. Cette
volonté de penser sérieusement à ce qui, pour la plupart des gens, y
compris bien des féministes, est impensable – à savoir qu’un monde
vraiment féministe serait un monde non seulement sans inégalités de
genre, mais aussi sans distinctions de genre – cette volonté,
dirons-nous, est un des marqueurs du féminisme radical, une des façons
par lesquelles ce féminisme se distingue comme ‘radical’.
Un autre élément qui distingue le féminisme radical
est la manière dont il relie le genre à la sexualité, et le genre et la
sexualité au pouvoir. Les écrits de Catharine A. MacKinnon insistent
fortement sur cette relation, comme le passage suivant de son livre « Le
féminisme irréductible » (2005) :
« Dans la théorie féministe du pouvoir, la sexualité
est marquée par le genre, de même que le genre est sexualisé. Autrement
dit, la théorie féministe analyse comment l’érotisation de la domination
et de la soumission crée le genre, la femme et l’homme, sous les formes
sociales que nous connaissons. La différence des sexes et la dynamique
de domination-soumission se définissent ainsi mutuellement. L’érotique
est ce qui définit le sexe comme inégalité, donc comme différence
significative. C’est là pour moi la signification sociale de la
sexualité et la contribution spécifique du féminisme à la prise en
compte de l’inégalité de genre. »
Ceci montre que certaines féministes radicales célèbres ont adopté une conception non essentialiste de la sexualité aussi bien que du genre. En fait, un des comptes rendus les plus radicalement non essentialistes ou anti-essentialistes que nous connaissons – une conception aussi radicale que celle de n’importe quel-le théoricien-ne queer par sa façon de rejeter l’idée d’identités sexuelles fixes et finies – vient de la féministe radicale Susanne Kappeler, dans son livre Pornography of Representation (1986) :
Ceci montre que certaines féministes radicales célèbres ont adopté une conception non essentialiste de la sexualité aussi bien que du genre. En fait, un des comptes rendus les plus radicalement non essentialistes ou anti-essentialistes que nous connaissons – une conception aussi radicale que celle de n’importe quel-le théoricien-ne queer par sa façon de rejeter l’idée d’identités sexuelles fixes et finies – vient de la féministe radicale Susanne Kappeler, dans son livre Pornography of Representation (1986) :
« Dans une perspective politique, la sexualité, comme
le langage, pourrait être classée dans la catégorie des relations
intersubjectives : une question d’échange et de communication. Les
relations sexuelles – le dialogue entre deux sujets – déterminerait,
articulerait une sexualité des sujets, tout comme les interactions du
discours génèrent des rôles de communication entre les interlocuteurs.
La sexualité serait alors moins une question identitaire, celle d’un
rôle fixés en l’absence d’une praxis, mais une possibilité, dotée d’un
potentiel de diversité et d’interchangeabilité, et dépendant de façon
cruciale d’un interlocuteur/trice, d’un autre sujet, et co-déterminée
par lui. »
Nous expliquerons tantôt pourquoi nous pensons que
les idées de ces féministes radicales au sujet du genre, de la
sexualité, de l’identité et du pouvoir lancent en fait un défi beaucoup
plus radical au statu quo que les idées des analyses queer.
Joan Scanlon : Comme Debbie l’a dit, j’ai été
complètement abasourdie quand les deux jeunes femmes rencontrées à
Edimbourg m’ont demandé pourquoi The Trouble & Strife Reader (2009)
ne parlait pas davantage de genre. J’ai donné un coup de fil à Su
Kappeler (que nous venons de citer) et elle m’a dit : « Tu sais, Joan :
c’est comme ce que Roland Barthes écrit quelque part : Si vous avez un
guide de voyage pour l’Italie, vous ne trouverez pas le mot Italie dans
l’index, vous y trouverez Milan, Naples ou le Vatican... » J’y ai
repensé et j’ai compris que, malgré la justesse de sa remarque, il y
avait quelque chose d’autre là-dedans : c’était comme si la carte de
l’Italie avait complètement disparu – une carte tout de même bien utile
pour situer réciproquement Milan, Naples ou le Vatican – pour remplacer
la réalité géographique, politique et économique de l’Italie par un
espace virtuel dans lequel l’Italie pouvait être un bal masqué, un
drapeau tricolore, un bar à glaces, ou n’importe quelle combinaison de
« signifiants flottants ». Et ainsi, en revenant au concept de genre,
j’ai compris qu’il nous fallait reconstruire cette carte, et que nous
avions besoin de regarder la question en mode historique pour trouver un
sens à ce glissement de signification.
