Interview réalisée pour le Monde Libertaire, http://www.monde-libertaire.fr/index.php?article=Ni_silence_ni_pardon
Dans le titre du livre chaque mot a son
importance, et il n’est pas anodin que ses premiers mots soient « ni
silence » : le premier travail à faire, c’est celui-là, rompre le
silence ?

Beaucoup de gens parlent du viol en général, du viol
en théorie. C’est facile. Tant que le viol est perçu comme une violence
exceptionnelle qui ne pourrait être commise que par un inconnu,
condamner le viol n’engage à rien. Tant que la représentation que l’on
se fait du viol est cantonnée à une agression brutale commise contre une
victime qui se débat, qui crie son non consentement et qui sera ensuite
capable d’aller porter plainte contre son agresseur toute seule comme
une guerrière invaincue, il est facile et n’engage à rien de déclarer
que l’on combat le viol.
L’écrasante majorité des viols sont commis par un proche de la victime ou par un individu qui achète un « permis de viol » (un prostitueur donc).
L’écrasante majorité des viols sont commis par un proche de la victime ou par un individu qui achète un « permis de viol » (un prostitueur donc).
Et lorsque la victime d’un viol commis par l’un de
ses proches trouve le courage de prendre le risque de dénoncer le viol à
l’entourage qu’elle a en commun avec son agresseur, chaque membre de
cet entourage révèle son « vrai visage ».
Il y a celleux qui prennent partie pour l’agresseur
en traitant la victime de menteuse, d’allumeuse, de folle ou en
défendant l’idée selon laquelle il y aurait eu une incompréhension.
Il y a celleux qui prétendent être neutres pour ne
pas assumer clairement leur absence ou leur défaillance de solidarité
avec la victime, plaçant la victime et l’agresseur au même niveau de
crédibilité et prônant la fameuse « présomption d’innocence » de
l’accusé qui induit de fait une « présomption de mensonge » affublée à
la victime dite « présumée ».
Il y a celleux qui, dans des espaces qui n’engagent
pas à grand chose vont déclarer prendre partie pour la victime et se
présenter comme des pourfendeurs chevaleresques du violeur, mais n’en
diront pas autant en public parce que le fond de leur pensée c’est, en
vérité, « je ne vais pas m’emmerder avec cette histoire ».
Les moins nombreu-ses-x sont les plus courageu-ses-x,
celleux qui prennent clairement, définitivement, radicalement et
publiquement partie pour la victime et contre le violeur, sans elleux,
la victime n’a quasiment aucune chance de reconstruire sa vie après la
séance de torture physique et mentale qu’elle a subi (le viol) et
l’humiliation infligée collectivement par les défenseur-e-s (assumé-é-s
ou non) du violeur.
Ce schéma, on le retrouve partout où le patriarcat
façonne les mentalités : dans des groupes d’ami-e-s, dans des
associations, dans des entreprises, dans des organisations politiques,
dans les tribunaux, etc... et surtout dans certaines familles.
Lorsque le viol est incestueux, il est encore
davantage interdit d’en parler que de le commettre. Chaque famille
incestueuse est comme un petit État totalitaire et archaïque avec ses
tyrans, ses bourreaux, ses collaborateurs passifs et actifs, ses
boucs-émissaires et ses résistant-e-s. Une petite dictature au sein de
laquelle est organisé un rituel sacrificiel scellé par une loi du
silence qui lie ses membres dans une « cohésion » aussi artificielle
qu’étouffante. C’est le sacrifice interminable d’un enfant, le plus
souvent une petite fille, sur l’autel de la divinité phallique du
système patriarcal. L’inceste réel n’est pas interdit par le patriarcat.
Au contraire, il est encouragé, car il en est l’un des plus anciens et
des plus solides piliers. Briser la loi du silence permet à la victime
de reprendre sa vie en mains, de choisir ses fréquentations en toute
connaissance de cause et de détruire, en partie, le pouvoir exercé par
son agresseur. Briser la loi du silence à plus grande échelle, à propos
de toutes les formes que prend le viol, qu’il soit incestueux, conjugal
ou tarifé (pour la majorité d’entre eux) est la première étape pour
démolir le système patriarcal.