Bien sûr les cartes évoluent, comme le font les
frontières, mais on ne peut aller bien loin sans elles. Il nous faut
donc analyser pourquoi des féministes ont adopté le terme « genre » pour
décrire une réalité matérielle – l’imposition systématique du pouvoir
masculin – et pour en faire un outil de changement politique. Je vais
commencer par quelques définitions, puis je parlerai brièvement de
l’histoire de la sexualité, du rapport entre le genre et la sexualité et
de l’évolution de ce rapport entre deux constructions depuis le début
du siècle dernier. Je donnerai un bref aperçu des points communs et des
différences clés entre le féminisme et les analyses « queer ».
Définitions : le féminisme, le genre, la sexualité
A la fin des années 80, tandis que Liz Kelly et moi
étions en train d’écrire quelque chose ensemble, nous avons décidé
qu’étant donné la prolifération des « féminismes » nous devions affirmer
que le terme « féminisme » était vide de sens s’il signifiait
simplement tout ce que n’importe qui voulait lui donner comme sens.
Autrement dit : on ne peut avoir de pluriel si l’on n’a pas un singulier
– alors nous avons défini le féminisme tout simplement comme « une
reconnaissance que les femmes sont opprimées et un engagement à changer
cet état de fait. » Par delà cette définition, on peut avoir toutes
sortes de différences d’opinion quant au pourquoi de l’oppression des
femmes, et toutes sortes de points de vue différents quant à des
stratégies pour transformer cette situation.
En 1993, pour le dixième anniversaire de la revue
Trouble & Strife, nous avons demandé à plusieurs femmes de définir
le féminisme radical. Leurs définitions ont toutes eu le point commun
suivant : poser comme problème central que le genre est un système
d’oppression et que les hommes et les femmes sont deux groupes
socialement construits, qui existent en raison précise de la relation de
pouvoir inégalitaire entre eux. De plus, ces définitions affirment
toutes que le féminisme radical est radical parce qu’il remet en
question toutes les formes de pouvoir, y compris des formes extrêmes
comme la violence masculine et l’industrie du sexe (qui a toujours été
l’objet de controverses dans le mouvement des femmes et une lutte
extrêmement impopulaire à mener). Au lieu de s’en tenir à des
ajustements en marge de la question du genre, le féminisme radical
s’attelle au problème structurel qui la sous-tend.
C’est dire que définir le genre semble être un
passage obligé pour comprendre la prolifération de sens ayant accompagné
son utilisation devenue plurielle. Le terme de « genre », tel que les
féministes radicales l’ont toujours compris, décrit l’oppression
systématique des femmes, en tant que groupe subordonné, pour le bénéfice
du groupe dominant, les hommes. Ce n’est pas un concept abstrait – il
décrit les circonstances matérielles de l’oppression, y compris le
pouvoir masculin logé dans les institutions et dans les relations
personnelles : par exemple, la division inégalitaire du travail, le
système judiciaire pénal, la maternité, la famille, la violence
sexuelle... et ainsi de suite. Je tiens à préciser ici que très peu de
féministes soutiendraient que le genre n’est pas socialement construit.
Je crois que si le féminisme radical est accusé d’essentialisme
biologique, c’est seulement parce qu’il a joué un rôle aussi central
dans la campagne menée contre la violence masculine – et, pour une
raison que je n’ai jamais comprise, on nous accuse donc de croire que
tous les hommes sont violents par nature. Ce serait illogique : si vous
vous impliquez dans une politique de changement, il serait tout à fait
absurde de penser que ce que vous souhaitez changer est inné ou
immuable.
Si le genre est considéré, dans le système
patriarcal, comme émanant du sexe biologique, la sexualité est encore
plus « essentialisée », puisqu’elle est vue comme l’émanation de notre
nature même, de désirs et de sentiments qui échappent entièrement à
notre contrôle, même si notre conduite sexuelle peut être régulée par
des codes moraux et sociaux. Alors, pour conclure ces propos sur les
définitions, j’emprunterais à MacKinnon sa définition de la sexualité
comme « un processus social qui crée, organise, oriente et exprime le
désir ». Ceci indiquant clairement que le féminisme radical comprend la
sexualité comme étant socialement construite, je n’en dirai pas plus
long à ce sujet pour le moment, dans la mesure où j’espère que mes
prochains propos éclairciront tout cela.
Une brève histoire de la sexualité
C’est seulement à partir de 1870 environ que le
discours médical, scientifique et juridique a commencé à classer et
catégoriser les personnes par types sexuels – et a produit l’idée
maintenant reconnue par les historiens d’une identité spécifiquement
homosexuelle ou lesbienne. Avant la fin du 19ème siècle, on parlait de
la conduite sexuelle en termes de péché et de crime, donc en termes
d’actes sexuels et non d’identités sexuelles. Au Royaume Uni,
l’homosexualité masculine a été considérée comme un délit jusqu’à 1967,
et le lesbianisme, bien que n’étant pas illégal, a été réprimé par
d’autres moyens ; jusqu’après la seconde guerre mondiale ce n’était pas
une option économiquement possible pour plus qu’une très petite minorité
de femmes privilégiées et financièrement indépendantes. La sexualité
des femmes a toujours été contrôlée par la coercition, la dépendance
économique par rapport aux hommes, et surtout par l’idéologie. L’essai
d’Adrienne Rich sur « La contrainte à l’hétérosexualité » (1979)
détaille l’étendue et l’inventivité de ces moyens de contrôle.
Le genre est une des méthodes les plus efficaces de contrôle de la sexualité : étant donné la constante réaffirmation du système binaire de genres comme appareil de contrôle social, si vous sortez du rôle de genre qui vous a été assigné, vous êtes susceptible d’être stigmatisé-e comme homosexuel-le, et vice versa. Autrement dit, si vous renoncez aux gratifications de la féminité, par exemple en devenant plombière, ou en ne rasant pas vos jambes, en disant à un homme qui vous harcèle d’aller se faire foutre, on va probablement vous accuser d’être lesbienne. (Un homme qui ne se conforme pas aux conventions de la masculinité, et qu’on voit pousser un landau, porter du rose ou ne pas aimer le football sera probablement traité de gay.) De la même façon, si vous êtes lesbienne, on s’attendra à ce que vous vous conduisiez comme un homme, que vous fassiez montre d’un désir masculin – et les femmes hétérosexuelles craindront sans doute que vous vous intéressiez à elles, et seront encouragées à éviter les espaces réservés aux femmes, au cas où il y aurait un risque qu’on leur saute dessus. (Ceci est peut-être moins vrai maintenant, mais le problème se posait toujours lors des événements « pour femmes seulement » au début de mon engagement féministe.) De toutes façons, c’est en partie ce que désignait MacKinnon quand elle disait que « le genre est sexualisé et la sexualité est genrée » – autrement dit, le différentiel de pouvoir entre les hommes et les femmes est érotisé, et on ne reconnaîtrait pas quelque chose comme sexuel s’il n’y était pas question de pouvoir – de sorte que tout ce qui est perçu comme sexuel – comme l’identité gay et lesbienne – est lu à travers ce prisme, et est donc genré.
Le genre est une des méthodes les plus efficaces de contrôle de la sexualité : étant donné la constante réaffirmation du système binaire de genres comme appareil de contrôle social, si vous sortez du rôle de genre qui vous a été assigné, vous êtes susceptible d’être stigmatisé-e comme homosexuel-le, et vice versa. Autrement dit, si vous renoncez aux gratifications de la féminité, par exemple en devenant plombière, ou en ne rasant pas vos jambes, en disant à un homme qui vous harcèle d’aller se faire foutre, on va probablement vous accuser d’être lesbienne. (Un homme qui ne se conforme pas aux conventions de la masculinité, et qu’on voit pousser un landau, porter du rose ou ne pas aimer le football sera probablement traité de gay.) De la même façon, si vous êtes lesbienne, on s’attendra à ce que vous vous conduisiez comme un homme, que vous fassiez montre d’un désir masculin – et les femmes hétérosexuelles craindront sans doute que vous vous intéressiez à elles, et seront encouragées à éviter les espaces réservés aux femmes, au cas où il y aurait un risque qu’on leur saute dessus. (Ceci est peut-être moins vrai maintenant, mais le problème se posait toujours lors des événements « pour femmes seulement » au début de mon engagement féministe.) De toutes façons, c’est en partie ce que désignait MacKinnon quand elle disait que « le genre est sexualisé et la sexualité est genrée » – autrement dit, le différentiel de pouvoir entre les hommes et les femmes est érotisé, et on ne reconnaîtrait pas quelque chose comme sexuel s’il n’y était pas question de pouvoir – de sorte que tout ce qui est perçu comme sexuel – comme l’identité gay et lesbienne – est lu à travers ce prisme, et est donc genré.