Qu’est-ce qui vous a motivé au sein du CLAS
(Collectif Libertaire Anti-Sexiste) 1 – dont tu es membre - à faire une
publication ? Et comment s’est rédigé le livre puisqu’il est co-écrit
avec Jeanne Cordelier ?
En 1998, j’ai commencé à militer au sein du mouvement libertaire lyonnais. En 2003, en grande partie grâce à la lecture du Deuxième Sexe 2 de Simone de Beauvoir, j’ai enfin commencé à prendre conscience de l’impacte du système patriarcal sur ma propre vie. En 2006, j’ai participé à la création du CLAS. En 2007 j’ai sympathisé avec Jeanne Cordelier et lu son chef d’œuvre auto-biographique La Dérobade 3. Et lorsqu’en 2008 je suis sortie du déni à propos des viols que m’infligeait mon frère durant mon enfance et que j’en ai parlé à mes ami-e-s et camarades du CLAS, certain-e-s m’ont dit « moi aussi... ». Alors nous avons décidé de raconter nos histoires, de partager nos analyses et d’en faire un combat politique. Les 3 autres personnes engagées dans ce projet ont renoncé à le poursuivre en cours de route car le simple fait d’écrire leurs témoignages provoquait pour elles une souffrance insoutenable.
En 1998, j’ai commencé à militer au sein du mouvement libertaire lyonnais. En 2003, en grande partie grâce à la lecture du Deuxième Sexe 2 de Simone de Beauvoir, j’ai enfin commencé à prendre conscience de l’impacte du système patriarcal sur ma propre vie. En 2006, j’ai participé à la création du CLAS. En 2007 j’ai sympathisé avec Jeanne Cordelier et lu son chef d’œuvre auto-biographique La Dérobade 3. Et lorsqu’en 2008 je suis sortie du déni à propos des viols que m’infligeait mon frère durant mon enfance et que j’en ai parlé à mes ami-e-s et camarades du CLAS, certain-e-s m’ont dit « moi aussi... ». Alors nous avons décidé de raconter nos histoires, de partager nos analyses et d’en faire un combat politique. Les 3 autres personnes engagées dans ce projet ont renoncé à le poursuivre en cours de route car le simple fait d’écrire leurs témoignages provoquait pour elles une souffrance insoutenable.
Peux-tu expliquer le(s) lien(s) que tu fais entre le système patriarcal et le viol ?
Le viol, sous toutes ses formes, permet au système
patriarcal de propager la terreur. Pas besoin que toutes les femmes
soient victimes ou survivantes du viol pour que toutes les femmes soient
terrifiées à l’idée qu’elles sont considérées comme violables et donc
potentiellement en danger d’être violées. Toutes finissent, un jour ou
l’autre, par redouter le viol et adaptent leur comportement dans le but
d’amoindrir ce risque. En vain, car en réalité le viol ne dépend ni de
l’attitude ni de l’aspect physique des victimes. Il n’est pas le
résultat d’une pulsion sexuelle ni d’une maladie mentale. Le viol est un
acte politique qui vise à affirmer la suprématie du genre masculin.