Les premiers sexologues ont joué un rôle significatif
en créant et en consolidant le mythe selon lequel les lesbiennes
étaient foncièrement des femmes masculinisées, et que les hommes
homosexuels étaient par nature féminins. C’est également dans leurs
œuvres – par exemple, celle de Richard Von Krafft Ebbing – que l’on
trouve, pour la première fois, l’idée d’un homme né dans le corps d’une
femme et vice versa. Bien que les premiers sexologues aient démystifié
beaucoup d’autres croyances au sujet des conduites sexuelles, et aient
été efficaces pour contester la criminalisation de l’homosexualité en la
présentant comme « naturelle » et « innée », ils ont néanmoins,
ce-faisant, confirmé l’idée selon laquelle la sexualité était une part
essentielle de la nature humaine, qui était soit dangereuse et
nécessitait d’être contrôlée médicalement, soit une force positive qui
avait besoin d’être libérée des contraintes répressives de la
civilisation. Ils étaient souvent en désaccord réciproque et emmêlés
dans des contradictions, mais collectivement ils ont créé et confirmé le
mythe selon lequel nous avons tous-tes une « véritable identité
sexuelle », que la sexologie peut aider à révéler. Certains de leurs
écrits apparaissent maintenant comme un tissu d’absurdités, mais il est
impossible de sous-estimer l’importance de ces textes dans la
littérature et l’imaginaire de cette époque.
Pour vous donner un simple exemple : Richard Von
Krafft Ebbing (ses études de cas ont servi de modèles aux personnages de
Radclyffe Hall dans son roman Le puits de solitude) a soutenu que les
personnes homosexuelles ne sont ni malades mentales, ni moralement
dépravées, puisqu’elles ont subi une inversion congénitale du cerveau
pendant la gestation de l’embryon. De plus il était convaincu qu’on
pouvait trouver des marques de masculinité chez les « inverties » de
sexe féminin, confirmant ainsi la cause génétique de leur état. Havelock
Ellis, qui a écrit la préface du Puits de solitude, partageait cette
position et continua à soutenir que l’on peut distinguer entre les
vraies « inverties » de sexe féminin, à la nature permanente et innée,
et les femmes attirées par les « inverties » qui, bien que plus
féminines, « n’étaient pas bien adaptées à la maternité », et en
conséquence non adaptées à une sexualité hétérosexuelle et procréative.
Une position plus éclairée a été mise de l’avant par
Edward Carpenter, réformateur socialiste et philosophe utopiste :
Carpenter, qui utilisait le mot uranien pour désigner les personnes
attirées par celles de leur propre sexe, avait une vue plus mystique et
plus lyrique de tout ce sujet. (On se moque volontiers de lui car une
sorte de culte se forma autour de lui ; non content de fabriquer ses
propres sandales, il fabriquait aussi toutes celles de sa communauté,
qui vivait dans une commune près de Sheffield, en Angleterre.) Mais sous
bien des aspects, Carpenter a été le plus radical de tous. Il s’est
beaucoup plus intéressé aux caractéristiques de tempérament et de
sensibilité des gens qu’aux signes (biologiques) apparents de déviance
par rapport aux conventions de la masculinité et de la féminité. Il
croyait aussi que les personnes qui appartenaient au « sexe
intermédiaire » pourraient un jour dépasser les différences de classes
et de races et agir comme interprètes entre les hommes et les femmes, du
fait de partager les caractéristiques des deux sexes. Les économistes
et les politiques du mouvement rejetèrent les vues de Carpenter comme
autant de fadaises sentimentales mais c’est lui, de tous les sexologues,
qui se rapproche le plus de l’idée que c’est le genre en soi qui est le
problème, et que les pôles extrêmes du système binaire de genre sont
préjudiciables à la société idéale qu’il imagine.
Je ne vais pas passer en revue tou-tes les sexologues
du 20ème siècle – sans doute êtes-vous au fait des expériences de
laboratoire de Masters et Johnson, et des excellentes études par
sondages sur les conduites sexuelles menées par Alfred Kinsey et Shere
Hite, respectivement dans les années 1950 et 1980. Leur travail ébranla
les idées reçues en montrant, entre autres, la diversité des conduites
sexuelles et la prévalence du désir homosexuel dans la population
hétérosexuelle américaine. La principale caractéristique commune à ces
sexologues de la deuxième vague, c’est qu’ils firent du sexe un sujet
d’étude scientifique, et que très peu d’entre eux étudièrent le genre en
lui-même, ou le contexte social et la signification de la sexualité.
La relation du genre à la sexualité changea à la fin
des années 60 et durant les années 70, en grande partie à cause de
l’émergence du mouvement des femmes et du mouvement de libération gay.
Avec la montée du féminisme et la publication de nombreux textes-clefs
comme La Politique du mâle de Kate Millett (1970), le lesbianisme ne fut
plus considéré comme une sous-catégorie de l’homosexualité masculine,
et non plus seulement comme une identité sexuelle, mais comme une
identité politique, dans un contexte de relations de pouvoir genrées. En
d’autres mots, il devint possible de voir qu’être lesbienne avait un
rapport avec le fait d’être une femme, ce qui remettait en question
l’hétérosexualité en tant qu’institution, ainsi que le pouvoir dans les
relations de personne à personne. Je me dis souvent que pour ma part
j’ai eu beaucoup de chance de rencontrer le féminisme à la fin des
années 70, alors que j’avais tout juste 20 ans. Sans cela, si j’étais
née plus tôt, on m’aurait complètement persuadée que j’étais
« invertie » ou, dieu m’en garde !, « Uranienne », ou n’importe quoi
d’autre. Le mouvement des femmes de la fin des années 60 et des années
70 a offert à beaucoup de femmes une occasion sans précédent de donner
du sens à leur vécu de femmes, de le théoriser, et d’agir pour le
transformer.
On oublie souvent que les théoriciens du mouvement de
libération gay avaient, aux débuts de ce mouvement, beaucoup en commun
avec le féminisme : la déconstruction de la masculinité, une remise en
question de la famille nucléaire et la recherche d’une sexualité
égalitaire. Même si les féministes ont continué à beaucoup travailler en
collaboration avec les hommes – face à une oppression commune,
l’hétérosexualité institutionnalisée – nous avons aussi constaté que
l’accent que nous mettions sur la construction sociale de la sexualité
dérogeait à la conception dominante au sein du mouvement gay d’une
sexualité innée. Par exemple, à la fin des années 80, pendant la
campagne menée contre la clause 28 du décret de gouvernement local (qui
empêchait les autorités locales de « promouvoir » l’homosexualité et les
« soit-disant » familles homoparentales à l’école), l’argument
principal du mouvement gay était que l’on ne pouvait rendre quelqu’un
gay, que les gays représentaient seulement 10% de la population, que
l’on naissait gay, et que ce groupe ne représentait donc pas une menace
pour l’ordre établi. Et nous, bien sûr, en tant que féministes, nous
soutenions le contraire, nous disions qu’on pouvait en fait changer sa
sexualité, et nous essayions bel et bien d’être une menace pour l’ordre
établi. L’épidémie du sida politisa beaucoup d’hommes gays autour de la
sexualité, dans une défense de leur liberté sexuelle individuelle contre
la politique répressive de l’extrême-droite. Mais en plaidant une fois
de plus pour davantage de tolérance de la part du monde hétérosexuel, et
en réclamant l’accès aux privilèges des hétérosexuels (partenariat
civique, etc..) – ce qui s’avéra une stratégie efficace pour l’obtention
de ces objectifs, précisément parce que ces revendications n’ont pas
été perçues comme une menace pour l’ordre établi – il se peut que ce
mouvement ait ouvert la voie à une théorie qui non seulement remettait
en question la conduite hétéronormative, mais cherchait à créer un
espace pour toutes les victimes du genre parce que situées hors du
système binaire de genre et hors d’une conception binaire parallèle de
la sexualité. On peut répondre à cela que le féminisme semblait
également ouvrir précisément la voie à une telle politique et à un tel
espace, et il est donc important de considérer les différences entre le
féminisme et le mouvement queer.