Un prédateur est un animal carnivore qui chasse et
qui tue pour s’alimenter. Il n’a pas le choix. Il doit tuer pour se
nourrir, sinon il meurt. Un violeur, est un homo sapiens (dans
l’écrasante majorité des cas un mâle) qui a fait le choix de démolir la
vie d’une, voir plusieurs, femme(s), le plus souvent des petites filles,
en utilisant l’arme favorite du système patriarcal pour exercer sa
domination masculine et terroriser toutes les humainEs en en agressant
quelques unes (beaucoup quand même : au moins 205 par jours rien qu’en
France). Si un violeur, ne parvient pas à violer, il ne meurt pas. Il
n’est pas un prédateur. Il n’est pas "sous l’emprise de pulsions
sexuelles". Il est juste un vrai salopard qui trouve divertissant le
fait de torturer d’autres êtres humainEs en les traitant comme des
produit de consommation, voir comme des déchets. La perversité, le
sadisme, la méchanceté, la volonté de dominer, la violence arbitraire,
etc... n’ont rien de "bestiales". Elles n’ont rien à voir avec
l’animalité. Elles sont, au contraire, typiquement humaines et
s’expriment pleinement dans la culture patriarcale qui a colonisé toute
la planète depuis quelques milliers d’années.
« Ni silence ni pardon » résonne de façon
programmatique : comment tant individuellement que collectivement, les
victimes peuvent-elles se reconstruire ?
Le traumatisme qui résulte du viol est toujours trop
important pour que les victimes puissent reconstruire leur vie sans un
vrai soutien intransigeant et assumé.
A ce propos, le Collectif Féministe Contre le Viol
qui anime l’accueil téléphonique du n° national (gratuit depuis un poste
fixe) - 0 800 05 95 95 - accomplie un travail remarquable, autant en ce
qui concerne l’aide concrète auprès des victimes que sur le plan
militant.
Une victime de viol risquera fortement de tomber dans
les pièges du silence et du pardon si elle ne constate pas que d’autres
personnes déclarent publiquement le fait qu’elles accordent davantage
crédit à sa parole qu’à celle de son agresseur et qu’elles ne lui
pardonnent pas d’avoir commis un crime irréparable.
Ne pas pardonner c’est ne pas abdiquer, c’est passer du statut de victime à celui de survivante qui prend conscience qu’elle n’est ni une créature inférieure, ni un produit de consommation, ni un déchet, mais une vraie personne, une personne importante, intelligente et digne, dont l’existence a de la valeur. Ne pas pardonner donne la force de cesser de s’imposer la compagnie des individus dont le comportement est toxique. Ne pas pardonner donne l’énergie de ne plus avoir peur d’affronter les conflits et de décider de provoquer des ruptures lorsque cela s’avère nécessaire. Ne pas pardonner est la deuxième étape pour se réapproprier sa propre existence.
Ne pas pardonner, y compris aux violeurs que l’on ne connaît pas, y compris à ceux qui sont issus de notre propre mouvance politique, y compris à ceux qui jouent les repentis, y compris à ceux qui plaident la maladie mentale, etc... Ne pas leur pardonner est un acte de solidarité envers toutes les victimes, y compris celles qui sont encore cloîtrées dans le silence.
Ne pas pardonner c’est ne pas abdiquer, c’est passer du statut de victime à celui de survivante qui prend conscience qu’elle n’est ni une créature inférieure, ni un produit de consommation, ni un déchet, mais une vraie personne, une personne importante, intelligente et digne, dont l’existence a de la valeur. Ne pas pardonner donne la force de cesser de s’imposer la compagnie des individus dont le comportement est toxique. Ne pas pardonner donne l’énergie de ne plus avoir peur d’affronter les conflits et de décider de provoquer des ruptures lorsque cela s’avère nécessaire. Ne pas pardonner est la deuxième étape pour se réapproprier sa propre existence.
Ne pas pardonner, y compris aux violeurs que l’on ne connaît pas, y compris à ceux qui sont issus de notre propre mouvance politique, y compris à ceux qui jouent les repentis, y compris à ceux qui plaident la maladie mentale, etc... Ne pas leur pardonner est un acte de solidarité envers toutes les victimes, y compris celles qui sont encore cloîtrées dans le silence.
Propos recueillis par Olivier (Groupe Lucy Parsons in the sky de le Fédération anarchiste)
Jeanne Cordelier et Mélusine Vertelune, Ni silence ni
pardon : l’inceste, un viol institué, préface de Marie-France Casalis, M
éditeur, 2014.
Commentaires
Enregistrer un commentaire