Ce que le féminisme radical a en commun avec le mouvement queer* Une intelligence du fait que le genre et la sexualité sont construits socialement
* Une reconnaissance du fait que les rôles binaires de genre constituent une oppression.
* Une intelligence du fait que les rôles de genre font l’objet d’une performance et sont confirmés par leur constante reconstitution.
Un engagement à remettre en question les postulats et les pratiques hétéronormatives.
Les différences entre le féminisme radical et la théorie queer sont les suivantes :
- Le féminisme radical est une théorie matérialiste
qui soutient que le genre n’est pas produit seulement par le discours et
la performance, mais que c’est un système dans lequel un genre (le
masculin) possède le pouvoir économique et politique et l’autre (le
féminin) ne l’a pas – et où le groupe dominant a intérêt à préserver cet
état de fait.
- Le féminisme radical inclut une reconnaissance du
fait que l’on ne peut pas produire (ou remettre en question) le système
de genre seulement par le discours ou la performance individuelle – du
fait d’adopter certains vêtements, un certain langage, ou même par des
changements anatomiques. En dehors de certains contextes limités, la
culture dominante interprètera toujours ces comportements à la lumière
des codes sociaux dominants – et cherchera à vous classer dans la
catégorie homme ou femme. (Autrement dit, dans le métro, au supermarché
ou au travail, ces actions individuelles ou propos performatifs seront
inintelligibles et tout à fait inefficaces comme contestation du système
de genre).
Judith Butler avance l’idée que le féminisme, en
disant que les femmes forment un groupe ayant des caractéristiques et
des intérêts communs, a renforcé la conception binaire du genre, où les
genres masculins et féminins sont construits sur des corps masculins et
féminins. Les féministes disent en effet que les femmes ont en commun un
intérêt politique (plutôt que de présenter des caractéristiques
communes), qu’elles souffrent d’une oppression commune (qu’elles vivent
de différentes manières liées à d’autres formes de relations de pouvoir,
dont la race et la classe), et que le corps des femmes est le lieu
d’une bonne part de cette oppression – mais ceci n’implique en rien que
la catégorie femmes soit une catégorie indifférenciée. Il s’agit
simplement de soutenir que, tant que les femmes sont opprimées (en tant
que femmes), elles ont besoin d’une identité politique commune, afin de
s’organiser efficacement pour résister à cette oppression.
Le féminisme radical a pour projet de transformer le
système des genres et de remettre en question l’oppression sous toutes
ses formes. Ainsi nous n’attendons rien de l’idée d’être des
hors-la-loi, idée qui repose sur une conception romantique de
l’oppression. Par ailleurs, se sentir opprimé-e n’est pas la même chose
qu’être opprimé-e. Pour célébrer votre identité en tant que hors-la-loi,
vous devez attendre quelque chose du système qui fait de vous une
hors-la-loi. À mes yeux, le queer me semble vouloir fédérer les victimes
les plus extrêmes de l’appareil de genre, et inventer un parapluie qui
protègerait d’une part les personnes qui sont des hors-la-loi
involontaires (appartenant d’habitude aux catégories les plus pauvres et
les plus aliénées de la société, sans bouclier protecteur contre les
préjugés sociétaux, et donc marginalisées sans l’avoir choisi), et
d’autre part celles pour qui jouer à être des hors-la-loi est un
exercice intellectuel de privilégiées plutôt qu’une dure réalité vécue.
Le queer regroupe donc, d’après sa propre
définition, tout ce qui dévie de la normale, du légitime, du dominant.
Donc, le queer, se démarque « non par une positivité, mais par une
positionnalité en regard du normatif »3. Il s’ensuit que les mouvements
queer n’ont pas de buts politiques particuliers, à part défier les
discours normatifs dominants, et si ces discours venaient à changer, les
mouvements queer devraient alors changer de position, en s’opposant à
ce qui serait alors devenu la norme. Je ne vois donc pas très bien quels
sont ses buts politiques particuliers.
Le queer embrasse un large éventail et d’identités
et de pratiques sexuelles non normatives, dont certaines sont
hétérosexuelles : « Le sadisme et le masochisme, la prostitution,
l’inversion sexuelle, le transgenre, la bisexualité, l’asexualité et
l’intersexualité sont vues par les théoricien-ne-s queer comme des
occasions d’analyser des différences de classes, de races et
d’ethnicité, et comme des occasions de reconfigurer les conceptions du
plaisir et du désir4. » Par exemple, Patrick Califia vante la façon dont
le sadomasochisme encourage la fluidité et remet en question l’aspect
naturel des dichotomies binaires dans la société :
« La dynamique entre une top et une bottom est assez
différente de la dynamique entre un homme et une femme, entre blancs et
noirs, ou entre bourgeois et ouvriers. Ce système est injuste parce
qu’il assigne des privilèges en fonction de la race, du genre et de la
classe sociale. Pendant une rencontre SM, les rôles sont attribués et
joués de plusieurs manières. Si vous n’aimez pas être une top ou une
bottom, passez dans le camp d’en face. Essayez donc de faire ça avec
votre sexe biologique, votre race ou votre statut socio-économique5. »
Ce point de vue met ces théoricien-ne-s du queer en
conflit avec la conception féministe radicale selon laquelle le
sadomasochisme, la prostitution et la pornographie sont des pratiques
oppressives.
Le féminisme radical soutient que toutes les
différences de pouvoir sont oppressives, y compris celles construites
par le biais de la race et de l’ethnicité, la classe et le handicap, et
que la pornographie et l’industrie du sexe en général en sont une des
manifestations les plus claires et les plus pernicieuses : la différence
de pouvoir érotisée est l’essence même de la porno, et elle est mise en
acte sur de vrais corps, et non dans l’imagination du consommateur. De
plus, la question de savoir du plaisir et du désir de qui on parle
mérite d’être éclaircie dans une industrie basée sur l’exploitation et
l’abus sexuel. Le SM a été l’objet de beaucoup de débats houleux au sein
du féminisme dans les années 80, et là encore, le féminisme radical n’a
rien vu de nouveau ou de radical dans le fait de recréer dans des
relations non hétéronormées la dynamique de domination-subordination
déjà prédominante dans l’hétérosexualité. Tous ces phénomènes,
considérés comme anti-hétéronormatifs par le mouvement queer, font déjà
les beaux jours du patriarcat, et n’ont donc rien de révolutionnaire.
Les féministes radicales cherchent non seulement à remettre en question
les structures du patriarcat, mais à les démanteler, alors que le défi
que le queer oppose à la culture normative est une provocation, dénuée
de visée politique quant au démantèlement du normatif, dont il dépend,
de par sa propre définition, pour exister en tant que posture
d’opposition. Il apparaît ainsi que le queer ne cherche pas à se libérer
du système de la différence de genres, mais simplement à prendre des
libertés avec lui.
Si l’on souhaite changer le système sociétal qui
crée la différence de genre telle que nous la connaissons, on doit
prendre en compte les structures sous-jacentes qui produisent et
entretiennent la différence de genre les engendrent et les soutiennent –
et l’on doit chercher à éradiquer le genre lui-même.
Sans le genre, sans différentiel de pouvoir, la
sexualité pourrait être simplement l’expression du désir entre des
sujets égaux. (Voir la citation de Su Kappeler)
Au début de cette conversation, Debbie a cité
Shulamith Firestone, et il me semble donc tout à fait approprié de
conclure en paraphrasant un argument clé de sa Dialectique du sexe,
argument qui résume la lecture féministe radicale du genre : La tâche
intellectuelle théorique du féminisme est de comprendre le genre comme
un système qui crée et maintient l’inégalité. La tâche politique du
féminisme est d’éradiquer le genre.
(Traduction : Annick Boisset. Révision : Martin Dufresne)
Original : Debbie Cameron et Joan Scanlon, « Talking about gender », Trouble and Strife, 2010 - http://www.troubleandstrife.org/new-articles/talking-about-gender/
©Debbie Cameron et Joan Scanlon, mai 2013.
1- http://www.bloomsburyacademic.com/view/TroubleAndStrifeReader_9781849662956/book-ba-9781849662956.xml
2- Christine DELPHY. (2002) “Rethinking Sex and Gender”, Gender : A sociological Reader, Londres, Routledge, pp. 51-59.
3- David Halperin, Saint Foucault, Paris, EPEL, 2000.
4- Wikipedians, « Queer Theory”, dans Critical Theory, p. 137.
5- Pat Califia, « Féminisme et sadomasochisme », in Sexe et utopie, Paris, La Musardine, 2008.
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